Si la rédaction d’East Asia a apprécié l’édition 2011 de Deauville, le festival cristallise les critiques de nombreux cinéphiles et fans du cinéma asiatique. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé à Bastian Meiresonne, spécialiste de l’Asie, consultant de nombreux festivals dans leurs sélections et l’auteur de l’excellent et indispensable Imamura, évaporation d’une réalité, disponible chez l’Harmattan, de nous expliquer ce qu’il reproche au festival. Attention, brûlot ! Par Bastian Meiresonne.
Attention :
Ce n’est pas, parce que je collabore à d’autres festivals, ni que je ne travaille pas pour celui de Deauville, que je me fends d’un tel billet d’humeur… mais uniquement, parce que je m’offusque des rouages d’une grosse machine, qui pourrait tant faire pour les passionnés du cinéma asiatique, au lieu de leur servir de la soupe en brique. Un billet, que je ne pense absolument pas d’une méchanceté gratuite, mais plutôt comme une critique véhémente, mais constructive, quitte à ouvrir le débat avec d’autres passionnés.
Deauville 2011 – un crû tout cru
L’édition 2011 du festival censé représenter le cinéma asiatique en France vient de s’achever – et impossible de se dépareiller de cette désagréable impression de s’être une nouvelle fois fait mettre profond. Bon, allez… d’en être ressorti avec un gros mal de crâne pour rester poli, comme aux lendemains de trop de mélanges d’alcool bon marché, sans même avoir connu le sentiment d’un agréable enivrement… A moins que ce ne soit l’insidieux matraquage commercial, qui ait pourri notre tête.
Rattrapage = matraquage
Car force est de constater, que le surnommé “Festival Asiatique de Deauville” n’est plus guère qu’une vilaine vitrine commerciale, qui cache de plus en plus mal son mépris – ou du moins sa méconnaissance totale – du cinéma asiatique. Sans revenir une nouvelle fois sur les origines du festival et les changements de direction et de programmateur en 2003, passons en revue l’édition 2011.
Il y avait donc 37 films (en incluant les courts et les moyens pour faire meilleure figure…), repartis sur cinq jours avec deux projections par film en moyenne… curieusement dans une seule et même journée la plupart du temps, obligeant certains spectateurs à faire des pauses inopinées quand ils avaient déjà vu les films “hommage” et ne donnant aucune chance à des spectateurs de passage de voir certains films.
Deux hommages ont été rendus à des réalisateurs déjà connus dans nos contrées : Hong Sangsoo et Kim Jeewoon… Pire… en-dehors de leurs derniers (à sortir prochainement sur nos écrans), la totalité de leurs films est disponible depuis des années en France et facilement trouvable par DVD et / ou VOD. Si le cinéma de Kim Jeewoon peut être sympa à être (re)découvert sur grand écran, celui de Hong n’y gagne pas grand-chose par sa réalisation très plan-plan (ce qui n’enlève rien à l’excellent de la dramaturgie de certains de ses films évidemment).
Certains (ici même à East Asia, voir l’aricle : Deauville 2011 : Hong Sangsoo et Kim Jeewoon, les deux Corées– Victor) ont trouvé un semblant de fil conducteur à sélectionner les films de ces réalisateurs, que, pourtant, tout semble opposer ; en réalité, il est beaucoup plus évident de penser, que les organisateurs aient profité de la présence des deux cinéastes en France aux mêmes dates pour réduire les frais : la Cinémathèque propose l’INTEGRALITE de la filmo de Hong (alors que Deauville a curieusement fait l’impasse sur Lost in the mountains, la contribution de Hong au film collectif Visitors, rendant cet hommage aussi incomplet que celui dédié à Brillante Mendoza ou Lou Ye l’année dernière), tandis Kim Jeewoon assure une tournée promotionnelle à l’occasion de la sortie de son prochain I saw the devil; sinon pourquoi ne pas avoir pensé réaliser un débat-rencontre entre les deux réalisateurs, plutôt qu’une Master Class de très, très moyenne tenue.
Ces deux hommages totalisaient donc près de la moitié de la sélection au total, 15 films (sur 37), qui ne soient pas des inédits et qui permettent donc au festival d’économiser temps et argent à partager les frais avec la Cinémathèque, à ne pas devoir affréter des copies depuis la lointaine Asie et à rogner sur les coûts de sous-titrages contraignants.
