Fantômes du cinéma japonais (les métamorphoses de Sadako) de Stéphane du Mesnildot (livre)

Posté le 19 juin 2011 par

Développer sa cinéphilie ne passe pas exclusivement par le visionnage de films. Aujourd’hui, c’est de littérature que nous allons parler, avec Fantômes du cinéma japonais, superbe livre de  Stéphane du Mesnildot que nous offrent les éditions Rouges Profond, qui s’étaient déjà occupées du livre de Julien Sévéon, Le Cinéma enragé au Japon. Par Yannik Vanesse.

Stéphane du Mesnildot est un homme de goût, comme le prouve le choix des sujets qu’il traite dans ses livres. En effet, avant de s’intéresser à l’horreur made in Japan, il s’était occupé d’un ouvrage sur Jess Franco, délicieux réalisateur érotico-nanar.

Cette fois-ci, il écrit, d’une plume des plus plaisantes, sur les fantômes japonais. Plus précisément, son ouvrage s’attarde sur ce courant appelé J-Horror, faisant apparaître dans le quotidien des fantômes, généralement de jeunes femmes aux cheveux sales. Ce courant, dont le titre le plus connu est Ring.

Et les premiers chapitres se révèlent diablement prometteurs ! Bien que l’ouvrage soit parsemé de nombreuses coquilles – répétitions de mots ou autre – , nous n’atteignons heureusement pas, dans ce registre, le niveau de du Cinéma enragé au Japon, et le livre reste néanmoins très agréable à lire. De plus, retraçant les origines de la J-Horror jusque dans la littérature ancienne et le théâtre, il démontre d’une part que l’écrivain connait bien son sujet, et d’autre part, il donne envie de découvrir plusieurs hommes de lettre et réalisateurs. De surcroit, en ne se limitant pas au cinéma japonais, mais en parlant aussi des films coréens  influencés par la J-Horror et des remakes américains, ainsi qu’en parlant d’œuvres s’éloignant de la traditionnelle histoire de fantômes pour étudier et théoriser sur une évolution probable du cinéma d’horreur japonais, le chroniqueur montre qu’il ne veut pas être réducteur mais au contraire, traiter du sujet au sens large. Excellente chose…

Hélas, rapidement, des détails commencent à agacer le lecteur. D’une part, chaque fois que Stéphane du Mesnildot parle d’un film, il en révèle la fin. Et s’il est vrai que souvent cette chute est utile à son argumentation, cela gâche le plaisir que l’on pourrait retirer du visionage des films cités. De nombreux films dont parle l’auteur semblent intéressants, mais en savoir la fin ne donne que moyennement envie, d’un seul coup, de les regarder. Espérons que l’écrivain ne s’intéressera jamais au polar à twist américains. Mais ce n’est cependant pas le plus grave. Car, si certaines réflexions sont des plus pertinentes, d’autres paraissent tirées par les cheveux. Il est évident que Ring et les autres films de la J-Horror sont truffés de symboles, que certains points peuvent être étudiées et disséqués. Mais pas tout et, parfois, Stéphane de Mesnildot part dans des études bien improbables et trop intellectualisées à partir d’un simple objet, comme le puits de Ring et tombe dans un symbolisme interprétatif outrancier. S’il ne fait aucun doute que le puits est important et qu’il peut prêter à réflexion, l’auteur va trop loin, creuse trop profondément. De même, il cite bien trop souvent d’autres films. Là encore, il ne fait aucun doute que les réalisateurs concernés ont des influences. Mais l’auteur, en prenant des petits points de détails et en dissertant longuement sur l’influence de tel ou tel film, de tel ou tel cinéma, donne l’impression de surtout vouloir faire étalage de sa cinéphilie. De plus, certaines de ses comparaisons sont carrément fumeuses… Dire que The Grudge démontre les influences de David Lynch sur son réalisateur est hallucinant. Stéphane de Mesnildot va jusqu’à parler des influences de Lost Highway sur le film, et votre serviteur, grand fan de David Lynch en général et de Lost Highway en particulier, se demande encore où sont ces influences… Ce n’est pas parce que Bill Pulman a joué dans The Grudge et dans Lost Highway, que les deux films peuvent être comparés. Car si Quentin Tarantino engage souvent ses acteurs en référence à d’autres films dans lesquels ils ont joués, ce n’est pas le cas de tous les réalisateurs de la création. De même, parce que Sadako a été enfantée par une créature venue des océans, le chroniqueur du livre nous parle des influences lovecraftiennes. Là encore, c’est totalement exagéré. Des esprits, fées ou autre, vivant dans les cours d’eaux et les océans, il en existe depuis bien avant le Moyen-Âge, et des histoires d’amour et d’enfantement entre humains et fées existent depuis tout aussi longtemps.

