Critique de Jusqu’à mon dernier souffle (Jab Tak Hai Jaan) de Yash Chopra

Posté le 23 novembre 2012 par

Point final épique et émouvant ! Jusqu’à mon dernier souffle est le chant du cygne de l’illustre Yash Chopra, grand bretteur de la romance indienne, devant l’éternel ! Imparfaite mais saisissante, cette ultime œuvre réserve bien des surprises. Entre tradition et modernisme, Yashji remanie les grands poncifs « bollywoodiens ». L’empreinte aguerrie du metteur en scène étonne par sa fougue et sa fraîcheur. S’il fut en phase avec son temps, il sut aussi le devancer. Yash Chopra bouleverse une dernière fois le cinéma, ses codes, en y alliant nostalgie et innovation. Un épilogue qui sied à une carrière incomparable et montre la voie à une nouvelle génération de cinéastes. Par Marjolaine Gout.

 

Si l’ouverture du film rappelle The Hurt Locker (USA, 2008), avec une séquence de déminage haletante, détrompez-vous ! Yash Chopra n’empiète point sur les plates-bandes de Kathryn Bigelow. Sous la plume d’Aditya Chopra, fils de Yash Chopra, le film reprend les canons scénaristiques de Bollywood en s’évertuant à les remanier, voire à les briser. Ainsi pour la première fois en vingt ans de carrière, Shah Rukh Khan donne ses premiers baisers de cinéma ! Si néanmoins un manque de finesse est à déplorer, le récit reste implacable par l’efficacité de la réalisation.

 

Dans la lignée de Daag ou encore de Silsila, Yash Chopra s’attelle à revisiter et redéfinir la romance. Au programme de cette œuvre, une histoire d’amour contrariée portée par un trio étonnant : Shah Rukh Khan y interprète Samar, un démineur au service de l’armée indienne. Un personnage mystérieux et téméraire hanté par des blessures passées. Katrina Kaif (Meera) est l’objet de ces maux tandis qu’Anushka Sharma (Akira) joue un rôle pivot, charnière permettant à l’histoire de se révéler et de se développer. Aditya Chopra recycle ici la trame narrative de Veer-Zaara (2004, Yash Chopra), en débutant l’intrigue par un flash-back. Il nous propose une histoire d’amour où deux êtres vont être séparés avant que l’action ne reprenne son cours et ne se poursuive dans le présent.

 

Ce long-métrage s’incarne sous diverses facettes. A priori, film moderne se déroulant du Cachemire jusqu’en Angleterre, Jusqu’à mon dernier souffle se dévoile sous la forme d’un conte. Nous avons même le droit à une légende digne de ce nom. Samar, défiant au quotidien la mort, est présenté tel que « l’homme qui ne peut mourir » et dont le secret réside dans son passé ! Yash Chopra, conscient de réaliser son dernier film, renoue avec la source ! Enfin les sources ! Les folklores pendjabi et rajasthani sont ainsi réinvestis. Les emprunts se matérialisent par le biais de l’histoire d’amour qui nous est narrée. Soulignée par les paroles d’Heer, un des morceaux musical du film, la relation entre le personnage de Samar (Shah Rukh Khan) et Meera (Katrina Kaif) évoque celle des drames de Mirza et Sahiban ou d’Heer et Ranjha. Si les tragédies de ces amants font écho au récit, c’est avant tout la conviction de leur amour passionné qui s’exhale dans Jusqu’à mon dernier souffle. Un amour intemporel et incommensurable porté au firmament. D’autre part, le personnage éthéré de Katrina Kaif (Meera), bien que moulé sur celui des grands rôles féminins de Yash Chopra, renvoie à celui de la princesse dévote Meerabai. Tout ce sous-texte sert ici de clef de voûte à la romance et permet de dresser un hommage aux racines du cinéma commercial indien calqué sur et influencé par ces chants, danses et histoires.

 

Cette dernière œuvre de Yash Chopra fait office de testament. Le film est ainsi parsemé de références à sa longue carrière et de l’héritage qu’il laisse au cinéma hindi. Il distille ici les ingrédients qui ont fait son succès : décors grandiloquents, paysages « exotiques », personnage féminin chopraïen, mais aussi et surtout une musique omniprésente. Ces mélodies, constellant ces films, participent à l’un des atouts majeurs de Yash Chopra. Elles sont vectrices d’émotions et confèrent une aura particulière au film, un pouls enivrant. Elles s’inscrivent comme l’âme de ces films. Jusqu’à mon dernier souffle n’échappe pas à cette tradition et de surcroît innove ! Une scène mémorable sera à buriner dans l’histoire du cinéma. Yash Chopra insère ainsi un morceau instrumental, à la manière de son Tandav  (Lamhe) ou rappelant son Dance of Envy  (Dil To Pagal Hai). Intitulé  Ishq Dance, ce passage, mêlant batterie et percussion afro-cubaine, présente un duel de danse imbriqué dans l’intrigue. Un numéro explosif ourdi par les méninges de la chorégraphe Vaibhavi Merchant ! Mais le brio de cette séquence se manifeste par un grand tour de prestidigitation. Yash Chopra, maître incontesté du crescendo et de la montée en intensité des émotions, démontre ses talents de roi de la surenchère. Alors que la séquence musicale touche à sa fin, il surprend et ose enchaîner par une autre chanson chorégraphiée (Ishq Shava). Il double ainsi sa scène de danse en troquant les percussions pour un florilège de cordes où s’invitent oud, mandoline, saz et guitare. Il démontre ainsi sa dextérité à mettre en scène des climax impétueux, à expérimenter et à vous maintenir en haleine durant approximativement 3h, sans se heurter à une baisse de régime.

 

Au-delà de ces inventions et agencements de séquences surprenants, le grand thème de ce film reste l’amour. Mais à l’instar de Veer-Zaara qui proposait un double sens, en pansant les blessures de la partition, ici d’autres sous-textes émergent. Certes, Yash Chopra porte un regard sur les mœurs de la jeunesse et de la vision de l’amour comme un consommable, mais le libre arbitre reste au cœur du film. Jouant sur les contradictions tout au long du récit, afin de mettre en évidence les problématiques, il questionne la religion, ses croyances et son emprise aveugle sur les êtres. Il dénonce les dangers d’une foi à outrance et mal interprétée. Le christianisme sert de terrain suisse, enfin neutre, pour aborder un mal qui fâche et subsiste comme genèse des conflits humains.

 

Yash Chopra sert avec conviction une dernière ode au cinéma hindi par le biais d’une passion grandiloquente. Une conclusion parfaite à son œuvre où il expose aux générations actuelles et futures de cinéastes la possibilité de garder les traditions et valeurs d’un art « ancestral » et de le pérenniser en le modifiant. Il démontre qu’il ne faut surtout point laisser un art figé dans la naphtaline, mais le faire évoluer avec son temps, tout en gardant sa substance. Un classique revigorant les cœurs ! Une ode fascinante qui, sous des atours simplistes et une manipulation des sentiments, se révèle tout autre.

Marjolaine Gout.

Verdict : 

Jusqu’à mon dernier souffle (Jab Tak Hai Jaan) est en salles depuis le 21/11/2012.