On pourra toujours argumenter, que le festival s’ouvre à tous publics et qu’il est bon à faire redécouvrir certains auteurs… Mais POURQUOI des réalisateurs parmi les plus connus, dont la TOTALITE de la filmographie existe déjà en France (plutôt que de faire un panorama complet d’une partie plus inédite) et surtout avec un si grand nombre de films ne laissant que peu de place à une programmation plus pointue ?!! Pourquoi ne pas avoir privilégié une sélection de titres plus restreints pour donner envie d’en découvrir plus (quitte à faire un stand ou à vendre les autres titres en caisse, comme les titres étaient déjà tous disponibles) et de laisser la place à d’autres “découvertes”, de préférence inédites ?!!
Programmation programmée
Point de “programmation pointue” donc, car en plus, neuf des 22 films “restants”, étaient des titres d’ores et déjà prévus de sortir en DVD et au cinéma dans les semaines à venir, soit le quart de la sélection total et ne laissant au vrai passionné du cinéma asiatique plus que 13 titres “inédits” à se mettre sous la dent.
“Inédits”, pas tant que cela, puisque la majorité sont déjà passés dans un important circuit festivalier depuis plusieurs mois et – ô surprise – dans les cas de Donor et Journals of Musan carrément au Festival de Marrakech, régi par le même organisateur que le festival de Deauville, leur permettant une nouvelle fois au moins de rogner sur les coûts de sous-titrage.
Évidemment, une grosse majorité du public ne peut suivre l’entier circuit festivalier de toute une année pour dévorer toutes les œuvres cinématographiques qui y passent ; ce que je veux dire, c’est qu’il n’y avait donc guère que 13 films sur 39 (dont un “moyen” dans tous les sens du terme Night Fishing) à constituer une “vraie plus-value” au festival. Un cru donc bien pauvre, surtout en comparaison avec les riches éditions antérieures à 2003, au cours desquelles les avant-premières internationales venues de tous pays d’Asie abondaient, au lieu d’être constituées de petits films indépendants comme le chinois The Old Donkey ou l’indien Udaan; des films à constituer un certain intérêt (à défaut d’un intérêt certain), mais qui se ramassent à la pelle dans ces pays, tant les productions y sont riches et nombreuses et très souvent d’un niveau supérieur à ces deux choix – mais là, les goûts et les couleurs se discutent, évidemment.
Plus grave l’absence totale d’une quelconque thématique, d’une vraie ouverture à tous les pays d’Asie (quid de… la Malaisie, l’Indonésie, Taïwan, le Vietnam, Singapour… aux très, très nombreuses surprises récentes ?!!) ou encore d’un suivi des réalisateurs déjà présentés à des éditions antérieures. On retiendra comme seules “catégories” une compétition foutraque, un “Action Asia” de plus en plus risible avec la cruelle absence de “vrais” actioners asiatiques à sortir – là encore – à la pelle (bonjour la représentation de HK / Chine avec Mr. & Ms. Incredible au profit d’un Shaolin, pour ne citer qu’un exemple) ou une section “Panorama” constituée de 5 films sur le point de sortir en France et d’un moyen faussement expérimental ( Night Fishing autant réalisé avec un simple I-Phone que le dernier album de Gorillaz est dit avoir été enregistré avec un simple I-pad en oubliant de citer l’armada de machines / mixages et rajouts de vraies orchestrations qu’a nécessité l’album au final) sur 7 films au total… Aucun fil conducteur, aucune thématique fédératrice et des réalisateurs jadis invités avant d’être oubliés à jamais. A moins, qu’ils n’aient plus envie de revenir ? Je pense notamment à Joko Anwar, véritable révélation avec son Joni’s Promise il y a quelques années et qui a depuis été honteusement “oublié” en ayant quand même pondu les deux bombes Kala et Forbidden Door ; mais les exemples sont nombreux.
