Le coffret DVD édité par Terracotta proposant le premier film de Kim Ki-Duk, Crocodile (1996), et Arirang présenté en 2011 à Cannes, est un objet étrange. À fortement déconseiller à celui qui souhaite découvrir le cinéaste, à prendre avec beaucoup de recul même pour ses plus fervents admirateurs, Crocodile et Arirang – qui sont parmi ses films les moins réussis – se trouvent associés ici pour vivre de leurs écarts mais tendent pourtant à se rapprocher. Par Fabien Alloin.
Le coffret met en évidence par leur absence les grands films de Kim Ki-Duk qui ont grandi entre ses premiers pas de 1996 et ses confessions de 2011 où, face caméra, il se mettait en scène après la traversée du désert qui suivit Dream (2008). Qu’il s’agisse de son premier film inabouti Crocodile ou du récent journal intime Arirang, il est difficile de retrouver à travers les figures à l’écran celles bien plus fortes que l’on connaît déjà (le maître de Printemps, été, automne, hiver…et printemps (2003) ; le soldat de The Coast Guard (2002) ; le couple de Locataires (2004) ou Yeo-Jin de Samaria (2004)). Si l’un comme l’autre semble déconnectés des seize autres films de Kim Ki-Duk, si Crocodile a tout d’un premier film partant dans tous les sens et si Arirang n’a que trop conscience des métrages passés – quand Kim Ki-Duk se passe le DVD de Printemps, été, automne, hiver…et printemps, il trouve la plus belle scène de son film – ces deux œuvres se répondent pourtant étrangement.
Crocodile
Crocodile (Jo Jae-Hyeon) a une trentaine d’années et vit avec un vieil homme et un gamin sous le pont d’une grande ville, à quelques mètres d’un fleuve. Quand un homme ou une femme se jette du pont pour se suicider, Crocodile plonge pour récupérer le corps et monnayer son échange avec la famille. Kim Ki-Duk dans Arirang vit, lui, à l’écart du monde, dans une cabane en haut d’une montagne. Il reste là comme pour se punir de l’accident mortel qui a été évité de peu sur le tournage de Dream, quand Lee Na-young manqua de mourir lors d’une scène de pendaison et fut sauvée in extremis par le réalisateur lui-même. Crocodile est un homme dangereux, violent et pour son premier film, Kim Ki-Duk fait face à cette violence de la façon la plus crue qui soit. Si nombre de scènes ont perdu de leur caractère provocant au fil des ans et si le film n’évite pas le kitsch, les longs viols successifs que commet le personnage principal restent toujours aujourd’hui très inconfortables. Le cinéaste les filme de manière frontale, sans changement de point de vue entre elles et les scènes banales qui les entourent, et Crocodile s’abreuve jusqu’à son – magnifique – dernier plan de cette banalité.
Arirang
Crocodile est un homme dangereux et Kim Ki-Duk dans sa cabane d’Arirang, entre deux sanglots, semble croire qu’il l’est également. Il répète inlassablement à sa caméra l’incident de Dream qui l’a tant marqué et la question qui revient comme une litanie est simple : « Et si un acteur mourrait par ma faute pendant le tournage de l’un de mes films, qu’est-ce que cela ferait-il de moi » ? On a beaucoup accusé Kim Ki-Duk d’égocentrisme après Arirang et s’il est en effet difficile de survivre au caractère vain de l’entreprise, ce qui marque surtout l’image est le profond besoin de cinéma du réalisateur sud-coréen. Alors que selon ses propres mots Crocodile lui est tombé dessus sans attente préalable de sa part, sans qu’il ne se soit encore jamais intéressé au cinéma, ne plus tourner en 2011 apparaît comme une douleur insupportable. C’est cette douleur, cette victimisation avec laquelle joue Kim Ki-Duk qui rapidement tue dans l’œuf Arirang. On sent le besoin pour le cinéaste d’aller vers de nouveaux films mais également la nécessité de nous dire à quel point il est dur d’être lui même cet homme qui a failli tuer son actrice. Moins d’une heure aurait suffi au film et lui aurait sans doute permis de toucher plus précisément sa cible. Après 90 minutes de discussions faites de champ-contrechamp avec son ombre ou son écran d’ordinateur, on a depuis longtemps cessé de s’inquiéter pour le cinéaste. Au contraire du héros de Crocodile, on ne sait rien de Kim Ki-Duk à travers les images qu’il nous propose et aucune compassion, aucune affection ne semble permises. Le cinéaste a beau s’accuser de tous les maux et se rabaisser plus bas que terre, il n’arrive jamais à nous convaincre pleinement de la sincérité de sa démarche. Alors que le désagréable personnage de Crocodile arrivait à toucher son spectateur dans les ultimes minutes, on est plutôt heureux de laisser Kim Ki-Duk dans sa montagne quand se termine Arirang. Aux dernières nouvelles, il se dit qu’il en est descendu peu de temps après pour présenter Amen (2011) au Festival de San Sebastian et se voir remettre le Lion d’or de la 69ème Mostra de Venise pour son dernier film Pieta (2012). Aux dernières nouvelles, il va mieux mais personne n’en avait vraiment douté. Quant à son cinéma, on demande à voir.
Fabien Alloin.
Verdict : ce coffret présentant deux films importants dans l’œuvre de Kim Ki-Duk – son premier et celui de sa réapparition à Cannes en 2011 – reste tout de même réservé aux plus curieux. Crocodile et Arirang vivent en effet très difficilement sans le recul du spectateur sur la filmographie du cinéaste.
Le double DVD Arirang et Crocodile est disponible depuis le 13 novembre 2012 chez Terracotta (attention, sous-titres uniquement en anglais pour les deux films).