Critique de Thy Womb de Brillante Ma. Mendoza (Deauville Asia 2013)

Posté le 18 mars 2013 par

Brillante Ma. Mendoza s’est imposé en très peu de temps comme le cinéaste le plus important des Philippines. Sa filmographie, démarrée il n’y pourtant pas si longtemps que cela, est déjà très impressionnante. Quand on l’avait quitté dernièrement après Captive, sa carrière semblait en être à un tournant. Plus de moyens, une tête d’affiche internationale, on se demandait vers où cela allait le mener. Nous avons eu notre réponse à Deauville, avec son magnifique et intimiste Thy Womb. Par Frédéric Rosset.

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Situé aux îles de Tawi-Tawi, une région du Sud des Philippines jusqu’alors jamais vue au cinéma, Thy Womb surprend et enchante d’office par son univers extrêmement lumineux et coloré, aux antipodes de la pénombre de la salle de cinéma de Serbis, la nuit de Kinatay ou encore la jungle touffue de Captive. Mais sous la quiétude d’un paradis terrestre apparent, Mendoza inflige très vite à ses spectateurs et ses personnages une piqûre de rappel des réalités sociales de son pays, avec une surprenante et rapide irruption de violence. Notre couple de héros, qui pêchaient tranquillement, se fait agresser par une bande de pirates surgissant de nulle part, et s’en sortent in extremis, une balle dans le ventre comme souvenir pour le mari.

Mais là n’est pas le sujet de Thy Womb, l’incident est oublié dès la scène suivante. L’unique préoccupation de ce couple de pauvres pêcheurs qu’on imagine quadragénaire est l’infertilité de la femme. Pour y remédier, une seule solution : trouver une nouvelle épouse au mari, qui portera ses enfants. Ainsi, Thy Womb est un film à taille humaine, où l’aspect politique ne dépasse pas la toile de fond. Pourtant, ces irruptions instantanées n’en resteront pas là. L’armée rode, et peut survenir à tout moment, quand on ne s’y attend plus. Comme lors d’un mariage, grande scène de mise en scène et grand moment de bonheur affiché soudainement gâché par des sirènes d’autant plus inquiétantes que les personnages, que la caméra suit au plus près, ne voient pas d’où elles proviennent. L’armée se contente ici de ne faire que des vagues, mais comme le montre de manière magnifiquement simple une de leurs dernières interventions, cela peut suffire à les faire chuter à tout moment.

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Qu’importe. Nos deux personnages font tout pour ne pas se soucier de ces intempéries intempestives. Comme quasiment tous les films de Brillante Ma. Mendoza, il est pourtant bien question de survivre. Mais la survie, malgré une réalité sociale bien encrée à l’image, est cette fois plus métaphysique. Il faut absolument perpétuer l’espèce. La survie dans Thy Womb se résume à l’arrivée d’une nouvelle vie. Pour cela, notre héroïne est prête à tout. Mendoza passe tout son film à suivre ses démarches pour trouver une nouvelle femme à son mari, sans jamais la quitter d’une semelle. Un combat d’autant plus émouvant qu’il l’amène irrémédiablement à un ultime sacrifice. Tout cela est filmé sans jugement. Le point de vue du film est d’autant plus fort qu’il n’omet pas celui du mari, personnage tout aussi touchant, perdu par les conséquences qu’auront ses actes. Ce couple s’aime, ils fonctionnent à merveille ensemble, et c’est de là que Mendoza puise la sincère émotion que traverse Thy Womb.thy-womb-foto-film

Très vite, il apparaît évident que ce film est à rapprocher de Lola. C’en est plus exactement un négatif ; le but n’est plus d’enterrer mais de faire naître  De plus, outre ce personnage prêt au sacrifice du substitut, comme la grand-mère Lola qui voulait être arrêtée à la place de son fils, il y a bien sûr la place centrale de l’eau. Lors de son hommage à Wong Kar-wai au festival du film asiatique de Deauville, le président du jury Jérôme Clément rappelait l’omniprésence de l’eau dans le cinéma du réalisateur hongkongais, grand symbole d’une mélancolie diluée. On peut difficilement trouver styles plus différents qu’entre ceux de Wong Kar-wai et Brillante Ma. Mendoza. Pourtant, cette remarque s’applique totalement au film du Philippin. Ses personnages avancent, sachant très bien que quelque chose d’essentiel s’est brisé à la suite de leur quête, mais ils prennent sur eux, le retour en arrière étant impossible.

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L’eau, c’est aussi des vagues. Comme celles provoquées par l’armée, citées plus haut. Parler des « vagues de la vie » peut paraître désuet, mais c’est bel et bien tout le propos de Mendoza, qu’il illustre tout en continu et douceur. On parlait en introduction de l’apport ou non de meilleurs moyens techniques. Dans Thy Womb, fini les travellings tremblants à la Serbis. Quand mouvement il y a, comme la scène centrale du mariage, il est discret, dansant. Comme des vagues.

De nouveau, à l’image de Lola, si sur le fond il est sans cesse question d’argent, et sur la forme d’un lieu magnifique sublimé, le tout devient un film d’une humanité débordante et absolument bouleversante.

Frédéric Rosset.

Verdict : 

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