Retour sur Animasia 2010

Posté le 5 octobre 2010 par

Depuis six ans maintenant, la ville de Pessac accueille le seul festival aquitain consacré aux cultures asiatiques : Animasia. East Asia y était, et revient sur cet événement qui a incontestablement gagné ses lettres de noblesses, au point de ne pas avoir à rougir de la comparaison avec les blockbusters parisiens comme la Japan Expo, bien au contraire… Par ictor Lopez et Olivier Smach.

Pour les cinéphiles, Pessac, c’est avant tout la ville natale de Jean Eustache, qui y a posé sa caméra en 1968 et 1979 pour y filmer la Rosière, pratique délicieusement anachronique dans la France post-68 du cinéaste, consistant à élire la jeune fille la plus pure de la ville. Son film culte, La Maman et la putain, introuvable dans nos frileuses contrées, connait d’ailleurs les joies d’une belle édition DVD japonaise (floutant juste l’intimité un poil trop visible de Bernadette Lafont, différences de censure érotique oblige). Et c’est d’ailleurs la seule disponible au monde ! C’est peut-être pour rendre la monnaie du Yen et actualiser cet échange culturel que le cinéma Jean Eustache de Pessac accueille depuis six ans le seul festival aquitain consacré aux cultures asiatiques.

Animasia est à l’initiative de l’Association Mandora dirigée par Damien Beigbeder. Ce dernier s’est démenée en indépendant (soit sans un kopeck de la municipalité) pendant près de neuf mois pour faire vivre ce sympathique événement en aquitaine, qui attire de plus en plus de curieux chaque année. Bien entendu, pour assurer une logistique d’une telle ampleur, il y a du monde derrière : une soixantaine de bénévoles jeunes et dynamiques. Ils n’ont pas hésité à se vider de leur énergie et ont sué corps et âmes pour régaler les visiteurs. Mais le résultat paie, et ce n’est pas moins de 4500 personnes qui sont venus assister à cette cuvée 2010. Le festival est donc une franche réussite et East Asia vous propose un petit aperçu de l’ambiance déjantée et de l’état d’esprit général.

A l’origine, le festival se déroulait donc au cinéma Jean Eustache. Mais son ampleur augmentant d’années en années, les organisateurs ont décidé de voir plus large. Le gros de l’événement a désormais lieu dans la salle Bellegrave, large complexe équipé pour recevoir congrès, concerts et autres manifestations culturelles. Il comprend un hall d’accueil spacieux, une superbe salle de 2000 m2, une vaste scène en demi-lune de 150 m2, et dispose également d’un étage avec trois salles de commissions parfaitement isolées.

Un festival riche et diversifié

La semaine du 27 septembre fut d’ailleurs déjà riche en évènements. De lundi, avec une soirée d’ouverture aux couleurs de Bollywood à vendredi, avec une journée intergénérations, à laquelle vos serviteurs se sont glissés aux milieux d’Otaku éclairés pour discuter avec le passionnant Aurélien Pigeat de la mémoire dans les mangas, les habitants de Pessac ont pu se familiariser avec la diversité des cultures de l’Asie.

Mais cette journée fut surtout celle de la très attendue soirée japanime, dont la programmation fut dictée par la triste disparition de Kon Satoshi il y a quelques semaines.

Paprika (2006, Japan) Directed by Satoshi Kon Shown: Director Satoshi Kon

 

La vision conjointe de Tokyo Godfathers et de Paprika nous a permis de nous rappeler que ses films regorgent d’une vitalité débordante, qui rend la mort du cinéaste difficile à réellement concevoir. Malgré l’hyperréalisme de sa description des bas-fonds de Tokyo et de ses clochards marginaux, Tokyo Godfathers fait preuve d’une joie de vivre communicative et d’un grand humanisme. Tout comme les visions cauchemardesque de Paprika témoignent d’une énergie hallucinatoire dans son obsession de perpétuellement remplir le cadre de l’animé.

Les chanceux qui étaient présents ont aussi découvert avec émotion la dernière création du maître : un clip réalisé pour la matinale de la NHK. On y aperçoit une de ses si reconnaissables héroïnes se lever, et se dédoubler à chacun de ses gestes, jusqu’à retrouver sa plénitude une fois bien réveillée. La présentation de ce court conçu tout récemment montre encore une fois à quel point sa disparition prématurée fut un choc surprenant.

