Le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) s’est ouvert le 29 octobre 2014 avec l’avant-première très attendue de Haemoo réalisé par Shim Sung-bo. Son nom est quasiment inconnu puisque Haemoo est son premier film. Et pourtant, le réalisateur s’est déjà illustré en 2003 en scénarisant Memories of Murder de Bong Joon-ho. Dix ans après, c’est au tour de Bong Joon-ho de co-scénariser Haemoo et surtout, de le produire.
La séance s’ouvre avec une courte intervention de Shim Sung-bo et Kim Yun-seok, l’acteur principal de Haemoo, venus présenter le film. Bien caché dans le public, Bong Joon-ho est venu soutenir son collègue et ami. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette séance d’ouverture a donné le ton du festival. Attention au mal de mer !
Capitaine d’un bateau de pêche menacé d’être vendu par son propriétaire, Kang, interprété par l’incroyable Kim Yun-sok, décide de racheter lui-même le navire pour sauvegarder son poste et son équipage. Mais la pêche est insuffisante, et l’argent vient à manquer. En désespoir de cause, il accepte de transporter des clandestins coréens venus de Chine. Lors d’une nuit de tempête, tout va basculer et la traversée se transformer en véritable cauchemar…
Haemoo se situe dans la veine de la nouvelle vague du cinéma coréen qui a débarqué sur nos écrans dans les années 2000. A l’instar de Memories of Murder, Shim Sung-bo se sert d’un fait divers (déjà adapté au théâtre en 2007) pour développer son propos. Cependant, le réalisateur situe l’action en 1998 (et non en 2001), date à laquelle la Corée du Sud a connu une crise financière et économique retentissante. D’autres réalisateurs se sont inspirés de cette période trouble comme Lee Chang-dong et son Peppermint Candy. Tous en ont conclu qu’un tel bouleversement ne pouvait que provoquer désespoir et folie. Il en est de même pour Shim Sung-bo, qui fait de Kang, le capitaine du bateau, un personnage passionné, dur et prêt à tout, surtout au pire, pour sauver son bien le plus précieux. Kang est accompagné de compères à la psychologie caricaturale : le gentil Dong-sik (Park Yoo-choun), le fanfaron Chang-wook (Lee Hee-joon), le raisonnable Wan-ho (Moon Sung-geun), le maladroit Ho-young (Kim Sang-ho) et l’obsédé sexuel Kyung-koo (Yoo Seung-mok).
Tout ce petit équipage évolue dans le premier tiers du film. Galérant jour après jour sur un navire rafistolé avec les moyens du bord, le capitaine Kang et ses camarades naviguent entre solidarité, bonhomie et détresse financière. Un seul personnage semble plus sombre : Kang, qui désespère de voir s’accumuler les mauvaises pêches. Tel un vrai commandant de bord, voire un père de famille, il motive ses troupes et en vient même à bénir ses repas dans l’espoir de mettre fin à la pénurie de poissons. Face à l’adversité, il n’a d’autre choix que de flirter avec l’illégalité, corrompre les autorités et entraîne avec lui son équipage.
Les premières scènes fortes arrivent rapidement, dès le débarquement des clandestins sur le navire. Shim Sung-bo parvient à créer une ambiance de film catastrophe : nuit noire seulement éclairée par la lumière blafarde du bateau et les éclairs de l’orage, pluie torrentielle, cris, noyades et musique dramatique. La photographie, travaillée par Hong Kyung-pyo qui a notamment travaillé sur Mother et Snowpiercer, donne l’impression qu’une véritable tempête foudroie le navire mais aussi l’équipage. Car l’arrivée des clandestins changera tout.
Après un incident déplorable, le brouillard descend. Ce « sea fog » (titre du film en anglais) isole le bateau, exacerbe les tensions et le caractère des personnages. Kang, qui paraît être le plus bordeline dès le début du film, se métamorphose en un monomaniaque pour qui la seule raison de vivre est la survie de son navire. La folie s’empare peu à peu des personnages, ce que l’on a souvent l’habitude de voir dans les films coréens. La violence est à son maximum et le sang gicle, de partout.
La seule once d’humanité réside en Dong-sik qui tombe amoureux d’une clandestine, Hong-mae (Han Ye-ri). Le couple est enfermé dans un vaisseau fantôme. L’influence de Bong Joon-ho est d’ailleurs palpable. Si Snowpiercer est un huis-clos dans un train, Haemoo met en exergue l’enfermement anxiogène ressenti à bord d’un navire qui, pourtant, est le symbole même de la liberté. Cette deuxième partie de film est une véritable tempête et la tension monte crescendo. Pourtant, Shim Sung-bo opte pour un choix quelque peu incongru. Face à des situations tout simplement terribles, il préfère rompre le ton en distillant çà et là des touches d’humour et du comique de situation. Ce mélange des genre est pour le moins inattendu et est, en plus, accentué par une musique tonitruante faite de violons pleurant les déboires du jeune couple. Maladroite, la deuxième partie peut perdre le spectateur qui ne sait plus s’il doit être dégoûté, abasourdi par tant de violence ou tout simplement ému par la tristesse profonde des personnages.
Haemoo est un bon premier film même s’il gagnerait à prendre de la distance par rapport à ses influences coréennes. Shim Sung-bo est à suivre, ça, c’est sûr !
Elvire Rémand.
Crédit photo : FFCP
Haemoo, de Shim Sung-bo. Corée. 2014. En salles le 11/03/2015.