Jazz in Japan (Musique)

Posté le 3 avril 2011 par

Trois soir durant du début du mois de mars, le festival Jazz in Japan à la Maison de la culture du Japon nous a fait découvrir la vitalité du jazz japonais. Compte-rendu d’un festival qui nous offre l’occasion de revenir sur l’histoire du jazz au pays du soleil levant ! Par Laurence Kerhornou.

Le Festival Jazz in Japan 2011 a démarré le 3 mars 2011 avec le duo Terai Naoko et Richard Galliano.


Terai Naoko est une violoniste Japonaise de renom qui signe son premier album solo en 1998. En 2003, son album Anthem devient disque d’or au Japon. Au programme de ce soir du 3 mars : El Choclo (ou Épi de maïs d’ Angel Villoldo, 1903), tango mythique utilisé comme ouverture. Oublié le bandonéon, la violoniste interprète ce morceau pour une entrée fracassante. Une musique qui ressemble beaucoup à la musicienne : pleine de vie, dansant sur scène. Puis vient PadamPadam ( Edith Piaf), La Fiesta où le violon a littéralement retranscrit une course effrénée, Somewhere, un morceau plus calme proche de la mélancolie et enfin La Samba de Orpheus (une bossa nova d’ Antonio Carlos Jobim) qu’on peut aussi entendre dans le film de Marcel Camus Orpheu Negro (1959).
Tous ces morceaux de musique font le style de Naoka Terai empreint de sensibilité, dynamisme et romantisme. Loin des clichés de la violoniste sage et classique, l’artiste arpente des compositions avec une énergie sans cesse renouvelée. A l’heure actuelle, les progrès de l’amplification permettent au violon de se hisser au niveau sonore de la plus puissante batterie.

Richard Galliano, accordéoniste, s’est attelé en solo à La Javanaise, New york Tango, Oblivion, Aria, Bagatelle et Caruso.
Pour revenir sur son parcours, l’artiste reçoit en 1993 le prix Django Reinhardt de l’académie de Jazz pour son album New musette, en 1996, une victoire de la musique pour New York Tango.
Avec son chantant accent de Nice, Galliano, humble improvisateur, se permet de dire au public « je ne sais pas ce que je vais jouer mais je vais donner le meilleur de moi … ». L’accordéon s’en trouve révolutionné, s’en dessus dessous, rutilant orgue portatif. Avec Galliano, il est loin de l’instrument lourd, servile, et attendu dans les bals musettes. Tirée de l’album Bach 2010, L’Aria de la 3ème Suite écrite dans les années 1720-1730 est l’une des pièces les plus connus de J.S. Bach. Galliano réinvente cette Aria. A la question d’un journaliste au sujet du caractère sacrilège mélangeant accordéon/musique classique voilà ce que Galliano répond : “Si l’accordéon avait existé à son époque (il a été inventé cent ans plus tard), Bach aurait composé pour lui ! Depuis cinquante ans, les accordéonistes jouent Bach. Dans cet album, je respecte la démarche de Bach. Sa musique est généreuse, équilibrée, en un mot parfaite. Et il laissait dans son écriture une grande liberté aux interprètes sur le plan du rythme. Je m’en suis servi pour favoriser au maximum le swing.”
Enfin le duo Terai Naoko et Galliano a revisité plusieurs morceaux dont Tango Pour Claude, Four Rire, Spleen et enfin Libertango (composé par Astor Piazzolla). Ce tango qui clôt le spectacle est essentiel à Gallliano, très influencé par le bandonéoniste et compositeur Piazzolla.

Voilà comment la rencontre improbable de l’accordéon et du violon donne une vitalité nouvelle à ces œuvres. Le violon, instrument classique que l’on a aussi qualifié de vieil instrument, est utilisé par Terai Naoko comme un outil de swing. En France, l’un des pionniers du violon dans le jazz est Stéphane Grappelli qui a véritablement montré que l’instrument pouvait swinger, et est devenu une référence incontestable. Terai n’hésite pas à se saisir de son violon comme d’une guitare et en gratter les cordes. Avec son violon électrifié, elle évoque les sonorités et le comportement de Jerry Goodman, violoniste du Mahavishnu Orchestra.

La deuxième soirée du 4 mars fut consacrée au Kei Akagi Trio.

Akagi Kei est un pianiste et compositeur d’origine Japonaise mais vivant aux États-Unis. Il est notamment remarqué pour sa participation au groupe de Miles Davis de 1989 à 1991. Aux USA, il enseigne le Jazz à l’université de Californie. Il forme un trio avec le contrebassiste Tomokazu Sugimoto et le batteur Tamaya Honda.

