Enfin, Syndrome and a Century, chef d’oeuvre tranquille pré-Boonmee de Weerasethakul, vient rejoindre Tropical Malady et Blissfully Yours dans nos DVDthèques ! Par Victor Lopez.
Le Film
D’abord, il y a cette entrée en matière, d’une touchante simplicité. Le vent souffle sur un arbre et introduit une interview dont seul l’interrogé nous est montré. Malgré le caractère hétéroclite des questions (“Vous dessinez ?”, “Vous jouez au basket ?”), on devine qu’il s’agit d’un entretien pour un poste de médecin dans un hôpital. Mais celui-ci camoufle à peine une scène de drague, bien maladroite mais fort amusante, à l’ironie discrète et toujours filmée à hauteur de personnages. Lorsqu’ils quittent la pièce, la caméra s’éloigne d’eux et se rapproche d’une fenêtre. Le générique s’inscrit sur cette vision bucolique de la Thaïlande rurale remplie de verdure, alors que les personnages continuent de parler hors cadre jusqu’à redevenir des acteurs (ils évoquent le tournage, les répétitions des prises, le micro qui n’est pas coupé…). Impression du réel dans la fiction, tranquillité joyeuse, dilatation de la temporalité, retour post-moderne du cinéma sur lui-même, dispositif artistique à la fois très réfléchi mais laissant un sentiment de liberté total au spectateur : l’œuvre de Weerasethakul est déjà tout entière dans ce sublime prologue.
Une heure plus tard, on retrouvera la même scène, les mêmes personnages répétant les mêmes dialogues, mais dans un espace totalement différent. Comme les deux films précédant de Weerasethakul, Syndrome and a Century se dédouble en son milieu, et raconte deux fois la même chose sur deux modes différents. Le dialogue est le même mais le point de vu a changé. “La première partie est pour ma mère, la seconde pour mon père”, explique le cinéaste, qui s’est effectivement inspiré de l’histoire de ses parents, médecins, pour inventer ses personnages. Dans la scène liminaire, on ne voit que lui, face caméra, fixant le spectateur des yeux. Dans la seconde partie, c’est elle que l’on voit dans le même axe. On comprend alors enfin que ce n’est pas le spectateur qu’ils scrutent, mais d’abord elle qui le contemple, puis lui qui la regarde. Volontaire, elle accapare la parole, motivant impitoyablement le récit dans la première partie se déroulant dans un hôpital de province. Contrechamp moderne de cette ruralité, la seconde partie le voit habiter un hôpital moderne d’une grande ville thaïlandaise.
Jour/nuit
Féminin/masculin, campagne/ville : l’œuvre se construit en miroir mais n’oppose pas ses éléments. Dans la ville, non seulement les moines continuent de rêver de poulets vengeurs, mais l’architecture moderne se fait le théâtre d’un fantastique discret, qui culmine dans le très fameux plan-séquence fantomatique sur le tuyau d’aération, et que l’on penserait plutôt l’apanage des forets peuplées d’êtres étranges. La construction symétrique du film n’oppose pas les choses, au contraire, elle fusionne les contraires, les gens, les atmosphères…
Cinéaste de la dialectique tranquille, Weerasethakul signe aussi avec Syndrome and a Century un film reposant et accessible, d’une tranquillité absolue, à la beauté immédiate et aux images marquantes.
Le DVD
Quelle joie de pouvoir enfin ranger Syndromes and a Century dans sa DVDthèque, entre Tropical Malady et Blissfully Yours. Merci à Survivance de compléter notre collection dans une belle édition, agrémentée d’un livret explicatif et de deux courts métrages: Luminous People, très expérimentale promenade fluviale et cérémonial découvert dans le collectif L’état du monde, et qui résonne différemment mis en rapport avec Syndromes and a Century et Diseases and a Hundred Year Period, une vraie curiosité de Sompot Chidgasornpongse, l’assistant réalisateur de Joe. Ce dernier a réalisé ce film en réponse à la censure, et aborde la question avec beaucoup d’humour.
On ne plaisante malheureusement en effet pas avec les figures religieuses ou familiales en Thaïlande et la liberté de ton de Weerasethakul dans Syndromes and a century n’a pas été du goût des autorités. Résultat : l’œuvre n’est sorti dans son pays que dans une salle à Bangkok, dans une version qui coupait le son et noircissait l’image de six scènes, mettant ainsi directement, devant à cette béance dans le film, le spectateur face à la censure !
Cette édition nous donne surtout envie d’un coffret réunissant tous les courts de Weerasethakul, grand expérimentateur de formats, ainsi que de ses films moins connus dans nos contrées. On rêve encore d’avoir The aventure of Iron Pussy avec des sous-titres français…
Victor Lopez.
verdict :
Syndromes and a century, un film d’Apichatpong Weerasethakul, édité en DVD par Survivance. Disponible depuis le 01/02/2011.