Deauville Asia 2013 : Mekong Hotel d’Apichatpong Weerasethakul

Posté le 4 mars 2013 par

Mekong Hotel, après avoir été spécialement programmé à la sélection « Un Certain Regard » du festival de Cannes 2012, est présenté hors-compétition à Deauville Asia 2013. L’occasion idéale de revenir sur le film de vampire du grand Apichatpong Weerasethakul. Par Nicolas Debarle.

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Film post-Palme d’or, Mekong Hotel n’a objectivement pas l’ampleur d’Oncle Boonmee (2010). Comme ce dernier, certes, le film constitue une fenêtre ouverte sur une autre culture (histoires de fantômes et de réincarnations), mais il faut bien reconnaître que la forme expérimentale arborée ici relève d’une facture bien plus hermétique que celle des précédents films du cinéaste.

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Aux dires même de Weerasethakul, Mekong Hotel reprend un projet que celui-ci avait l’intention de réaliser depuis plusieurs années. S’inspirant d’une légende thaïlandaise, le scénario finalement conçu propose de mettre en scène l’histoire d’une mère et de sa fille devenues vampires. Celles-ci, au fil de leur réincarnation en ce bas monde, ne cessent de retrouver un homme dont la jeune femme est éprise malgré l’indifférence que ce dernier éprouve à son égard. C’est en rendant visite à son actrice fétiche, Jenjira Pongpas, qui précisément habite au bord du Mékong, que Weerasethakul a eu alors l’idée de situer son récit sur les rives du même fleuve.

Aux antipodes de l’image expressionniste auxquels ils renvoient en Occident, les vampires dont il est question n’ont rien de spectaculaire : rien ne souligne leur appartenance à une autre espèce humaine. De même, les scènes au cours desquelles les vampires se mettent à dévorer des entrailles humaines n’offrent qu’un minimum d’effets spéciaux. Il ne s’agit pas de faire vrai, comme dans les films hollywoodiens, mais de faire pour de faux, comme il peut arriver au théâtre. Pour paraphraser Godard, ce qu’on voit n’est pas du sang, mais du rouge. Ce détournement des règles du réalisme, au sens où nous l’entendons dans le cinéma occidental, a évidemment de quoi dérouter le spectateur non averti.

Weerasethakul, au cours de sa carrière, nous avait déjà habitués à ce type de représentation. Ce qui semble toutefois avoir changé entre Oncle Boonmee et Mekong Hotel se situe dans la conception de la mise en scène. Si Oncle Boonmee, malgré ses écarts, orientait plus ou moins son récit sous une forme linéaire, Mekong Hotel propose quant à lui un récit complètement éclaté, sans cesse replié sur lui-même. Le film, d’une certaine façon, exacerbe la tendance narrative observée depuis Tropical Malady. Le cinéaste, en effet, ne se contente pas de situer son récit dans un lieu donné, en l’occurrence l’hôtel situé au bord du fleuve, mais fait du film, si l’on veut, l’expression même du lieu.

Ce langage du lieu mis en œuvre dans Mekong Hotel conduit à une désorganisation des événements du récit, dans la mesure où le film ne s’appuie pas sur le déroulement logique d’une histoire, mais sur le déploiement symbolique des potentialités offertes par le lieu. Le développement du film semble avant tout calqué sur l’architecture même de l’hôtel : le fait de passer, puis de revenir, par les différents couloirs de l’hôtel des chambres jusqu’à la terrasse donnant sur le fleuve, permet d’embrayer sur autant de micro récits sous-tendus par une logique qui leur est propre. L’organisation de l’espace ne mène plus à une structuration du récit, mais en réalité à son point d’échappement.

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C’est pourquoi le film paraît morcelé et à bien des égards, difficilement compréhensible. Mais s’agit-il de faire comprendre quoi que ce soit ? Comparable encore une fois à certains procédés employés par Godard (on pense surtout à Détective qui se déroule également dans un hôtel), la logique mise en valeur ici invite le spectateur à recomposer de lui-même les événements dépeints, à les visiter, les interpréter, à tâcher de les habiter. Comme Godard en effet, Weerasethakul accuse une préférence pour la mise en cadre de scènes de la vie quotidienne déréalisées, mêlée à des lignes de dialogues impromptus.

Parallèlement, le film repose tout entier sur la transgression de certaines catégories logiques communément admises au cinéma. Obéissant aux lois de la réincarnation, les personnages se voient susceptibles d’arborer différentes personnalités à chaque nouvelle scène, voire de se revendiquer d’une autre espèce humaine (celle des vampires). La frontière s’efface entre les morts et les vivants, et rien dans le film ne vient souligner le partage du monde entre l’une et l’autre catégorie. Tel souvenir évoqué au cours de la discussion peut relever d’une vie antérieure à celle actuellement vécue par le personnage.

À cela s’ajoute une certaine confusion dans la matière fictionnelle du film en tant que tel. Tirant du côté de la légende, la dimension fictionnelle, liée à la présence des vampires, se mêle à la réalité documentaire dont le film ne cesse d’un autre côté de se nourrir. Le récit se voit effectivement ponctué d’interventions télévisées qui informent les personnages des importantes inondations ayant eu lieu en Thaïlande au cours de l’été 2011. Dans une même optique, quelques références au passé militariste du pays parcourent également le film.

Les personnages, très souvent, ont le regard tourné en direction du fleuve. Il faut dire que ce dernier joue un rôle déterminant dans l’organisation logique du film. Le Mékong, dans un premier temps, est tenu comme la frontière politique entre la Thaïlande et le Laos, ce qu’il est réellement. Passer d’une rive à l’autre permet en ce sens de passer d’un système politique à un autre. C’est le cas des réfugiés laotiens venus s’exiler en Thaïlande, dont il est question dans certaines conversations. Le fleuve, dans un second temps, évoque un peu à la façon du Styx l’ultime frontière entre les espaces : se trouvent, d’un côté celui dans lequel on revient à la vie en se réincarnant, et de l’autre côté cet autre monde qu’on ne saurait voir. Le dernier plan est révélateur : des personnages effectuent en jet-ski des va-et-vient entre les deux rives du fleuve, tandis qu’un tronc d’arbre est lentement entraîné par le courant. Le flottement entre les deux rives, entre les deux mondes, donne lieu à une chorégraphie hypnotique symbolisant l’écoulement même du film.

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Se retrouver entre deux mondes, à l’instar d’un rêve, tel semble l’objet de Mekong Hotel – ce en quoi la musique, omniprésente, concourt de son côté. Épousant symboliquement le rythme de l’eau, la musique s’enchevêtre au défilement des images comme pour composer une forme de poésie moderne.

Nicolas Debarle.

Verdict :

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D’une durée très courte (1h01), Mekong Hotel se définit, au regard de la filmographie de son réalisateur, comme un exercice de style, un film de transition. Weerasethakul continue à dépeindre l’univers qui est le sien, mais le résultat semble avoir pris une nouvelle tournure, à mi-chemin entre l’installation vidéo et le long métrage de cinéma.

Mekong Hotel d’Apichatpong Weerasethakul sera présenté lors du festival Deauville Asia 2013, du 6 au 10 mars.

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