Deuxième adaptation du Best Seller de Higashino Keigo, après une version Coréenne en 2009, Into The White Night, cette fois-ci réalisé par Fukagawa Yoshihiro, nous ouvre les portes de son univers tortueux… et torturé. Par Jérémy Coifman.
Into The White Night commence sous la grisaille, comme un signe annonciateur. Tout est terne et triste. Nous sommes dans les années 80. Un meurtre est commis. Un prêteur sur gage est retrouvé poignardé dans un entrepôt laissé vacant. Les passants s’attardent dans la rue, attirés par l’agitation ambiante. La police est déjà sur les lieux. Qui a donc pu assassiner cet homme ?
Into The White Night par Kinotayo
On est plongé en plein polar. L’imagerie terne, le meurtre, les flics déterminés, on pense que l’on va avoir à faire à un Whodunnit archi-classique. Même le personnage du policier (interprété par Funakoshi Eichirô) a des allures de Colombo, avec son air de ne pas y toucher et sa grande politesse masquant une grande impertinence. Toute la première partie est linéaire, et conforte le spectateur dans la veine du film policier. Investigations, interrogatoires, mines patibulaires, nous sommes en terrain connu. Malgré la froideur environnante, la gravité de la situation et une peinture sociale peu reluisante, Into The White Night garde dans un premier temps un certain humour. On pense notamment à Memories Of Murder de Bong joon-ho pour son humour à froid, son absurdité au milieu de l’horreur. Tout cela fonctionne à merveille. Les bases du récit sont bien posées, les enjeux bien identifiables et les personnages assez bien dessinés.
La police, qui est au cœur de cette première partie, offre une image des plus détestables. Elle est composée de petits arrivistes, totalement incapables de résoudre le moindre cas. Le commandement est tourné en ridicule, leur seule volonté étant de boucler l’affaire au plus vite. Seul notre héros surnage, déterminé, attentif, empathique. On tente de développer son personnage ; ses passages à l’hôpital, son enfant atteint d’un cancer, sa femme. Ce pan de l’histoire, bien que semblant un peu artificiel, aura toute son importance par la suite.
Petit à petit, sans qu’on s’en rende bien compte, le film change de point de vue. Le flic fait la connaissance tour à tour de Ryôji , fils de la victime et de Yukiho, la fille de la suspecte numéro un. On rentre dans leur vie. On découvre un garçon très renfermé, semblant cacher beaucoup de choses et une petite fille née dans une famille pauvre, mais déjà très éveillée pour son jeune âge. Cette introduction est très réussie. L’attachement à ses deux personnages est quasiment immédiat. C’est au travers des yeux du personnage du policier, qu’on les voit d’abord. Il se prend d’affection, cela se voit dans son regard. Funakoshi Eichirô est parfait. Il donne beaucoup de douceur au personnage. Par des gestes, des attentions, il montre les différentes facettes de cet homme. À ce moment du récit, l’intrigue progresse au rythme de l’investigation. Mais ce changement de point de vue, assez abrupte, fait basculer le long métrage. Un autre film commence. Cette première partie finit comme elle avait commencé : dans le sang.
Le temps a passé. L’enquête est bouclée depuis pas mal d’années. Une adolescente est maltraitée par des camarades de classe. On ne sait pas bien qui on est censé regarder. Une autre fille, plus tard, vient lui proposer son amitié. On comprend (difficilement), que cette autre fille est Yukiho. Ce changement de temporalité soudain, de point de vue, de personnages, fait totalement perdre le fil. Il faut bien 10 minutes pour bien comprendre ce qui se passe. Un autre film commence. À partir de ce moment, la narration va être – et ce jusque dans la dernière demie-heure – complètement fragmentée. Ce n’est plus un polar. Ce deuxième acte est une chronique adolescente. On suivra en parallèle les destins de Yukiho (Horikita Maki), de Ryôji (Kôra Kengo) et toujours, de l’inspecteur Sasagaki. Dit comme cela, tout semble assez simple. Pourtant la narration est tellement explosée, la multiplication des personnages est tellement grande (une foule de personnages vont et viennent pendant toute la seconde partie) qu’on ne s’y retrouve pas vraiment. Il faut du temps pour assembler toutes les pièces du puzzle. On voit la déchéance de l’un (Ryôji), et l’ascension sociale de l’autre (Yukiho). Tout semble réussir à la jeune fille.
Adoptée par une parente éloignée, elle vit maintenant loin de la pauvreté. Elle est belle et populaire. Ryôji, de son côté est solitaire, se prostituant pour gagner de quoi survivre. Ses blessures sont encore trop vives. Il est complètement désenchanté. De son côté, Sasagaki ne croit pas en la résolution de l’enquête. Depuis des années, son obsession grandit, pendant que ses collègues avancent (son partenaire, incompétent, est devenu son chef). Le problème avec ce procédé, en plus de sa propension à faire décrocher le spectateur, est qu’on a toujours une longueur d’avance sur les personnages. Il n’est pas très difficile de comprendre les tenants et aboutissants de cette histoire. Et voir Sasagaki patauger est un peu risible, tant tout cela est évident.
Sasagaki est bien le seul que ce meurtre intéresse encore. Même le réalisateur semble s’en détacher complètement. L’intérêt pour lui réside dans cette étude de l’après. Que se passe t-il pour ses pauvres enfants que la vie n’a pas gâté ? Peuvent-ils trouver une place dans la société ? Quand l’un abandonne complètement, l’autre n’a qu’une ambition : gravir les échelons. Bien qu’intéressante dans ses thématiques, cette partie se révèle quelque peu longue et maniérée. L’humour a disparu ou presque, les personnages sont déterminés, froids. Ils ne changeront pas de cap. Le meurtre, évènement déclencheur, est un tourbillon, qui entrainera bien du monde dans son sillon mortel.
Le film traverse finalement deux décennies. Sasagaki part à la retraite. Sa vie s’est résumée à une enquête. Sa seule amie est la femme de la victime du meurtre, qui tient un bar en ville. Ryoji est plus déprimé que jamais et Yukiho est en haut de l’échelle. Les personnages n’ont décidément pas changé. Ce troisième acte, est totalement désenchanté. Finalement, Into The White Night, n’est pas plus un thriller, qu’une étude sociologique. C’est un drôle de film. La narration se fait de nouveau plus linéaire. C’est le dénouement. Bien que trop explicative (flashbacks, dialogues démonstratifs), la dernière partie se montre, sur certains aspects, assez belle. Tous les personnages trouvent finalement ce qu’ils recherchaient. Sasagaki cherchait un fils, Ryoji un père. Quant à Yukiho, personnage froid et calculateur, elle trouve la richesse et le pouvoir.
Verdict :
Brassant des thèmes très pénibles (pédophilie, viol, meurtre), Into The White Night est un film hybride assez difficile à appréhender. Trop long (2h29), trop emberlificoté, il fascine pourtant grâce à ses personnages très forts et son ambiance. Les trois acteurs principaux sont parfaits. D’une froideur glaciale, d’un pessimisme total, le constat de Fukagawa est sans appel (même si un peu plus de finesse dans le dénouement n’aurait pas fait de mal !) S’il peut rebuter sur plusieurs aspects, le film mérite d’être découvert.
Jérémy Coifman.
Into The White Night de Fukagawa Yoshihiro est présenté, du 8 au 29 novembre 2011 dans le cadre du festival Kinotayo. Séances et horaires ici !