Sorti en 2005, Lady Vengeance boucle la trilogie consacrée par Park Chan-wook à la vengeance : après Sympathy for Mister Vengeance et Old Boy, le virtuose réalisateur sud-coréen propose une nouvelle variation (en mineur) sur le même thème. Sortie en Blu-ray le 2 mai 2012. Par Antoine Benderitter.
Au bout de treize ans de détention, Lee Geum-ja sort de prison. La jeune femme avait été accusée, à l’âge de dix-neuf ans, du kidnapping et du meurtre d’un petit garçon. Une succession de flashbacks pose peu à peu les pièces du puzzle. De souriante et lumineuse, Lee Geum-ja est devenue glaciale, inquiétante – une statue de cire affublée d’un étrange maquillage rouge autour des yeux. Elle va partir à la recherche de sa fille, adoptée par une famille australienne ; et en même temps, préparer une vengeance d’autant plus fracassante qu’elle aura été longuement mûrie… Nous n’en dirons pas plus pour éviter les spoilers.
Narrativement, Lady Vengeance met du temps à abattre toutes ses cartes. Le début peut paraître décousu. Principal point d’accroche : des effets visuels tapageurs, moulés dans le grand angle et le cinémascope habituel de Park Chan-wook. La virtuosité de la mise en scène reste toutefois en-deçà d’Old Boy : le rythme s’avère un peu moins frénétique, les mouvements de caméra plus rares – sauf dans le dernier quart du film. Pour autant, il serait incongru de parler de sobriété. Park Chan-wook multiplie les petites trouvailles techniques, si ce n’est les vraies idées. Il les veut roboratives. Et les collectionne comme il ferait son marché. Exemple : cette scène de rêve avec un chien à tête humaine (image que n’auraient reniée ni Salvador Dali, ni le Tim Burton de Mars Attacks). Ou bien ces split-screens assez originaux, déployés à l’ouverture d’une porte ou entre les pages d’un carnet qu’on feuillette.
Le montage brasse et malaxe des plans ciselés, millimétrés, surcadrés, où chaque objet, chaque cil semble à sa place. Même quand la caméra reste immobile (ce qui arrive plus souvent que dans Old Boy), on dirait qu’elle prend la pose. Moins de pudeur que d’affectation dans ces mises à distance. D’autant que giclent ensuite à l’écran des jets de mauvais goût, d’hystérie, de grotesque. Si le film respire, c’est sous forme de halètements. Comme s’il étouffait – non sous l’effet des drames humains qu’il prétend peindre que par son empressement, à la fois exhibitionniste et onaniste, à sans cesse vouloir démontrer sa maîtrise. Dès lors, le spectateur reste réduit à son rôle originel : celui de pur spectateur justement. Balloté d’un plan artificiel à l’autre. Relégué à distance et sans possibilité de réelle implication émotionnelle.
Seule caution à tant de facticité : une sorte de jouissance formelle qui peut s’avérer contagieuse. D’autant que le film parvient en général à se distinguer de l’esthétique criarde des clips et publicités avec lesquels, certes, il ne cesse de flirter dangereusement. Il n’y a pas que les images qui sont soignées ; les musiques sont magnifiques. Bande originale baroqueuse signée par Choi Seung-hyun. Beaucoup de Vivaldi. Un peu de Paganini. Autant de choix inattendus qui dégagent un frisson, une ivresse plus kinesthésique qu’émotionnel.
Enfin, que dire de la méditation – intéressante quoiqu’éculée – introduite par le scénario sur la vengeance, l’ambigüité de la violence, la quête compliquée voire impossible de rédemption ? Cette réflexion, au même titre que l’émotion, se trouve à tel point submergée par des effets grossiers qu’on pense presque à une blague. Et on se fait la remarque qu’en effet, le film est assez drôle ; même ses accès de violence lorgnent plus vers la parodie que vers le malaise (cf. par exemple, en prison, le personnage de la sorcière). C’est peut-être ce comique saillant par à-coups qui le sauve du naufrage – à condition de consentir au point de vue distancié auquel nous invite la mise en scène. Lady Vengeance reposerait alors moins sur une longue montée d’excitation rythmée d’orgasmes successifs et ascensionnels (comme chez Tarantino) que sur un long éclat de rire, inégal et spasmodique, frôlant le jouissif par sa saturation d’effets violents au service purement d’eux-mêmes. Voilà par où ce film hyper maniéré reste regardable. Mais guère plus en ce qui nous concerne.
L’objet Blu-ray s’avère pour sa part à la hauteur, tant par la qualité technique de la copie que par le contenu éditorial :
- Interface et écran d’accueil : designsobre, stylé, rien à dire.
- Image et son : résolution impeccable de l’image, bande-son à l’avenant. Le travail admirable du chef-opérateur est restitué à la perfection. Certaines saturations chromatiques, un peu excessives, semblent faire partie du choix esthétique d’origine.
- Chapitrage : seul point noir : le chapitrage explicite est absent de cette édition. Étrange et un peu frustrant. Mais peut-être parce que le Blu-ray que nous avons eu à notre disposition était une version de test ?
- Suppléments : une petite dizaine de courts-métrages, instructifs à défaut d’être renversants : mini making-of ; interviews du réalisateur, des techniciens, des acteurs (autour de la conception visuelle du film, ses effets spéciaux, etc.) ; reportage sur la présentation du film au festival de Venise ; bandes-annonces. À quoi s’ajoutent des commentaires audios.
Antoine Benderitter.
Verdict :
Lady Vengeance de Park Chan-wook, disponible en Blu-Ray chez Metropolitan depuis le 02/05/2012.