Monsters Club de Toyoda Toshiaki (Kinotayo 2013)

Posté le 22 juin 2013 par

Monsters Club, disons-le d’emblée, est un film tout à fait déséquilibré. S’il fait indéniablement montre des talents de plasticien de Toyoda Toshiaki et de son habileté à tisser des atmosphères denses grâce, entre autres, à une utilisation très rigoureuse et précise du hors-champs, il souffre aussi de véritables défauts d’écriture. Le film de Toyoda ressemble en effet au type même de l’œuvre laissée trop longtemps en gestation, de l’œuvre trop réfléchie qui aurait, pour ainsi dire, « trop mûri ». Par Clément Pascaud.

Monster Club

Tout d’abord, il faut savoir que Monsters Club tient plus du pamphlet que de tout autre chose. Ceci explique d’ailleurs la facture très littéraire du film identifiable dès ses premiers instants : ça pense, ça décrit, ça écrit aussi, mais ça parle et agit peu. Très contemplatif voire méditatif, le film tourne presque intégralement autour du personnage de Ryoichi , un jeune homme qui, après avoir vu sa famille sombrer dans la mort, membre après membre, en l’espace de quelques mois, décide de vivre à l’abri du monde civilisé, perché sur une montagne en apparence inaccessible. Là, il se consacre à l’écriture de ses poèmes, à l’étude de la philosophie, à la prière, et à la confection de bombes qu’il destine aux présidents des groupes industriels les plus importants du Japon. Monsters Club nous donne donc à suivre l’itinéraire spirituel et philosophique du jeune ermite, entre longues tirades en voix off et dialogues hallucinatoires avec des fantômes.

L’ouverture du film est tout ce qu’il y avait de plus enthousiasmant, avec son lent et long traveling à travers une forêt balayée par la neige et le vent, et qui s’achevait par l’explosion d’une de ces fameuses bombes fabriquées par Ryoichi. Durant ces 5-10 premières minutes, Toyoda parvient à mettre en place de façon subtile tout l’enjeu de son Monsters Club, privilégiant une esthétique expressionniste faite de luttes incessamment reprises à chaque plan entre ombre et lumière, tempête et musique, paix et violence. Cette idée de combat, de lutte, est au cœur du discours de Ryoichi, lui qui choisit de se soustraire à l’emprise de la civilisation et de son système de domination pour vivre seul, mais libre, loin des désirs factices du consumérisme et de la frénésie mortifère, contre-nature de la société industrielle. Le discours n’est pas nouveau, mais en suivant son cours, il parvient à trouver des angles d’attaque plus originaux, parfois assez poétiques même, comme cette réflexion sur le suicide que Ryoichi entend comme le chant du cygne de l’homme libre, ou cette autre sur la poésie qu’il conçoit comme un moyen militaire d’action.

Oui mais voilà, aussi intéressantes que l’on puisse trouver les tirades du jeune ermite, il fallait, pour Toyoda, introduire dans son film l’amorce d’un drame, d’une histoire, d’un récit qui mette en relief le discours. L’apparition d’un fantôme à l’allure clownesque, dont Ryoichi ne sait s’il s’agit d’un rêve, de la mort, ou d’un souvenir, sonne le point d’orgue de Monsters Club. La mise en scène de chacune des apparitions du monstre, d’une simplicité et d’un arbitraire kafkaïens, participe largement à l’angoisse du spectateur, et nous fait redouter chaque fois un peu plus sa rencontre avec Ryoichi. Toyada tenait là l’ingrédient qui permettait d’approfondir le personnage de Ryoichi, d’incarner la voix off qui pendant tout le début du film dissertait sur la vie au sein d’un véritable drame existentiel où le doute, la culpabilité, le ressentiment et la peur auraient rompu avec la linéarité du discours récité. Dès les premières apparitions du monstre, on se demande, avec Ryoichi, de quoi celui-ci peut bien être le pendant, la marque, et peut-être Toyoda aurait-il dû en rester là, puisqu’à partir du moment où l’identité du monstre est levée (le fantôme de son grand frère), le film bascule brusquement dans le mélo familial mal ficelé où toutes les problématiques, tous les enjeux, et finalement le personnage même de Ryoichi jusque-là brossé avec tant de minutie, se dissolvent. Entre séquences onirico-mystiques où Ryoichi retrouve en rêve les défunts de sa famille, et gros plans sur des photos brûlan dans un feu de cheminée (on devrait infliger une amende aux réalisateurs qui osent encore nous infliger ce genre de scène), la suite du film consiste en des dialogues curieusement filmés entre Ryoichi et le fantôme de son frère, où celui-ci lui explique en quoi sa colère envers « le monde entier » est stérile et vaine. S’en suit un final quant à lui assez poignant, qui sonne d’ailleurs moins comme une conclusion du film que comme la résolution de sa première partie, où Ryoichi, grimé en fantôme et rattrapé par la police pour ses attentats, se met en fuite et décide d’aller se faire sauter au beau milieu de Tokyo en concluant, voix off, à l’intention de la postérité : « Tes espoirs, fais-en des poèmes ».

Monsters-Club

L’intention, l’idée et la démarche de ce Monsters Club était totalement louables –mettre en scène l’ascétisme, la peur de la mort et la poésie. Mais si Toyoda parvient, pendant la première demi-heure de son film, à nous livrer de beaux morceaux de cinéma, de poésie et de réflexion, il est trop évident que sa seconde partie manque d’inspiration, d’imagination et de distanciation par rapport à son idée de départ. Passé le message philosophique, Toyoda tombe dans une sorte de cul-de-sac qu’il ne parvient à surmonter que par une intrigue familiale totalement artificielle comme si, trop investi, trop convaincu par le discours de Ryoichi, il n’avait su comment rejoindre le domaine de la fiction cinématographique. Et ceci est d’autant plus dommageable que Monsters Club, du point de vue de l’image et de la mise en scène, reste quand même une très belle œuvre. Un mauvais film donc, sûrement pas, mais un beau gâchis.

Verdict :

Mouais copier

Clément Pascaud.

Monster Club de Uchida Kenji était présenté au Festival du film japonais contemporain Kinotayo 2013.