Le programme a démarré avec Heart of palms, un morceau ultra tonique allant crescendo. Les spectateurs s’en trouvèrent quelque peu malmenés avec son excès de présence sonore qui n’est pas sans rappeler le crescendo de Song John’s, le morceau très remarquable du Mahavishnu Orchestra.
Dans le développement de la soirée le trio a utilisé le silence comme composant musical. Des arrêts d’une à deux secondes entres les morceaux nous on permit de mesurer la palette créative d’ Akagi. Mais ce que l’on pouvait enregistrer ce soir là c’était le son sensuel de la batterie. Des sons de crains, des effets de tissu donnèrent aux morceaux musicaux une vraie présence quasi tactile. Des sensations, une image, celle de la vie qui galope, de ce monde contemporain traversé d’énergie. Akagi dans un corps à corps voluptueux avec son piano, lui tape l’échine, se lève et s’assoie dans un duo intimiste. Sugimoto tapote le corps de sa contrebasse. Le trio nous donne une belle démonstration tribale, de ce rapport si privilégié que les japonais entretiennent avec leur environnement. Si on pense à la collaboration d’ Akagi avec Miles Davis, on est obligé de revenir sur le long et éclectique parcours du maitre. Davis invente le style Cool (signifiant frais, tiède, rafraichissant mais aussi décontracté) entre 1949 et 1953. A l’époque sont style est aéré, les sonorités sont feutrées, il est dans le registre médium. En 1959, Davis enregistre l’album Kind of blue, reconnu comme paradigme du Jazz modal. L’influence de cet album sur la musique jazz, la musique rock et la musique classique, a conduit les spécialistes à le promouvoir comme l’un des albums les plus influents de tous les temps.

Puis, en 1968, Davis rencontre Hendrix, et le jazz se branche. En 1969, Davis découvre le guitariste John Mac Laughlin. C’est la création du jazz rock avec le Mahavishnu Orchestra. Le guitariste de talent associe le style de John Coltrane ( Blue train – 1957, Coltrane cherche à échapper au système harmonique du Be Bop), à la musique Indienne. Miles Davis passe du Cool au Free Jazz qui revendique la liberté d’expression des noirs américains. Akagi a donc subi l’influence de Davis qui a littéralement traversé toutes les époques du jazz. Ainsi le Kei Akagi Trio est un pur mélange de Free Jazz.

Quant à la dernière soirée du 5 mars, elle fut clôturée par le Erena Terakubo Quartet.

Terakubo Erena est une saxophoniste vedette en raison de son jeune âge, 18 ans. Entre 10 et 15 ans elle a suivi des cours auprès de Herbie Hancock, Honda Masato, etc. En 2010, elle enregistre son premier album, North Birth. Elle est accompagnée de Ohbayashi Takeshi au piano, de Noam Wiesenberg à la contrebasse et de Mark Whitfield à la batterie.

Au programme ce soir là, Tim Tam Time, Like the sunlight et Ferris Wheel, trois morceaux écris par Erena, puis In a sentimental Mood (de Duke Ellington), Del Sasser ( de Sam Jones, bassiste de Jazz et violoncelliste), Black Narcissus ( de Joe Henderson, saxophoniste ténor), etc. La musique d’ Erena est parfois influencée par les Honkers ( honk ; crie de l’oie , coup de klaxonne ), les saxophonistes hurleurs de la période de Herbie Hancock ( pianiste et compositeur, précurseur du jazz fusion). N’hésitez pas à écouter le fameux Cantaloupe Island sur l’album Blue Note.

Hancock a d’ailleurs formé la jeune artiste. Voici quelques grands noms du saxophone : Sidney Bechet, Charlie Parker, Stan Getz, Sonny Rollins, John Coltrane, etc.
Erena balaie un ensemble de titres qui écument le répertoire du jazz.

Jazz in Japan !

Mais revenons-en au Jazz ! Il est né aux USA au début de XXéme siècle, il est un croisement entre le blues, le ragtime (qui vient de rag : chiffon, lambeau, temps syncopé, déchiqueté, mis en pièce) et la musique européenne. C’est à la Nouvelle Orléans que l’on fait naitre le jazz, influencé des works songs, chants de travail des esclaves africains et les chants religieux, negro spirituals et gospels. De 1917 à 1929, on parle de vieux style. Jelly Roll Morto (pianiste et chanteur) s’autoproclame inventeur du jazz, quand Kid Ory (tromboniste), Sydney Bechet (clarinettiste, saxophoniste et compositeur ), et Louis Armstrong, le père du swing (trompette) s’imposent comme les grands musiciens de l’époque.

