Et nous voici de nouveau en direct de la ville de l’amour et de l’eau fraîche, Udine, qui nous aura mis de très bonne humeur avec une flopée de films comiques en ce second jour de festival !
Les nuits sont chaudes à Udine, avec le triple bill des films pinku, ci-dessus, l’incontournable Abnormal family, sous l’influence d’Ozu
Dimanche 01 mai
Chine Impérialiste
Mais en préambule du compte-rendu des visionnages du jour, un tout petit détour par la conférence sur le cinéma chinois de samedi qui s’est tenu à 18h45. Car OUI, si le festival invite plus d’une trentaine d’intervenants, ce n’est pas uniquement pour leur demander de présenter leurs films et de se prêter au jeu des questions et réponses avec la presse et les médias, mais bel et bien pour aller à la rencontre du public en organisant chaque jour des tables rondes autour d’un thème donné. Pour initier le cycle de ces rencontres, le festival a fait honneur au réalisateur du film d’ouverture, Welcome to Shama Town , Li Weiran, accompagné de son producteur Lu Yang, en lui demandant de passer en revue l’actuelle situation du cinéma chinois.
Avec 526 longs (officiellement) sortis en 2010, l’Empire du Milieu pointe désormais à la troisième place de la production cinématographique mondiale après l’Inde (plus de 1.200 films) et les États-Unis. L’ouverture de toujours plus de salles (312 en 2010) et de multiplexes à la pointe de la technologie dans tout le pays fait miroiter une croissance accrue des bénéfices et du nombre de métrages produits. Des officiels ont même récemment dit qu’ils envisageaient de dépasser l’Inde dans les dix ans à venir… Dix-sept films ont dépassé la barre mythique des 100 millions de RMB en 2010, barre jugée infranchissable seulement un an plus tôt. Aftershock de Feng Xiaogang et Let the bullets fly de Jiang Wen ont même atteint les 660 millions de RMB !
Pourtant Lu Yang met en garde contre l’incroyable fragilité de cette nouvelle économie : l’offre est d’ores et déjà trop grande pour un marché en construction, qui ne peut évidemment absorber une telle quantité de métrages et assurer le succès à toutes les sorties. De même, de la volonté affirmée des politiciens de vouloir se hisser à tout prix à la première place du podium de la production mondiale va inévitablement résulter une forte baisse de la qualité des films pour atteindre les chiffres exigés. c’est un peu ce qui s’est passé lors de l’instauration des fameux quotas coréens, qui obligeaient les exploitants de salles de passer des films locaux sur un certain nombre de jours donnés. c’est aussi ce qui arrive actuellement en Indonésie…
Dans tous les cas, la qualité a pâti avec des productions emballées à coût réduit en un minimum de temps. Et puis, il y a évidemment le manque de savoir-faire avec trop peu de centres de formation et de main-d’œuvre qualifiée pour satisfaire à tous les postes. Sans parler du goût du public, encore fortement imprégné des productions locales nationalistes et propagandistes, qu’on leur a servi pendant des années. D’un côté, il demande à découvrir des nouvelles choses, comme l’atteste leur curiosité pour des genres relativement inédits avec le succès surprise du récent Battlefield Los Angeles , mais de l’autre côté, il réclame les films “à formules” pour se trouver en terrain connu.
Bref, un débat passionnant, qu’il serait bon de rouvrir à l’occasion dans les pages de ce site. Quant au reste de la rencontre, ce fut surtout des banalités et des anecdotes concernant le tournage de Shama Town . Pour une interview plus complète, je vous conseille celle, très complète, publiée dans le catalogue du festival de cette année, que vous pouvez acquérir sur le site du festival. A moins que des petits malins ne mettent les pages scannées bientôt sur le Net en ne se rendant une nouvelle fois pas compte de la gravité de leur acte, notamment envers un festival comme Udine, dont une partie de l’économie repose sur la vente des produits dérivés pour assurer la survie.
