A Story of Life and Death and Love : Interview de son réalisateur, Eric Dinkian

Posté le 6 juin 2013 par

Nous vous avions parlé ici du film A Story of Life and Death and Love, dont financement sur Ulule est en cours (ici) et dont le tournage va bientôt débuter. Etant très intéressé par ce projet atypique et intéressant, nous vous proposons l’interview de son réalisateur, Eric Dinkian, dont ce film sera le premier long-métrage après plusieurs courts-métrages passionnants. Par Yannik Vanesse.

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  1. Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel ?

Je suis tout d’abord chef monteur à la télévision et au cinéma. En parallèle, j’ai beaucoup écrit sur le cinéma fantastique et asiatique au sein du webzine Devildead.com et de « feu » le magazine Mad Asia. En 2004, je me suis lancé dans la réalisation d’un premier court-métrage, Kaojikara, que j’ai terminé 3 ans plus tard à cause d’effets spéciaux expérimentaux outrancièrement chronophages. C’était une expérience totalement irraisonnable ! J’ai réalisé ensuite 3 autres courts-métrages qui ont pas mal voyagé, essentiellement à l’étranger. Aujourd’hui, j’enseigne le montage en école de cinéma tout en travaillant sur mon premier long-métrage, A Story of Life and Death and Love, dont le tournage est prévu pour août 2013.

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  1. Kaojikara était tourné en langue japonaise. Pourquoi ce choix ?

Tourner en japonais était dans l’idée de proposer un univers et une ambiance très particuliers pour un court-métrage français. Kaojikara étant mon premier film, je pense aussi que je n’étais pas encore à un stade très « mature » dans la réalisation. Je me reconnaissais beaucoup dans le cinéma japonais de certains auteurs et je voulais m’y rattacher absolument, au delà de l’histoire que je voulais raconter. Cela a marché quelque part car mon film a fini en bonus du DVD de Nightmare Detective de Tsukamoto Shinya, mon réalisateur favori. J’ai par la suite continué à travailler en langue japonaise sur certains de mes films, non plus pour « rendre hommage » mais pour donner au spectateur la possibilité de s’incarner dans le regard d’une personne étrangère. Les fractures de culture sont quelque chose qui me passionne et que j’ai toujours intégrée à mes histoires, de manière plus ou moins évidente.

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  1. Cela a dû amener un certain nombre de complications. Pouvez-vous nous en parler ?

Ne parlant pas grand chose d’autre que le français et l’anglais, oui, il a fallu imaginer un système de travail particulier. J’écris d’abord en français, je fais traduire, puis nous retravaillons les dialogues avec les comédiens. Même si je ne comprends pas le sens, j’écoute la « musique » de la langue et je demande aux comédiens de changer le vocabulaire si le son de certains mots me déplait. Séparer le sens et la sensation sonore est finalement une manière très saine et passionnante d’aborder les dialogues. Mon prochain film sera tourné en langue anglaise et en mandarin. Encore une autre musique…

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  1. D’où vous vient cette fascination pour le Japon ?

J’aime profondément la culture japonaise car cela a été une véritable rencontre dans ma vie. J’ai été habitué dès l’adolescence à rencontrer des gens de toutes les nationalités, de toutes les cultures. Je suis devenu alors très ami avec des Japonais qui m’ont appris ce qu’est vraiment leur culture, au-delà des clichés que l’on ressasse souvent lorsque l’on parle du Japon. Ces clefs ont été un véritable cadeau. Allez savoir pourquoi, je me suis reconnu dans cette culture qui vient pourtant de si loin. En parallèle, j’ai peu à peu découvert les cinéastes japonais des années 90 : Tsukamoto Shinya, Ishii Sogo, Iwai Shunji, Miike Takashi, Sono Sion… Ce cinéma hors norme, fabriqué de manière hors norme, m’a fortement bousculé. Cette conjoncture d’influences, personnelles et cinématographies, m’a vraiment modifié. J’ai depuis voyagé plusieurs fois au Japon, pour m’immerger encore plus profondément dans la culture avec mes amis locaux, et je m’y suis toujours senti très à l’aise.

