Black Movie Festival- Syndrome and a century d’Apichatpong Weerasethakul

Posté le 24 janvier 2014 par

Syndrome and a Century, chef d’oeuvre tranquille pré-Boonmee de Weerasethakul,  dévoile de nouveau ses trésors au Black Movie Festival.

D’abord, il y a cette entrée en matière, d’une touchante simplicité. Le vent souffle sur un arbre et introduit une interview dont seul l’interrogé nous est montré. Malgré le caractère hétéroclite des questions (“Vous dessinez ?”, “Vous jouez au basket ?”), on devine qu’il s’agit d’un entretien pour un poste de médecin dans un hôpital. Mais celui-ci camoufle à peine une scène de drague, bien maladroite mais fort amusante, à l’ironie discrète et toujours filmée à hauteur de personnages. Lorsqu’ils quittent la pièce, la caméra s’éloigne d’eux et se rapproche d’une fenêtre. Le générique s’inscrit sur cette vision bucolique de la Thaïlande rurale remplie de verdure, alors que les personnages continuent de parler hors cadre jusqu’à redevenir des acteurs (ils évoquent le tournage, les répétitions des prises, le micro qui n’est pas coupé…). Impression du réel dans la fiction, tranquillité joyeuse, dilatation de la temporalité, retour post-moderne du cinéma sur lui-même, dispositif artistique à la fois très réfléchi mais laissant un sentiment de liberté total au spectateur : l’œuvre de Weerasethakul est déjà tout entière dans ce sublime prologue.

Une heure plus tard, on retrouvera la même scène, les mêmes personnages répétant les mêmes dialogues, mais dans un espace totalement différent. Comme les deux films précédant de WeerasethakulSyndrome and a Century se dédouble en son milieu, et raconte deux fois la même chose sur deux modes différents. Le dialogue est le même mais le point de vu a changé. “La première partie est pour ma mère, la seconde pour mon père”, explique le cinéaste, qui s’est effectivement inspiré de l’histoire de ses parents, médecins, pour inventer ses personnages. Dans la scène liminaire, on ne voit que lui, face caméra, fixant le spectateur des yeux. Dans la seconde partie, c’est elle que l’on voit dans le même axe. On comprend alors enfin que ce n’est pas le spectateur qu’ils scrutent, mais d’abord elle qui le contemple, puis lui qui la regarde. Volontaire, elle accapare la parole, motivant impitoyablement le récit dans la première partie se déroulant dans un hôpital de province. Contrechamp moderne de cette ruralité, la seconde partie le voit habiter un hôpital moderne d’une grande ville thaïlandaise.

Jour/nuit, Féminin/masculin, campagne/ville : l’œuvre se construit en miroir mais n’oppose pas ses éléments. Dans la ville, non seulement les moines continuent de rêver de poulets vengeurs, mais l’architecture moderne se fait le théâtre d’un fantastique discret, qui culmine dans le très fameux plan-séquence fantomatique sur le tuyau d’aération, et que l’on penserait plutôt l’apanage des forets peuplées d’êtres étranges. La construction symétrique du film n’oppose pas les choses, au contraire, elle fusionne les contraires, les gens, les atmosphères…

Cinéaste de la dialectique tranquille, Weerasethakul signe aussi avec Syndrome and a Century un film reposant et accessible, d’une tranquillité absolue, à la beauté immédiate et aux images marquantes.

Victor Lopez.

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