Là encore, grande interrogation : pourquoi inviter tant de monde, acteurs, réalisateurs et ces innombrables jurés people sans autre légitimité que de rameuter la presse people pour espérer faire parler du festival en filigrane, si ce n’est que pour furtivement les entr’apercevoir en début du film et que la “presse”, pro ou non, n’a droit de voir qu’un tout petit quart d’heure d’interview (le temps de poser trois questions à la “Marie-Claire”, quoi). Pourquoi ne pas organiser des questions-réponses avec le public à l’issue de la séance ; pourquoi cette absence de table ronde ou de débats avec ces invités ? Un Kongsakul, au hasard, aura certainement autant à dire sur la difficile situation du cinéma indépendant dans la trouble Thaïlande actuelle, que Kim Jeewoon à se vanter de tourner son premier film ricain avec Liam Neeson…
Ex deus machina
Le principal problème est que l’organisateur du présent Festival, le Public Système s’en fiche royalement de ce festival et qu’il ne connaît pas grand-chose au cinéma asiatique.
Équipe réduite, entièrement conditionnée à faire du profit et de, notamment, pouvoir se servir de leurs festivals comme outils de promotion dans leur vrai métier de promoteurs du cinéma, elle enchaîne les festivals sans de répit. Il ne leur reste évidemment que très peu de temps pour peaufiner une vraie programmation, étant obligés de survoler le cinéma mondial dans son ensemble, comme des marchés de “niche” plus pointus comme “le fantastique” pour Gérardmer ou “le policier” pour Beaune. On demande donc à une seule et même personne de connaître à la fois le dernier film d’art et essai cosaque, qu’un “Big’n’Tits zombi flick” japonais…
La sélection se fait donc au gré de déplacements dans des festivals mondiaux, à piocher dans le travail d’AUTRES équipes, au lieu d’aller au-devant et de gérer des contacts avec des producteurs et réalisateurs pour suivre des projets dès leur écriture. Ce n’est pas pour rien, si l’équipe du meilleur festival asiatique actuel, celui d’Udine en Italie, consacre une bonne partie de l’année à voyager dans les pays asiatiques pour rencontrer les principaux professionnels du métier tout en disposant de toute une armada de consultants vivant en Asie… et de proposer une programmation ouverte à tous et qui soit aussi bien capable de satisfaire le grand public, comme l’aficionados entre présentation du dernier gros blockbuster en avant-première mondiale suivi d’un hommage à la comédie musicale asiatique des années 1940 à nos jours !!!
Bref, on se retrouve avec du “cinema business”, peut-être gérés par des fans, mais absolument pas par des passionnés de cinéma ; des gens, qui ne fonctionnent que dans une démarche de profit(eur)s. Comment leur en vouloir ? L’argent a toujours régi les choses et leur structure n’est pas mal pensée.
Ce qui me dérange, c’est leur manière purement mercantile de fonctionner, de ramener une fois de plus l’Art à sa manière la plus simpliste et de prendre les gens pour des cons. De me retrouver avec une programmation qui promeut les Johnnys et Pagny du cinéma asiatique, en piochant au hasard dans le bac “import” pour compléter le tout… Alors qu’il leur suffirait d’un tout petit effort pour s’intéresser un peu plus à leur métier, à commencer par sacrifier un peu de “l’argent de poche” alloué à certains de leurs invités (voire à faire sauter ce genre d’invités tout court) pour s’entourer de gens plus compétents, qui pourraient au moins les guider dans leur choix, à proposer des choses plus pointues, bref, à respecter leur public, qui – ne l’oublions jamais – fait le succès ou non d’un festival (à ce propos, on s’est encore trouvé avec une organisation chaotique à diffuser les films les plus populaires dans els cinémas les plus petits et à laisser pas mal de gens sur le carreau…un problème redondant depuis des ANNEES et pourtant faiclement solvable…).
Dans leur situation privilégiée, Deauville pourrait tant faire pour le cinéma – et le cinéma asiatique, à commencer par transmettre une réelle passion…En attendant, le public doit se contenter de fast-food et de plats surgelés à peine réchauffés, tandis que d’autres se goinfrent de foie gras et de fruits de mer. Et ça, c’est juste gerbant…
Bastian “Happy” Meiresonne.
Bastian Meiresonne est spécialiste du cinéma asiatique, il conseille de nombreux festivals dans leurs sélections, dont Genève. Il est l’auteur de l’excellent et indispensable Imamura, évaporation d’une réalité, disponible dans la collection Image d’Asie de l’Harmattan.
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