Du rire aux âmes
Allez, projecteur, Serge, avec la diffusion d’une comédie romantique thaïe bien mielleuse comme il faut pour bien commencer la journée. A crazy thing called love a été LE succès surprise du box-office thaï de 2010.
Sans tête d’affiche en-dehors de Mario Maurer (qui continue à réussir à interpréter des lycéens convaincants la vingtaine passée) et la comique issue de la télévision Tukky Budprom dans un rôle secondaire, le long a pourtant réussi à attirer un public nombreux dans les salles grâce à son slogan “basé sur l’histoire de vie de nous tous”. Cette histoire, c’est celle de Nam, qui va passer ses années lycée à courir après le bellâtre de service. Cette promesse aura suffi à susciter un énorme bouche-à-oreille et à pousser certains spectateurs à revenir voir le film plus de vingt fois dans les salles, tickets (nominatifs) pour preuve à l’appui ! OUI, la Thaïlande est un pays bizarre, surtout que cette comédie n’a rien de franchement exceptionnel, même si elle est plutôt plaisante, en-dehors d’une fin absolument immonde et inutile. Une séquelle est d’ores et déjà en cours d’écriture, reprenant directement à la fin du premier épisode.
The Lady shogun and her men du japonais Kaneko Fuminori change radicalement de ton en plongeant le spectateur dans une “uchronie” au cours de laquelle le Japon du XVIIIe a connu une terrible épidémie, qui a éradiqué la quasi-totalité des hommes (le ratio est de un pour quatre). Les rares survivants sont l’objet de tous les désirs des nombreuses femmes et les meilleurs d’entre eux ont été regroupés dans “O-oku”, un pavillon fermé au public et où les hommes sont dits servir (et satisfaire) l’Impératrice.
Évidemment, le spectateur va découvrir la “cité interdite” de l’intérieur, en suivant l’arrivée du fifre Mizuno Unoshin, qui va rapidement grimper les échelons pour espérer s’attirer les faveur de la Première Dame du Japon. Car OUI, il aurait mieux fait de rester “dehors” à bénéficier de tous les traitements de faveur de la part de la gente féminine : au Pavillon, le voilà soumis aux tâches les plus ingrates. Il doit de plus assurer ses arrières au propre comme au figuré avec 800 autres hommes perpétuellement obligés de ronger leur frein… Franchement, le film vaut surtout pour l’incroyable idée merveilleusement développée dans les pages de l’œuvre de la mangaka Yoshinaga Fumi. Car cette adaptation ressemble à s’y méprendre n’importe quelles productions nippones actuelles : tournage en HD CAM, mise en scène absolument insipide, décors tocs et comédiens cabotins… Même vu comme un divertissement familial, l’ensemble reste affreusement consensuel, avec des sous-entendus homoérotiques abordés des bouts des lèvres et un happy-end très malvenu.
L’après-midi, place à une autre adaptation de manga, Motel d’ Okada Yukio, transposée par Moriya Kentaro ( School Daze ) sous le titre de Seaside Motel , qui maintenait le grain de folie développé depuis le matin. Moriya reprend brillamment le flambeau des anciens réalisateurs de clips vidéo des années 2000, à l’instar d’un Sekiguchi Gen ( Survive Style 5 + ) ou Isshii Katsuhito ( Funky Forest ), qui étaient passés avec bonheur au long en insufflant un peu de sang neuf dans un système terriblement vieux jeu. Seaside Motel pourrait également s’apparenter à un film à sketches avec les différents personnages du fameux hôtel du titre (qui se trouve très loin des côtés, en pleine montagne), qui vont tous finir par interagir lors d’un dénouement d’ores et déjà culte.
La comédie romantique coréenne Cyrano Agency de Kim Hyun-seok ( When romance meets destiny ) diffusée l’après-midi renouait un tout petit peu avec celle du matin, mais en s’adressant à un public (amoureux) plus mature. Le postulat est tout simplement génial avec cette troupe de comédiens amateurs, qui proposent leurs services pour tenter de réunir une personne avec l’objet de leurs désirs. Ils ne reculeront devant rien pour arriver à leurs fins, en interprétant des très nombreux rôles pour forcer la main au destin et en réussissant même à faire pleuvoir dans certains cas.