Mais Stéphane de Mesnildot ne s’arrête pas là et va jusqu’à influencer les réponses des réalisateurs qu’il interviewe – entretiens qu’il aurait mieux valu disséminer dans l’ouvrage plutôt que de les mettre tous ensembles à la fin. Par exemple, il demande à un cinéaste d’où vient l’idée de faire que les fantômes paralysent leurs victimes. Ce dernier explique qu’il a vu un spectre, enfant, et que la surprise et la peur l’ont figé sur place, et que cette idée vient de là. Dans la question suivante, il est demandé au réalisateur si, en donnant à Sadako le pouvoir de paralyser les gens, il s’était bien inspiré de la gorgone.

Et toutes ces critiques finissent par nous faire nous interroger sur la pertinence de l’argumentation que l’on trouvait si intéressante au départ.

Au final, malgré une écriture plaisante et de superbes photos, le livre échoue, de part la trop grande partialité de son auteur, à nous renseigner sur ce sujet si intéressant qu’est la J-Horror, et provoque déception et énervement.

Yannik Vanesse.

Fantômes du cinéma japonais (les métamorphoses de Sadako) de Stéphane du Mesnildot, livre publié aux éditions Rouges Profonds. 224 pages, 300 image, 22 euros.

Imprimer


8 commentaires pour “Fantômes du cinéma japonais (les métamorphoses de Sadako) de Stéphane du Mesnildot (livre)”

  1. Hello Yannik, comme tu le sais, je te trouve un peu dur avec ce bouquin, qui n’est certes pas exempts de défauts (à mon sens il manque quand même une partie sur Ichise Takashige ou au moins sur les studios et la production des films, et ça manque aussi parfois un peu d’éléments « objectif » : des chiffres d’entrée, la manière dont les films ont été reçu, perçu, au Japon et dans le monde) mais ses qualités sont quand même nombreuses et méritent d’être soulignées…

    L’écriture est super fluide et la construction de l’ouvrage assez complète (toute la première partie sur l’histoire des fantômes dans le cinéma japonais, avant la nouvelle vague de J-Horror est vraiment passionnante). Après, c’est clair qu’il a un point de vu très « européano-centré », d’où je pense les référence parfois un peu tirées par les cheveux – sales. Donc je te rejoins un peu mais te trouve quand même bien sévère… Je pense que c’est aussi un moyen d’amener son lecteur, français, avec des références généralement non-spécialisées sur le cinéma asiatiques, à mieux le comprendre en faisant des ponts avec ce qu’il connait. J’ai ressentit cela notamment quand Stéphane de Mesmillot parle de Ghost Actress et qu’il dit que le film est dans la tradition de La Nuit américaine de Truffaut…

    Bref, à travers tout cela, on sent quand même bien la passion de l’auteur et le fait qu’il essaye de la faire partager au plus grand nombre – car le livre est quand même, et c’est une grande qualité – très accessible, en plus d’être un très bel ouvrage.