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  1. Pour A Story of Life and Death and Love, comment est née l’histoire ?

J’ai travaillé pendant longtemps sur une version longue de mon deuxième court-métrage Precut Girl (l’histoire d’une jeune fille immortelle explorant les frontières de la mort en se tuant à répétition). C’est un film très personnel, que j’avais écrit alors que je vivais une période très sombre où des êtres aimés menaçaient de partir. Ce film est pour moi mon véritable point de départ en tant que réalisateur, avec cette envie de mélanger cinéma de genre et d’auteur, en façonnant un univers de moins en moins référencé. Il y avait beaucoup de pistes et d’idées que j’avais laissées inexplorées à cause du format court et que je désirais creuser. Malheureusement, le développement de la version longue ne s’est pas bien passé. L’histoire mélangeait des éléments qui ne communiquaient pas bien ensemble et les producteurs attachés à ce projet ont fini par se lasser, tout comme moi d’ailleurs. En laissant reposer le script un ou deux ans au profit d’autres sujets d’écriture, j’ai pu prendre conscience des conflits de mon histoire. A Story of Life and Death and Love a émergé du remodelage de ce projet. La « precut girl » du court-métrage est réinventée sous l’angle du vampire post-moderne. Mais c’est avant tout une histoire de quête existentielle, comme souvent dans mes films. C’est ultra-violent, et pourtant, le film dérive au fur et à mesure dans l’introspection et une forme de poésie. C’est un film « libre » dont le déroulement devrait beaucoup surprendre les spectateurs.

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  1. Avez-vous eu du mal à intéresser les producteurs ?

Il faut savoir qu’il est extrêmement difficile d’intéresser des producteurs lorsque l’on veut faire du cinéma de genre en France. Ce n’est pas impossible, mais très difficile. Or, lorsque l’on veut faire du cinéma de genre mais aussi du cinéma d’auteur à l’intérieur du même film, les producteurs français vous regardent comme si vous étiez un illuminé. J’ai développé pendant 3 ans plusieurs traitements de longs contenant mon univers pour le circuit « classique », mais c’est impossible à concrétiser en France. Les producteurs français prennent déjà trop de risques en vous demandant de développer du genre. Donc ils vous demandent d’écrire des projets mimant les succès américains, de viser le public jeune en supprimant toute forme de psychologie. C’est une impasse totale. Pour A Story of Life and Death and Love, j’ai immédiatement fait le choix de partir sur un circuit de financement indépendant et j’ai pu trouver très rapidement des partenaires. Je connaissais déjà Antoine Barbaroux et Arnaud Thorel d’Along Production. Ils font partie d’une nouvelle génération de producteurs, maîtrisant les rouages du système classique tout en ayant une forte capacité d’adaptation aux mutations économiques et artistiques liées aux nouveaux outils de production. À mes yeux, ils représentaient exactement ce dont mon film avait besoin. J’ai achevé l’écriture du script alors qu’ils étaient en pleine recherche de projets novateurs. Le timing était bon, le film a eu beaucoup de chance…

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  1. Comment avez-vous choisi vos acteurs principaux ? Quelles qualités étaient importantes pour vous lors de vos recherches ?

J’ai écrit le scénario avec déjà certains comédiens en tête. Maud Myers jouait un tout petit rôle dans mon court-métrage Yukiko et je l’avais trouvée formidable. Je voulais la retrouver sur un rôle plus grand. J’ai rencontré Niels Dubost en 2005 alors que j’étais monteur et lui réalisateur pour le long-métrage Bonjour, je m’appelle Maxine Renard. C’est un acteur excellent, capable de choses incroyables. Son personnage a été imaginé à la fois comme du « sur-mesure » et comme un challenge. Il restait à trouver notre premier rôle, une jeune comédienne chinoise capable de voyager d’un claquement de doigts dans les extrêmes, capable de faire peur mais aussi d’émouvoir. Nous avons lancé un casting et nous avons ainsi eu la chance de croiser la route de Yaru Gao qui s’est approprié le personnage de manière inespérée.

