Un Johnnie To en séance de minuit au Black Movie, et un polar de surcroît, ça ne se manque pas. En DVD le 24 janvier en France !
Avant Blind Detective pure comédie cantonnaise dans laquelle Andy Lau et Sammy Cheng jouaient de leur complicité, il y eut ce Drug War, polar tourné en Chine Mainland. Johnnie To s’était refusé à retourner des films en Chine, le filon chinois a l’air pourtant de bien fonctionner. Avec cette histoire classique de gendarmes contre voleurs, To continue de creuser une de ses thématiques principales : le jeu de rôle, le faux semblant, l’acteur qui se met en scène.
De la fourmillante Hong-Kong, Johnnie To délocalise donc son intrigue dans une Chine en pleine grisaille. Un narcotrafiquant d’envergure se fait arrêter par la police chinoise. Cet événement est le début d’une chasse à l’homme sans merci et de jeux de dupes particulièrement retors. Ce qui intéresse le cinéaste ici, c’est avant tout les relations entre les forces de l’ordre et ce gangster, interprété par le toujours impeccable Louis Koo. Ce personnage est un pleutre, dans la plus grande tradition des personnages bouffons de To. Il aurait bien pu être interprété par Lam Suet, autre acteur fétiche de Johnnie To. Sauf que dans Drug War, le pleutre n’est pas drôle. Il se révèle cruel et violent, d’une froideur implacable. N’hésitant pas à trahir et utiliser les gens, Koo apporte un grain de folie appréciable. Toujours en mouvement, imprévisible, c’est bien lui la véritable star du long métrage. Face à Louis Koo, il fallait un contrepoids, un personnage plus mesuré, moins outrancier. Honglei Sun,interprète donc ce personnage de flic impassible. Il apparaît complètement inexpressif, et impressionne avec sa voix rauque et son sang froid à toute épreuve. A la différence du personnage de Louis Koo, ces intentions sont claires, il ne changera pas sa course. Son seul but est d’éradiquer un fléau, à tout prix.
La mise en place est donc classique et un peu longue, mettant en place les pions. Johnnie To semble peu inspiré, se contentant de filmer l’essentiel, sans éclat. C’est dans son deuxième tiers que Drug War révèle sa véritable identité. Assez ironiquement, To dévoile ses véritables intentions lorsque les personnages vont inverser leur rôle, jouant un tout autre personnage. Honglei Sun, pour s’attirer les faveurs des trafiquants, s’infiltre et prend l’identité d’un gangster excentrique. De l’impassibilité initiale, on le retrouve rieur, exubérant. Johnnie To montre des acteurs se mettant en scène en permanence, changeant de visage au gré des événements. Quand le cinéaste est intéressé, cela se voit. Le film, le temps d’une superbe scène -même si elle est intégralement reprise de Mission Impossible 4 de Brad Bird– prend de l’ampleur. To retrouve son sens du rythme et sa virtuosité technique. Les apparences sont toujours trompeuses, et le réalisateur en joue avec délectation. Quand le cinéma de To retrouve son aspect ludique , il est la plupart du temps irrésistible.
Le polar reprend le dessus, la violence reprend ses droits, les comptes se règlent une bonne fois pour toute. La scène de fusillade qu’on est en droit d’attendre a bien lieu. To substitue la stylisation à outrance à un côté plus brut, collant à une idée d’ancrage dans le réel. On est plus proche du Heat de Michael Mann que de The Mission ou Exilé. Le cinéaste joue à merveille de l’environnement et livre un moment d’adrénaline jouissif. Dans cette fusillade, les cartes sont redistribuées. Les camps ont encore une fois changé, les motivations toujours aussi incertaines.
Le trouble que jette Johnnie To n’est que superficiel. Hélas, la production chinoise se fait sentir. Evidemment tous les membres des forces de l’ordre sont intègres, pas un seul ne changera de trajectoire. Tandis que les gangsters sont soit des lâches, soit des incompétents ou des pantins. Cette opposition va au delà du film, et verse peut-être dans la propagande : la mauvaise graine vient de Hong-Kong. Les gangsters brûlent des billets de banque (référence à A Better Tomorrow ?), tandis que les gentils policiers se prêtent de l’argent durement gagné. La générosité contre l’égoïsme pur, ce schématisme gêne et annihile toute l’ambition du film. Au delà du personnage de Louis Koo, changeant et imprévisible, c’est peut-être Johnnie To qui ne cesse de retourner sa veste.
Jérémy Coifman
Drug War de Johnnie To, sortie en DVD le 24 janvier 2014 chez Metropolitan.
Drug War, diffusé au Black Movie Festival 2014.
Plus d’information sur le site du Black Movie ici !