Le hongkongais The private eyes fait partie du mini-focus accordé au comédien Michael Hui dans le cadre de la remise du prix de l’ensemble de sa carrière au cours du festival. Là encore, il faudra sérieusement penser à éditer un dossier à part pour célébrer tout le génie comique de Michael Hui et de ses frères, qui ont sérieusement chamboulé le genre de la comédie asiatique tout au long des années 1970 et 1980, pendant que nous, pauvres français, on se tapait Les Charlots et Les Bidasses. Bref, The private eyes est le troisième long-métrage des trois frères, où l’ouverture d’une agence de privés ne leur sert qu’à un long enchaînement de gags de plus en plus désopilants tout au long des 94 trop courtes minutes que dure le spectacle. Notons, que certains téléspectateurs se rappelleront peut-être être tombés aux tous débuts d’ARTE sur l’étrange personnage “M. Boo”, qui affrontait des adversaires à coups de saucisses-nunchakus et farine lors de la scène culte de la bagarre dans la cuisine, qui constitue l’un des nombreux mets de choix de cette comédie diffusée sur la chaîne culturelle, mais jamais éditée dans notre pays…
Pendant ce temps-là, au cinéma du Visionario, les philippins Jack et Jill charmaient le public au cours de cette comédie de 1954 diffusée dans le cadre de la rétrospective de “Asia Laughs”. Film hyper rare, en piteux état, il faut bien l’avouer en vue de la DigiBeta réalisée à partir de l’original en pellicule en tain de tomber en poussière, il réussit à attendrir de bout en bout, malgré sa durée record de 161 minutes. Comédie de travestissement réalisé dans la foulée du succès de l’américain Certains l’aiment chaud, Jack et Jill raconte l’histoire d’un frère et d’une sœur issus des quartiers pauvres, qui vont se déguiser, l’un se faire adopter par une famille de riches excentriques, l’autre pour se faire engager comme chauffeur et tenter de conquérir le cœur du fils playboy. Le charme est totalement désuet, mais la magie prend, grâce, notamment, au fabuleux jeu des acteurs. Ils sont même parfois d’un comique involontaire comme dans le cas de la mega-star d’avant-guerre Rogelio de la Rosa, qui semble trouver normal de jouer les jeunes beaux cœurs malgré son âge avancé ! D’autant plus qu’il n’en rate pas une pour exhiber des pectoraux en… petite forme ! Dans le rôle de l’extraverti “Jill”, la future star du grand écran, Dolphy y fait ses premiers pas franchement réussis en volant d’ailleurs la vedette à l’ensemble du casting. Une curiosité dans la carrière du réalisateur Mar S. Torres, auteur d’une cinquantaine de films entre 1952 et 1972 et plus connu pour ses mélodrames, comme Orang et The young at heart (tous deux réalisés en 1970).
Hallucinations Collectives
La dernière partie de la journée fut franchement plus…surréaliste.. sauf peut-être dans le cas de Under the Hawthorn Tree du chinois Zhang Yimou.
Bien qu’il est étrange de considérer qu’après ses blockbusters comme Hero ou Le secret des poignards volants , et surtout son remake survolté de Blood Simple, A simple noodle story , il puisse revenir à quelque chose d’aussi calme que ses précédents The Road home ou Not one less …
Under the… est l’adaptation d’une nouvelle biographique d’*Ai Mi*, qui y raconte l’amour impossible d’une jeune chinoise sous les années de la Révolution Culturelle. Un drame romantique pur et dur, qui aurait pu rapidement sombrer des les pires clichés, mais que le talent du réalisateur et de ses acteurs (la magnifique Zhou Dongyu en tête) transforme en essai réussi.