  2. « Je pense que c’est aussi un moyen d’amener son lecteur, français, avec des références généralement non-spécialisées sur le cinéma asiatiques, à mieux le comprendre  »

    Personne ne pense qu’à un moment il faudrait justement des bouquins hyper spécialisés, largement documentés (etc…) plutot qu’un enieme livre « grand public » ? l’argument cinema de niche, thematique de niche c’est joli de vouloir l’ouvrir au plus grand nombre, mais ceux qui vont acheter ce ne sont pas réellement ceux qui en ont une subite envie de découverte. Ce sont majoritairement ceux qui connaissent déjà, et qui à en croire Yannick vont encore se retrouver face à un ouvrage certes sympathique mais totalement éloigné de ce qu’ils sont en droit d’attendre.

    (par contre merci pour mon rire du soir avec l’influence Lovecraftienne appliquée à un référence japonaise venue de leur propre bestiaire mythologique….. Ca me donnerait presque envie de lire ce livre; envie que je n’avais pas meme si j’aimais bien lire l’auteur quand il bloguait)

  3. Oui, mais après, pas sur non plus que la faute incombe à l’auteur du bouquin qu’à l’état de l’édition… Il y a franchement peu (pas ?) d’éditeurs français prêt à prendre le risque de publier des livres trop spécialisés sur le cinéma asiatique. C’est ce que me disait par exemple Olivier Hadouchi quand je l’avait rencontré pour un entretien sur son très bon ouvrage sur Fukasaku. Sorti des territoires beaux-livres, analyses d’auteurs européens ou américains, c’est quand même difficile de proposer quelque chose et d’avoir une chance de le sortir… Un ami qui termine un ouvrage sur le cinéma algérien m’a par exemple expliqué qu’il s’était fait rembarré par une maison d’édition qui se dit pourtant cinéphile et ouverte sur le monde (elle est dirigée par un ancien des Cahiers) qui lui a rétorqué que ça n’intéressait personne…

    Mais après, dans le cas du livre en question (les considérations du haut étaient plutôt générales), je ne vois pas 1000 livres sur le cinéma d’horreur japonais en Français à la Fnac (donc, « pour l’énième », je ne comprends pas trop) et avoir ce bouquin pour commencéer me va donc très bien. D’autre part, le côté introductif du livre n’empêche pas le fait qu’il soit « largement documenté »…

    C’est plutôt dans l’usage des références (critiquée par Yannik) que je vois une tentative de créer des ponts entre deux univers et de les ouvrir aussi (ça ne marche effectivement pas toujours, difficile c’est vrai de voir le rapport enter Lynch et Shimizu, Sadako et Lovecraft – même si il semblerai que ce soient surtout les entretiens avec les cinéastes qui poussent l’auteur vers ces interprétations : la plupart reconnaissent en effet avoir lu Lovecraft…)

  4. « « pour l’énième », je ne comprends pas trop »
    >> entendons nous bien, que le livre soit sur le cinema vague j-horror ou sur le jidai geki, ça ne fait pour moi aucune différence. Si on a encore le droit à un nouvelle variation, plus etoffée puisque centrée dessus, sur comment, quoi qu’est ce (etc…) la spécificité de la j-horror, franchement autant prendre les Tadao Sato et s’enquiller les films. Mais j’assume clairement que cette position est purement personnelle. Les interviews m’interessent, le reste…… ok j’ai pas lu le bouquin et je risque de ne jamais le faire sauf au détour d’un rayonnage MK2, mais voilà je prefere m’enquiller un livre d’histoire / folklore / sociologie orienté Japon et faire un parallele avec les films plutot que lire une analyse freudienne de la symbolique du puit dans la relation du réalisateur avec sa mère (j’extrapole, hein !). Si en plus ça spoile, la grande classe.
    Ce qui m’interesse, en tant que lecteur : interviews (et pas des grands noms connus, merci, on a les memes en gratuit sur internet), petit lexique de rapprochement culturel, une palanquée de titres par thématiques (kaibyo eiga par ex) avec real, acteurs, studio, année…… Si analyse il y a j’aimerai bien que ce soit sur l’oeuvre d’un real ou meme d’un producteur, pas sur un genre en le survolant forcément meme si l’auteur est sincere dans son approche.

