Le premier long métrage de Yoon Sung-hyung fait parti des films les plus attendus de l’année. Bonne nouvelle : rebaptisé La Frappe dans nos contrée, Bleak Night arrive le 30 avril en salles. Une révélation tétanisante !
L’histoire : Après la mort de son fils, un père décide de mener l’enquête auprès de ses camarades de lycée pour comprendre le déroulement des événements qui ont mené au décès. Au fil de ses recherches, l’homme se rend compte que son fils formait un trio inséparable avec deux camarades. Mais l’un a déménagé et l’autre a quitté l’école et n’est pas venu à l’enterrement de son ami. Le récit mélange alors les lignes temporelles pour nous faire voyager dans la relation ambigüe, violente et brutale de ces trois garçons.
Après un tour des festivals où il a notamment gagné le Prix New Currents au Festival International du Film de Busan et une sortie nationale en Corée, La Frappe, projet de fin d’étude produit par la prestigieuse Korean Academy of Film Arts du tout jeune (28 ans) Yoon Sung-hyung s’offre enfin aux spectateurs français. Et autant dire que l’on ne peut être que scotché devant ce puzzle puissant et brut.
Si rien n’annonçait vraiment la maitrise et la profondeur de Bleak Night, les quatre courts-métrages du réalisateur donnent déjà le ton d’un cinéma au fort ancrage social, branché en ligne directe sur la violence du réel. Day Trip relate le voyage raté de deux amis qui rencontrent l’ex de l’un d’entre aux se livrant à la prostitution. Boys présente une amitié basée sur un rapport de force déjà très violent entre lycéens, figure que l’on verra développée dans La Frappe. Banana Shake s’inscrit dans le cadre d’un film omnibus sur les droits de l’homme et met en lumière la condition d’un travailleur immigré philippin en Corée, alors que le très court Drink and Confess se focalise sur une séance de drague foireuse. Si l’humour est présent dans ces deux dernières œuvres, plus légères, on est d’emblée dans un cinéma qui respire le mal-être social et l’échec.
Mais surtout, on décèle déjà dans ce que le cinéaste considère comme des « essais » la thématique qui sera au centre de La Frappe : la difficulté du rapport d’amitié entre les êtres dûe aux pressions qu’impose un environnement où tout est basé sur le rapport de force, de domination, de compétition… Yoon est comme fasciné par la figure de la brute, du mauvais garçon tyrannique qui martyrise les autres pour mieux cacher sa propre dérive. En ce sens, si le cinéaste cite Gus Van Sant comme son réalisateur préféré (et on sent l’influence de Paranoid Park jusque dans la construction de son long-métrage), on peut aussi percevoir l’empreinte du Scarface de De Palma sur un cinéaste qui va jusqu’à refaire la fin de L’Impasse dans Banana Shake. La relation entre Tony Montana et Manny Ribera, et surtout sa fin, semble comme être matricielle de celles des personnages de La Frappe. Il ne s’agit bien sûr pas là d’un film de gangsters mais de lycéens, mais le rapport de force entre les personnages est le même, et on peut avancer avec certitude qu’il suffit d’un rien pour que Yoon Sung-hyung transfère bientôt la rage de ses chroniques sociales dans le film noir.
La Frappe évoque donc la solitude profonde de la brute, de l’inadapté qui cherche l’amitié mais qui détruit toute relation par son comportement féroce. S’il est la première victime de ses brimades, il n’est pas excusé pour autant. D’un réalisme sans faille, le cinéma de Yoon n’excuse rien, et se montre intransigeant avec ses protagonistes. Paranoïaque, violent, en manque d’affection, le portrait que dresse Bleak Night de son héros est complexe, et a l’intelligence de ne pas pointer une source unique à son comportement (auto-)destructeur mais de les évoquer simplement, laissant le spectateur en faire le tri.
Car La Frappe se mérite. Non seulement le scénario ne pré-mâche pas ses thématiques au spectateur, mais celui-ci se trouve directement plongé dans une intrigue parcellaire, sans boussole ni points de repères. Le film nous égare pendant son premier tiers, en mélangeant les fils narratifs et les époques. En ce sens, il se montre particulièrement cohérent avec son sujet, puisqu’on est ainsi posté dans la position du père, qui mène l’enquête sur la mort d’un fils qu’il n’a jamais connu. Comme lui, le spectateur avance à tâtons parmi des souvenirs dont il reconstitue peu à peu l’ordre, parmi des visages d’abord flous qui se font peu à peu familiers. La mise en scène est à l’image de cette proximité, collant au plus près ses personnages, comme si elle volait avec urgence des instants de vie éphémères, qu’elle nous recrache avec brutalité et émotion.
On a donc hâte de voir la suite d’un parcours qui s’annonce déjà très prometteur, et compte déjà une réussite majeure qui donne foi en l’avenir du cinéma coréen. Après Suneug (en salles le 9 avril), on ne peut qu’applaudir l’audace du distributeur Dissidentz de proposer chez nous une sortie d’un film qui n’entre pas dans les deux faces bankable du cinéma coréen en France : l’auteurisme à la Hong Sang-soo ou Kim Ki-duk ou le neo-polar de vengeance, mais se présente presque comme une juste synthèse des deux.
Victor Lopez.
Bleak Night de Yoon Sung-hyung. Corée. 2012. En salles le 30/04/2014.