Carte des sons du Japon

Le Jazz arrive au Japon dans les années 20, pendant l’ère Taisho (signifiant Grande Justice). Il est importé par les américains et les groupes de Jazz Philippins eux même influencés par leur occupant. Le trompettiste Nanri Fumio fut le premier Jazzmen Japonais à rencontrer une renommée internationale.

Dans les années 20, période aussi appelée Années folles, le jazz connait de grandes mutations. Huit ans plus tard, l’apparition de la radio va permettre la propagation du jazz dans l’empire Nippon. Cependant, lors du conflit de la Deuxième Guerre Mondiale, le jazz est interdit car il vient des États-Unis. Vous pouvez imaginer que les séquelles du conflit furent longues. La rancœur cachée sous les tatamis, le jazz ne retrouva sa place que 15 ans après le conflit. Ainsi, dans les années 60, la première école de Jazz japonaise voit le jour, grâce au saxophoniste alto Watanabe Sadao. Ce dernier étudia au Berklee College of Music en 1962. Il est alors influencé par la musique Brésilienne avec le batteur de Jazz Chico Hamilton (écoutez l’album El Chico de 1965 !). De retour au Japon, Watanabe crée le grand boom “Bossa Nova”. De 1973 à 1977 il produit des albums inspirés des rythmes africains. Le titre California Shower fait un carton. Il reçoit la médaille de L’ordre du soleil Levant et publie aussi des livres de photographie.

1960, en réponse à l’attitude dénigrante des critiques envers l’influence américaine sur le jazz Japonais, certains artistes ont ajouté des instruments traditionnels à leur travail.

Aujourd’hui on estime que le Japon renferme le plus grand nombre d’amateurs de Jazz. C’est dire l’impact du genre. Symbole de sophistication et de supériorité technologique à travers l’utilisation d’instruments de pointe, le jazz japonais n’en fini pas de nous surprendre. Il est aussi important car il est vecteur d’imitation et de maitrise.

On peut aussi citer des artistes ayant participé au festival Jazz in Japan : le pianiste Imada Masaru et son quartet swing dont la musique est relaxante sans toutefois sortir des sentiers battus. Ou encore Yoshihide Otomo, multi-instrumentiste pratiquant l’improvisation aux platines et à la guitare. Un musicien instrumental influencé par le bruitisme. John Cage disait à ce propos “Quand un bruit vous ennui, écoutez le !”. DoraVideo se lance dans le “japan sound jazz noise”, un mélange de performances visuelles et sonores, de jazz et d’électro. Le batteur, Ichiraku Yoshimitsu, interagit par exemple avec des images de mangas qui viennent rebondir sur ses battements. Création originale proche de la performance plasticienne.

Quant à la musique Jazz dans le cinéma Japonais, il est intéressant de voir que certains réalisateurs l’utilisèrent de manière politico-artistique. On pense à L’extase des Anges de Wakamatsu. Film sur l’anarchie au Japon, des militants obsédés par le sexe tentent de voler des armes sur une base américaine. Leur raid vire à la débâcle. Tout comme dans Les Possédés de Dostoïevski, les survivants réalisent qu’ils ont été trahis par leur propre organisation. Ainsi l’anarchie pénètre aussi leur groupe. La musique rentre dans une logique de chaos, les chants reflètent l’état d’esprit des anarchistes. Wakamatsu dit refuser toute forme d’autorité. La scène de la jeune femme qui crie sur la musique Jazz est une métaphore de cette colère intérieure. Le
Jazz ici est utilisé comme instrument de liberté et de rébellion.

On retrouve le jazz dans toute la culture populaire nipone, jusqu’au récent Cowboy Bebop. La musique jazz/blues définie toute la série, généralement composée par Yoko Kanno et son groupe, The Seatbelts. En 2006, Cowboy Bebop fut élu l’anime ayant la meilleure B.O de tous les temps. Pour s’en convaincre il n’y a qu’à écouter le générique d’ouverture Tank! par The Seatbelts. Un petit joyau musical qui rappelle thème de James Bond composé par Monty Norman pour Dr. No en 1962. Mais dans l’ouverture de Cowboy Bebop, le rythme est beaucoup plus rapide. En fait la série s’inspire de la musique qui fleurissait aux États-Unis alors que le Japon la boycottait sur son territoire. C’est une manière de prendre une revanche sur le passé et de dire la liberté d’expression du moment.

On peut dire que le Festival Jazz in Japan nous a proposé des talents variés qui sont les héritiers de l’histoire du Jazz. Mixité et métissage sont les adjectifs appropriés pour qualifier les artistes de ce festival.

Laurence Kerhornou.

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