Quand la quatrième édition d’un festival sert de quatrième dimension à ses visiteurs, East Asia s’en mêle avec joie et raconte…
Niveau 0
Je me fraye un passage dans la cohue du grand hall lorsque des jumelles aux pommettes roses me stoppent dans mon élan. L’une est pendue au bras de l’autre et me fixe d’un regard bleu céruléen. Celle-ci tient une ombrelle en dentelle entre ses doigts, celle-là une pancarte « free hugs » dans sa main. Toutes deux sont coiffées d’une perruque Marie Antoinette dont les boucles balayent un décolleté de robe médiévale.
Elles m’autorisent à les photographier. J’en profite pour engager la conversation et me faire offrir des câlins de bienvenue. Aussitôt, elles disparaissent tels des anges dans une poussière d’étoile et la foule s’agglutine à nouveau autour de moi…
Le rez-de-chaussée ressemble à un supermarché pop nippon. A gauche des stands de mangas (et pour les petites bourses de la consultation sur place), au fond des animés (le « gore moyenâgeux » de Bersek rivalisant avec le « néo-futurisme apocalyptique » d’ Evangélion – du sur-mesure pour les goûts pointus). Sur les côtés, des bacs de jeux vidéo, des fanzines empilés, des CD épars mais aussi mille produits dérivés tels que figurines, bijoux ou sabres…
Je tourne la tête et lis sur un panneau que le défilé des cosplayers affiche déjà complet, dommage !
Direction l’escalier roulant. Un Samouraï m’emboîte le pas, tout va bien…
Niveau 1
La circulation est plus fluide ici. Un public est sagement assis face à l’estrade aux conférences. La doubleuse française de Naruto mène paisiblement son interview face aux soixante fanatiques en état de grâce.
Aux alentours, des box séparent l’ambiance d’une partie de Para Para Paradise de celle des nouveaux épisodes de Cobra.
Au milieu, ça sent la testostérone. Écrans et consoles remplissent un espace dédié à Street Fighter 4 et à divers « crossover games ». Personne n’a encore fait de crise d’épilepsie alors que tous maltraitent leur paddle depuis une éternité, tant mieux…
Plus loin, des ateliers dessins et maquettes en papier kraft attirent des tranches d’âges variées. Plus loin encore, des parties de Mah-jong et de l’initiation en tous genres (aïkido, méditation zen, *Shinkendô…) intéressent essentiellement les adultes. Derrière moi, des bolides radio-commandés se chamaillent sur un circuit prisé par les plus jeunes.
Je continue de flâner perdu dans mes pensées, lorsque soudain s’ouvre une trappe mystérieuse d’où surgit un viking pareil à Thor. Je reste un instant décontenancé alors qu’il m’observe méchamment en brandissant son glaive. J’étouffe un « Grhjkl… » d’outre-tombe et détalle à travers la mêlée comme un dératé…
Niveau 2
Le dernier étage est un long corridor obscur peuplé de créatures fantasques. Quelles que soient leurs intentions, je marche droit à l’écart des elfes, soucieux de perdre pied avec la réalité. Trois galeries à thèmes m’invitent à entrer, c’est parti…
Dans la première se déroule un Quiz sur la Japan Expo. Les participants, qui constituent l’élite de l’édifice, vouent un culte religieux à l’évènement. Pas étonnant qu’ils jaunissent dès qu’ils échouent à une question (ce qui a le don de m’amuser, j’avoue). Néanmoins, je note les dates et les renseignements précis qui me feront passer pour un crack en soirée…
Devant moi, cinq étudiantes gloussent depuis dix minutes. Je m’introduis nonchalamment dans leur groupe en sifflotant les mains dans les poches et en riant fort à leur humour potache. Ça me permet d’étudier leur look très kawaii d’écolières modèles en loose socks retroussées comme des rebelles. Rapidement, elles constatent que je suis cool et relax alors elles baissent leur garde et je leur sers mon sourire de braise et elles craquent littéralement sur mon style de beau gosse et veulent toutes m’embrasser en même temps… Non, je plaisante… En vérité je me ramasse un gros râteau. Elles ne me calculent pas et ne me proposent pas non plus de les accompagner jusqu’au Karaoké géant au bout du tunnel plongé dans le noir. Tant pis. Seul le bruit assourdissant de la musique me guide en s’intensifiant. J’aperçois de plus en plus nettement des lycéennes en train de fredonner un leitmotiv de Kumi Koda. Certaines sont si habitées par la chanteuse qu’elles se déhanchent sensuellement sur des chorégraphies lascives. Dans cette ambiance Nouvelle Star qu’encouragent les applaudissements, je feins un appel sur mon portable pour m’éclipser poliment.
Dans la dernière salle, c’est la diffusion d’une série auto-produite parodiant les jeux de rôles. Les héros sont d’illustres inconnus incarnant leur propre personnage au gré d’aventures burlesques qu’ils s’inventent. Ainsi, ils scénarisent leur vie banale pour devenir maître d’un fabuleux destin.
Sorte de mise en abîme de soi-même ou concentré de geek attitude artisanale, cette agitation NERD suit la veine décalée d’HeroCorp. Après tout, chacun ses références.
J’esquisse un rictus teinté de mélancolie car ma visite déjà s’achève. Une chose est sûre; les mondes parallèles de la Chibi ne cesseront jamais de nous étonner. S’y aventurer chaque année est une expérience originale renforcée par la tradition du déguisement. Allez-y au moins une fois dans votre vie, ça vaut vraiment le coup d’œil !
Dorian Sa.
Lexique Chibi (au cas où…)
Les crossover games sont des jeux de combats mêlant des figures emblématiques de plusieurs jeux vidéo différents.
Le Para Para Paradise est un jeux vidéo type Wii, où l’on défie ses adversaires en dansant le Para Para (danse japonaise dont les pas ressemblent à ceux des pom pom girls. Elle se danse à plusieurs, chacun doit exécuter des enchainements similaires simultanément). Des capteurs synchronisent les mouvements des joueurs avec les mouvements à l’écran.
Le Shinkendô est l’art martial des Samouraï à travers lequel s’exprime le maniement du sabre.
Kawaii : adjectif japonais qui signifie mignon, adorable.