Dans le cas du coréen Haunters de Kim Min-suk, en revanche, on nage en pleine fiction. Le film narre le combat entre deux êtres, dont l’un capable de manipuler les esprits humains et l’autre, qui résiste… On pense parfois à Scanners, on espère une intrigue de la trempe de la trilogie de L’échiquier du Mal de l’auteur de Dan Simmons, mais au final, on se retrouve avec une série B (voire Z) affligeante, qui rappelle les horreurs qu’étaient Dream of a warrior et Gingko Bed 1 réalisés il y a 15 ans maintenant.
Au Visionario repassait le moyen (dans tous les sens du terme) Night Fishing, co-réalisés par les frères Park (Chan-wok et Chan-kyong) pour une célèbre marque de téléphonie mobile… D’ailleurs l’entier “buzz” du filma été construit sur le seul fait que le film est prétendu avoir été tourné sur ce fichu I-Phone… ou plutôt huit pour être plus précis et avec une équipe de 80 personnes pour les manipuler et assurer tous les autres postes comme sur un vrai film. Bref, l’exercice de style ressemble au même coup de marketing que celui réalisé par le groupe musical Gorillaz, qui a dit avoir composé un entier album sur un simple téléphone mobile avant d’avouer les semaines passées en studio pour retravailler le tout. Bref, un autre coup d’esbroufe par un réalisateur adepte de ce genre d’exercices pour assurer sa renommée. Quant au film lui-même, il vaut ce qu’il vaut, même s’il est certainement beaucoup trop étiré pour son mince propos.
Toujours dans le genre hallucinant, il y avait l’incontournable “triple bill” de films pinku pour bien terminer la soirée.
Abnormal Family est un film tout simplement incontournable pour deux raisons : la première, c’est que c’est la toute première réalisation du futur metteur en scène des blockbusters Sumo do, sumo don’t et surtout Shall we dance, remaké des années plus tard par les ricains avec les pitoyables Richard Gere et Jennifer Lopez. La seconde, c’est qu’il s’agit d’un hommage cul aux films de feu Ozu Yazujiro ! Oui mesdames et messieurs, Abnoraml family est foncièrement du Ozu, depuis la mise en scène et la direction d’acteurs scrupuleusement repompées, jusque dans cette histoire d’une jeune femme, qui ne veut pas se marier. Bon, elle vit entourée d’un frère obsédé, un autre infidèle et d’un père alcoolo…mais sinon, le maître du cinéma classique japonais a dû faire la toupie dans son cercueil durant toute la production du film…
Blue Film Woman, quant à lui est signé par l’un des pionniers du genre du pinku, Mukai Kan, qui avait démarré par le culte Flesh en 1965. Blue Film Woman, de 1968, est l’un des tous premiers films érotiques nippons à avoir été tourné en couleurs. Il a du coup rencontré un vif succès à sa sortie. L’histoire est assez hallucinante avec un père de famille trader (tiens tiens tiens), qui perd toutes ses économies à la Bourse (sic). Ruinée, la mère de famille va coucher coup sur coup avec le créancier et son fils monstrueux avant de mourir écrasée par une voiture. Le père fait une attaque cérébrale et la fille est obligée de se prostituer à son tour pour subvenir aux besoins de la famille.
L’intrigue regorge encore d’autres énormités de même type, tout en réservant son lot de surprises côté cul avec notamment une scène de sodomie de Fuji Mitsugu, vedette du cinéma japonais des années 1930 et qui interprète ici le créancier lubrique, qui va se faire mettre bien malgré lui par son fils bâtard et monstrueux.
Enfin, Underwater Love a clos une longue, très longue nouvelle journée… Mais j’y reviendrai plus longuement dans une critique détaillée pour peser le pour et le contre de ce “premier pinku fantastique et musical” cadré par Christopher Doyle, chef opérateur attitré de Wong Kar-wai. Gages de qualité ou simples arguments – vous le saurez bientôt dans les prochaines aventures de “Bastian au pays des vino rosso et aperol spritz”.
Bastian Meiresonne.