Impossible pour East Asia de rater une occasion de revenir sur A Touch of Sin, le film de l’année 2013 ! Et même si des sources fiables nous indiquent que certaines personnes du Black Movie préféreraient de manière incompréensible People Mountain, People Sea au chef-d’oeuvre de Jia Zhang-ke, c’est avec joie que l’on retrouve A Touch of Sin dans la programmation 2014 du festival suisse. Et donc, on en reparle !
Après I Wish I Knew, histoire de Shanghai, film passionnant mais mineur, Jia Zhang-ke revient avec un très grand film sur la Chine d’aujourd’hui, doublé d’un sublime hommage au cinéma de genre.
Avec A Touch of Sin, un vent nouveau souffle sur le cinéma de Jia Zhang-ke. Le film est d’un côté d’une parfaite cohérence avec le reste de sa filmographie dans son auscultation des métamorphoses de la Chine d’aujourd’hui, mais renouvelle également totalement le style de Jia par sa décontraction narrative et visuelle. Dès sa première scène, le film étonne et surprend par sa liberté : on reconnait bien la patte de Jia Zhang-ke et de son directeur de la photographie Yu Lik-Wai, mais on est surpris de se retrouver dans un film de genre, qui s’ouvre par un étonnant gunfight. On connaissait l’amour de Jia pour le cinéma populaire, ses films citant fréquemment ceux de John Woo, mais c’est la première fois qu’il filme lui-même l’action.
On sait que le cinéaste travaille depuis longtemps à la réalisation d’un Wu Xia (il nous en parlait dans une interview ici), et c’est comme si A Touch of Sin, dont le titre lui-même fait référence à King Hu, avait intériorisé les codes du film de sabre pour les transposer dans l’époque contemporaine. Les personnages qui peuplent les quatre tableaux qui composent le film sont caractérisés comme des archétypes de film en costumes, dont certaines situations sont également reprises, des bagarres dans des bars qui remplacent les auberges de bandits aux thématiques de la vengeance du héros bafoué par la collectivité.
Et le miracle est que ces canons du genre reflètent parfaitement sous la caméra de Jia l’époque contemporaine, et traduisent l’état d’esprit de la Chine d’aujourd’hui, des patrons qui s’enrichissent grâce aux délocalisations et échanges commerciaux entre Taïwan, Hong Kong et la Chine Mainland, du désœuvrement de la jeunesse sans repère moral, de la difficulté des femmes à trouver un espace pour exister librement. La Chine est comme toute entière dans ce film, d’une inépuisable richesse : complexe, ambiguë, multiple.
A Touch of Sin évite aussi le piège du film à sketches en faisant preuve d’une cohérence totale dans les liens qu’il tisse entre ses personnages, et les résonances thématiques qui se créent entre les quatre parties qui composent le film. Quatre destins parallèles qui se terminent dans une explosion de violence, et interrogent ce que l’on peut définir comme un péché dans leur échappatoire sanguinaire. Si un des personnages avoue prier les démons, et donc assumer sa part de responsabilité dans le déchaînement de violence qu’il va provoquer, la touche de péché qui traverse le film semble également être celui d’un pays entier, qui pousse sa population à ces extrémités.
Victor Lopez.
A Touch of Sin de Jia Zhang-ke. Chine. 2013.