Entretien avec Katsuka Tomita, réalisateur de Saudade

Posté le 15 avril 2014 par

En octobre dernier, le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux organisait un « focus » sur le travail de Tomita Katsuya. Juste après la présentation de Saudade et avant d’aller jeter un coup d’œil à l’exposition Gangs Story de Yan Morvan à la librairie La Mauvaise Réputation, la réalisateur japonais évoque les grands réalisateurs qui l’ont inspiré.

 Qu’est-ce que ça vous fait d’être invité au FIFIB ?

Je dois avouer que je suis tout excité de pouvoir rencontrer Abel Ferrara (également invité du festival). J’adore son œuvre. Bon, je n’ai pas vu tous ses films. En revanche, tous ceux que j’ai vu, je les adore. Je viens d’une petite ville de province au Japon et on n’avait pas de cinéma donc je les ai vus en VHS. Le premier, c’était King of New York. J’étais au lycée, je m’attendais à voir un film de gangsters lambda et finalement, c’était complètement différent de ce qu’on pouvait voir. Je me suis demandé d’où pouvait émaner toute cette souffrance. J’étais sans doute trop jeune pour voir ce film. Mais ça a un peu changé ma façon de voir des films, en fait. Donc j’ai continué à voir des Ferrara. Un peu plus tard, j’ai rencontré mon co-scénariste Aizawa Toranosuke. Il adorait  Bad Lieutenant et il m’a expliqué sa fascination pour ce film, notamment parce qu’il fait partie des rares chrétiens qui vivent au Japon. Du coup, j’ai vu le film et ça m’a permis de comprendre l’univers de mon co-scénariste. Depuis, c’est l’un de mes films préférés.

Bad Lieutenant

 Avez-vous vu le « remake » par Werner Herzog ?

Of course ! J’adore la réalisation de Werner Herzog dans ce film. Bon, il ne faut pas que je dise ça à Ferrara quand je vais le rencontrer ! (rires) Je dois admettre que les deux films sont bien différents, ils ne traitent pas le sujet de la même façon. Celui de Ferrara, c’est un film sur la passion entre Dieu et les hommes : comment ils sont liés et comment ils s’opposent au travers du processus de rédemption d’Harvey Keitel. Mais dans la version de Herzog, Nicolas Cage est déjà béni par Dieu et c’est pour ça qu’il réalise petit à petit qu’Il existe. Donc si on regarde les deux films, on peut avoir deux interprétations de la religion bien différentes depuis un même postulat. C’est assez intéressant, je trouve.

Connaissez-vous Driller Killer de Ferrara ? Parce que votre système de production est un peu le même que sur ce film.

(Il fait de grands yeux puis rit) Ah non, pas du tout. Il faut absolument que je le voie… Mais comment a-t-il financé son film ?

 Sur ses fonds personnels, je crois. Le film a coûté 20 000$. Tant qu’on est sur le cinéma à l’économie, que pensez-vous de Tsukamoto Shinya ?

C’est un grand aîné pour moi. Un très grand cinéaste qui avait déjà expérimenté cette méthode de production avant les réalisateurs de ma génération et qui a beaucoup apporté au cinéma japonais. Après la disparition des cinq studios majeurs du Japon, on disait que tous les réalisateurs faisaient du cinéma indépendant mais c’est faux, c’est Tsukamoto Shinya qui a repensé le cinéma pour les nouvelles générations et qui a montré qu’on pouvait produire de façon indépendante. Du vrai handmade. Quand on regarde le générique d’un film de Tsukamoto, il est acteur, réalisateur, scénariste, monteur, chef-opérateur, etc. C’est impressionnant. Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il nie le travail de son équipe. D’ailleurs, sur les tournages, il est réputé pour sa gentillesse. J’aime beaucoup Bullet Ballet mais pour une raison très personnelle : l’un des acteurs principaux est joué par Nakamura Tatsuya, plus connu pour être le batteur d’un groupe de rock que j’adore, LOSALIOS. Quand j’ai fini mon deuxième film, Off Highway Twenty, je lui ai donné un exemplaire parce que je voulais absolument qu’il le voit !

Tetsuo

Que pensez-vous de Tetsuo ?

Je trouve que Tetsuo ressemble beaucoup à Akira. Mais Akira, c’est de l’animation donc c’est « facile » à faire. Alors que dans Tetsuo, Tsukamoto crée un univers qu’on pensait inimaginable et ce, avec des acteurs et surtout, les moyens du bord. C’est extraordinaire. Vous savez, quand j’étais gamin, on nous parlait beaucoup des prophéties de Nostradamus, de l’Apocalypse, de la fin du monde en 1999, etc. Je pensais que j’allais mourir à 27 ans, j’étais traumatisé. Donc j’ai toujours été fasciné par les œuvres cyber punk. J’adore la chanson Five Years de David Bowie, par exemple. Je crois que c’est une des raisons qui m’a poussé à faire du cinéma. Quand je suis devenu adulte, et surtout quand je me suis rendu compte que l’Apocalypse n’arrivait pas, cette terreur s’est transformée en rêve et je me suis lancé.

Y a-t-il d’autres auteurs qui vous ont influencé ?

Le Taïwanais Edward Yang. Parce que c’est un pays à l’Histoire particulière, qui s’est enrichi après la Guerre mais qui a aussi connu beaucoup de problèmes. Edward Yang a très bien su décrire ça, notamment dans Yi Yi. Avant que Yang décède, je m’en fichais un peu de savoir si le réalisateur était vivant ou mort parce que ses films continuaient à exister de toute façon. Mais le décès de Yang m’a beaucoup choqué. Donc j’ai revu tous ces films et j’ai tout saisi de son cinéma. Sinon, mon cinéaste japonais favori reste Yanagimachi Mitsuo. Il a notamment adapté Nakagami Kenji, considéré comme le William Faulkner américain. Malheureusement, il ne tourne plus beaucoup donc on a tendance à l’oublier mais c’est un cinéaste très important. J’aimerais pouvoir prendre le même chemin que ce metteur en scène. C’est un génie. Enfin, j’aime beaucoup le film La Haine de Mathieu Kassovitz. Quand je l’ai vu la première fois, j’avais déjà une certaine culture cinématographique  et j’y ai retrouvé deux plaisirs : celui de voir un film de gangsters comme pendant mon l’adolescence, mais aussi quelque chose de plus subtil. Quand Saudade est sorti au Japon, beaucoup de gens l’ont comparé à La Haine.

La haine

Compareriez-vous Saudade à La Haine, du coup ?

Il y a des liens, oui. Notamment parce qu’on y voit la réalité, le quotidien des banlieues françaises, même si le Japon est un pays très lointain et qu’il est difficile de comparer. Du coup, je dirais quand même que Saudade a plus de liens avec le cinéma de Yanagimanchi Mitsuo.

Interview réalisée par Matthieu Rostac, traduction de Terutaro Osanaï.

Lire notre critique de Saudade ici.