Carte des sons de Tokyo d’Isabel Coixet (DVD)

Posté le 9 juin 2011 par

A l’occasion de la sortie du DVD de Carte des sons de Tokyo, retour sur le beau film d’Isabel Coixet.

Tokyo, immense métropole en perpétuelle effervescence, constitue depuis toujours un puits d’inspiration sans limites auprès des réalisateurs étrangers  Sofia Coppola, Gaspard Noé, Jean-Pierre Limosin, Hou Hsiao Hsien…). Isabel Coixet, réalisatrice espagnole, rend à son tour hommage avec Cartes des sons de Tokyo à cette cité sensuelle, et livre son interprétation sensible de cette ville aussi troublante que singulière.

 

« Ce que vous allez voir n’est pas une théorie sur le Japon. J’ai filmé un Tokyo imaginaire : mon Tokyo, le Tokyo que j’aime… »

Propos de la réalisatrice durant le Festival Paris Cinéma, juillet 2010.

L’histoire : Le film nous conte le quotidien de Ryu, jeune femme mystérieuse qui travaille de jour dans une halle à marée et qui la nuit devient occasionnellement une tueuse à gage. Elle est engagée un jour par Ishida, bras droit de monsieur Nagara, homme d’affaire influent dont la vie s’écroule à la suite du suicide de sa fille, pour assassiner son petit ami David, que le businessman tient pour responsable. Le tout se déroule sous les yeux d’un vieil ingénieur du son qui, fasciné par la belle, enregistre ses moindres faits et gestes et devient ainsi le témoin discret de cette fable urbaine mélancolique.

Un chef d’entreprise qui cherche à se venger, une tueuse qui s’éprend de sa cible, un exilé qui cherche à oublier le décès de l’être aimé : les trois destins que nous conte Cartes des sons de Tokyo sont d’une tristesse insondable. C’est cette solitude mélancolique, ce sentiment de perte irrémédiable (d’un être dont la disparition, pour diverses raisons, va faire perdre le sens de la vie de nos trois protagonistes, qui vont devoir apprendre à surmonter ce vide) que va tenter de capter Isabel Coixet, bien plus que les conséquences narratives que ces trames pourraient entrainer. On s’en réjouit tant le film gagne en subtilité et en pouvoir d’évocation à mesure qu’il perd en épaisseur scénaristique.

Car Carte des sons de Tokyo ne fait pas mentir son titre. Il s’agit avant tout d’un voyage sensoriel dans la métropole japonaise, au cours duquel les sons ont autant d’importance que les images. La méticulosité accordée à la bande-son impressionne tout au long du métrage, et on se laisse porter par les choix parfaits d’une musique omniprésente ( Anthony and the Johnsons, Depeche Mode avec le très signifiant Enjoy the Silence, Hibari Misora, etc.), et une bande sonore conçue avec un soin nous plongeant de manière immersif dans les sons de la ville (le bourdonnement de la nuit, les croassements de corbeaux : on croit vraiment y être…).


Attention cependant à bien prendre en compte que l’invitation au voyage s’apparente à une escale temporaire et non à un long séjour sous peine d’être déçu. Soyons clair : Cartes des sons de Tokyo n’est pas un film japonais, mais une vision extérieure de Tokyo par une catalane, qui nous invite à rêver avec elle à la ville qu’elle imagine sous sa caméra. Celle-ci s’attache alors à capter les détails pittoresque d’un monde qui contraste avec la culture occidentale. Attirent alors le regard les parapluies pour chien, les espaces fumeurs dans les rues, les wagons réservés aux femmes dans le métro, et les personnages ne manquent pas de faire une halte dans un love hôtel, de chanter dans un karaoké ou de manger des ramens, plus ou moins bruyamment. On accepte cette optique touristique grâce au personnage de David, qu’incarne Sergi Lopez ( voir son interview )avec son mélange habituel d’assurance animale et de tristesse un peu paumée, égaré dans une ville étrangère, où il a suivit une femme qui n’est plus. Véritable point de vu du film (plus que l’ingénieur du son, qui en serait le pont d’ouïe…), il justifie ces errances par son regard toujours peu habitué aux excentricités d’un pays qu’il ne comprend pas trois ans après son installation.

Cates des sons de Tokyo

Les personnages japonais ne sont pas pour autant négligés. Ryu, incarnée par la belle Kikuchi Rinko, vue dans le Babel d’ Inarritu (l’antithèse lourdingue de ce film en terme de construction narrative) dégage ainsi une tristesse que son mutisme ne parvient pas à longtemps cacher. Elle se glisse pour tromper sa solitude désespérée dans la peau du fantôme d’un amour décédé. Elle aide ainsi, en comblant le vide d’un être qui n’est plus, David à accepter cette disparition tout en allégeant sa culpabilité, et en gagnant un peu elle-même en personnalité.

Le film lui-même semble prendre en assurance à mesure de sa progression, et se clôt sur une magnifique scène d’adieu qui vient conclure de belle façon une œuvre à la fragilité sensible et émouvante.

Victor Lopez et Olivier Smach.

Verdict :

 

Cartes des sons de Tokyo, disponible en DVD, édité par Bodega depuis le 15/06/2011.