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  1. Avez-vous eu du mal à la trouver ?

Trouver une comédienne chinoise pour ce film était un pari que nous n’étions pas sûrs de remporter. Il y a peu de comédiennes chinoises basées en France ou reliées à la France. Sachant cela, il fallait que la comédienne n’ait pas peur du contenu du rôle car le personnage est régulièrement au cœur de séquences violentes et de scènes d’amour. Ce qui n’est pas simple à assumer, en particulier pour des comédiennes d’origine chinoise. Enfin, avec un film indépendant, nous étions confrontés à l’inquiétude des agents de voir leurs protégées se fourvoyer hors d’un système qu’elles ont eu tellement de mal à intégrer. Cela fait beaucoup d’obstacles mais grâce à la magie du destin, nous avons rencontré notre perle rare.

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  1. Vous dites avoir longtemps recherché des financements plus classiques. Avez-vous envisagé d’aller tourner aux Etats-Unis, ou la France est-elle importante ?

C’est une question difficile. La France est le pays où je suis né, où mon fils est né. Je suis un réalisateur français, je souhaite travailler en France et pourtant je me sens rejeté par mon propre pays. Mes précédents courts-métrages voyagent beaucoup à l’étranger, ils sont extrêmement valorisés par les festivals et circuits indépendants. Mais en France, mon travail est peu reconnu. À l’étranger, le fait de mélanger le film de genre et le film d’auteur est considéré comme une richesse. En France, on vous dit que vous avez, je cite, « le cul entre deux chaises ». La France est extrêmement méfiante vis-à-vis des productions indépendantes, on ne vous prend pas au sérieux. Or, lorsque vous êtes indépendant aux Etats-Unis ou en Asie, vous êtes considéré comme un artiste qui a le courage de travailler à contre-courant du système pour maîtriser l’intégralité de votre vision. L’ambiance qui règne en France est donc, à mon échelle, étouffante. Cependant j’ai bon espoir que la crise que traverse le cinéma français (cf. les nombreux articles polémiques du moment) nous aide à nous réinventer sainement. Mais nous ne sommes pas naïfs non plus. A Story of Life and Death and Love va être tourné en langue étrangère pour toucher le marché international. Bien que nous tournons en France, nous en avons donc déjà fait le deuil.

  1. Est-ce que les préparatifs du film, comme les repérages ou autres, sont faits ? Si oui, pouvez-vous nous parler un peu des lieux emblématiques de votre film ?

Oui, les préparatifs du film ont commencé depuis un certains temps. Nous avons beaucoup de petits rôles et de décors que nous recherchons encore assidûment. En termes de décors, nous travaillons sur un Paris insolite bien loin de la carte postale. Nous avons trouvé toute une foule d’aberrations urbaines que nous allons exploiter à l’intérieur du film. Ce sera Paris comme vous ne l’imaginez pas !

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  1. Aimeriez-vous, un jour, tourner un film au Japon ?

Oui, j’aimerais beaucoup tourner un jour au Japon. C’est un pays extrêmement cinégénique, avec énormément de comédiens talentueux. J’ai sous le coude un script se déroulant au Japon. J’espère qu’un jour, il deviendra réalité.

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  1. Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué, et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi ?

Il y a beaucoup de scènes qui m’ont profondément touché. Mais si je ne devais en garder qu’une, ce serait la scène de la chanson de Dean Stockwell dans Blue Velvet de David Lynch. La scène nous place au milieu d’un groupe de criminels extrêmement dérangés par le biais d’un playback sur un tube vintage. C’est une séquence d’une émotion folle, à la fois terrifiante de violence et d’une beauté insondable. J’ai beau l’avoir vue, revue et re-revue un nombre incalculable de fois, la fascination que j’éprouve pour cette séquence ne s’est jamais altérée. Bien au contraire…

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