    Quant au probleme éditorial, je comprend l’argument, mais je le recois mal. Si il faut qu’un auteur biaise son idée de livre pour rassurer des frileux, le probleme vient aussi de l’auteur. (mon raisonnement est cloisonné, terriblement égoiste et irréaliste, mais je l’assume).

    « même si il semblerai que ce soient surtout les entretiens avec les cinéastes qui poussent l’auteur vers ces interprétations : la plupart reconnaissent en effet avoir lu Lovecraft…) »
    >> moui mais tout le monde a lu Lovecraft (enfin les gens de bon gout avant tout). J’ai quand meme personnellement du mal à croire qu’un fantome tirant son essence d’une partie religion / folklore (assez dense) ait besoin de se comparer à l’oeuvre, géniale, de Lovecraft alors que ca ne joue pas sur les memes tableaux. Enfin c’est pas si comme la mer jouait un role prépondérant dans une partie des croyances paiennes de l’archipel….. là clairement on pinaille sur du détail, c’est peut etre tourné autrement dans le livre.

  5. et je n’ai rien contre Stéphane du Mesnildot. Là ça tombe sur son bouquin, mais la matiere de mon discours est générale pas juste sur ce livre (que je n’ai pas lu).

    Au final, je trouve plus de matiere correspondant à mes attentes dans ce que publient différents internautes (fr ou non) plutot que dans les publications dans les langues que je maitrise. Au lieu de raler, j’ai qu’à bosser sérieusement mon japonais, ça m’apprendra.

  6. Certes, les auteurs disent aimer Lovecraf, mais comme le dit Guillaume, on peut aimer un auteur sans que forcément cela se ressente dans son oeuvre. Et c’est un des gros problèmes du bouquin, c’est que son auteur tire des conclusions hâtives (non parce que The Grudge, lynchien, heu…)

    De plus, la propension qu’à l’auteur d’influencer les réponses des gens qu’il interviewe me fait relativiser tout ça…

    Et si je comprends les craintes de publication, les édition Rouge Profond ont tout de même publié « le cinéma enragé au Japon ». Et si je pense qu’un livre plus pointilleux sur la j-horror pourrait se vendre, Ring ayant fait un carton, tout comme The Grudge, les remake étant connu du plus grand nombre, « le cinéma enragé au Japon » parlait tout de même de réalisateurs au mieux connus seulement des amateurs éclairés de cinéma asiatique particulier, et au pire ne sont même pas sortis chez nous. Et pourtant l’ouvrage traitait son sujet avec un sérieux bien plus grand, et une pertinence bien plus importante…

    Victor, tu n’es pas tendre avec Ang Lee même si tu pense que « Tigre et dragon » est un bon wu xia pian pour néophyte (c’est d’ailleurs ce film qui m’a fait découvrir ce genre et m’a donné envie de creuser plus loin, découvrant les vrais bons wu xia pian (et des moins bon évidemment)), et je pense honnêtement que le livre là ne mérite pas d’être mieux considéré… J’espère de tout coeur qu’il n’a pas traité si mal Jess Franco, mais honnêtement, la j-horror, genre que j’affectionne au plus haut point, méritait meilleur porte parole…

  7. « le cinéma enragé au Japon » parlait tout de même de réalisateurs au mieux connus seulement des amateurs éclairés de cinéma asiatique particulier, et au pire ne sont même pas sortis chez nous. Et pourtant l’ouvrage traitait son sujet avec un sérieux bien plus grand, et une pertinence bien plus importante… »

    Reste que le père Seveon nous a refourgé une première edition complètement torchée! Pas question que je repasse à la caisse pour avoir la version achevée.

  8. Je n’ai lu que la version achevée, je dois dire. Dommage qu’il y avait tellement de coquilles – coquilles que l’on retrouve d’ailleurs dans une certaine mesure dans ce livre-ci.

Laissez un commentaire


*