Célébration de la vie par le cinéma, les films de Kon vont nous manquer… Comble de l’ironie, à la fin de Paprika, le détective se rend au cinéma et, passe devant tous les films du cinéaste pour aller voir « Les enfants des rêves ». On ne le verra jamais…mais on pourra toujours le rêver. (Retrouvez ici notre hommage à Satoshi Kon)

Présentation du site

La soirée Japanime passée, le weekend peut alors commencer ! La première journée fut l’occasion de se pencher sur la diversité des cultures asiatiques dans une ambiance bonne enfant, loin des rouleaux-compresseurs des manifestations parisiennes.

Dès le samedi matin, des centaines de fans font la queue parés de costumes les plus improbables pour accéder à la très convoitée salle Bellegrave de Pessac. Ici, les cosplayers sont rois et leurs déguisements font sensations. Les Teams bien habituées des festivals français répondent présentes comme à leur habitude. Parmi elles, les membres de la Chibi Neko Cosplay de Bordeaux et de Cosplay Mansion de Toulouse sont par exemple venus en masse.

A l’intérieur, dans la salle principale, les stands se présentent dans un souci de partage et de convivialité affichée. On est accueilli par celui de Chabei, maison de Thé de la ville, qui régale les festivaliers depuis la première édition d’Animasia, en cafés des quatre coins de l’Asie. Courageux envoyés spéciaux d’East Asia, nous optons pour un Kopi Luwak, le café Indonésien le plus cher du monde, en raison de son passage par le système digestif d’un animal local.

Bien réveillé par ce breuvage inhabituel, nous découvrons alors le reste de la salle. Et force est de constater qu’il y en a pour tous les goûts : Karaoké, tournois de jeux-vidéos, espace de lecture, jeunes créateurs… De l’origami à la cuisine, en passant par le fanzinat et le jeu de Go (en extérieur), des pans entiers des cultures asiatiques sont offerts aux amateurs. Les organisateurs prennent ainsi soin de diversifier les géographies, même si le Japon est à l’honneur, attirant le gros de la foule alléchée par l’odeur des mangas.

A l’étage, l’espace est dédié aux filles (Stand Pullip, Nailart, Ball Jointed Dolls), aux conférences et aux documentaires.

Les documentaires

Parmi la sélection, nous avons pu découvrir le chouette Ne dîtes pas à ma mère… que je suis en Corée du Nord de Diego Bunuel. Le nouvel explorateur de Capa partage avec son homonyme Luis une fascination pour démasquer les interdits et filmer les Terres sans pain. Mais la comparaison avec le surréaliste espagnol s’arrête là, tant ce Bunuel ressemble plus à un Michael Moore à la française. Armé d’une petite caméra, il cherche des images de pays qui en manquent cruellement. Ici, il part pour la Corée du Nord à l’occasion de la cérémonie d’anniversaire de la mort de Kim Il-sung. Le voyage est digne de Tintin au pays des soviets, tant le faste et l’apparat de la cérémonie cachent mal la profonde misère du pays, que le cinéaste dévoile avec ironie et humour.

De la Corée, on passe à Hong-Kong avec Adeline C. Kayee et sa La Caravane des 10 Mots. Joli film qui nous plonge au cœur de la citée, pour nous faire découvrir une ville aux multiples facettes en qui nous entrainant dans le quotidien de ses habitants francophones.

Les temps forts

Le défilé Cosplay

Pour rappel, le Cosplay est une contraction de deux mots, «costume » et « playing ». Sous l’œil attentif du jury du collectif Nerdz de Nolife, les cosplayers défilent les uns après les autres, dans des costumes et chorégraphies plus ou moins élaborées, pour le grand plaisir des spectateurs qui semblent manifestement ravis du spectacle. Malgré la présence, du jury, ce n’est pas vraiment un concours : l’ambiance est très bon enfant et la bonne humeur de rigueur.

La Nocturne

Les festivités sont loin de se terminer là puisque la nocturne, réservée aux plus de 16 ans, commence alors. A cette occasion, l’Association Mandora a concoctée spécialement sa propre Battle Royale. Dans un souci de continuer à vous informer et vous divertir le plus longtemps possible sur le cinéma et la culture asiatique, nous préférons ne pas nous présenter au tirage sort (safety first), mais dépêchons un festivalier qui nous raconte tout en sortant.

Que les âmes sensibles passent ces quelques lignes de témoignage :

“L’accueil des « professeurs » fut assez amusant, tentant de nous faire peur en nous hurlant dessus et nous poussant, avec des mises en scènes nous montrant la mort de deux élèves afin de suivre le scénario de Battle Royal. Nous avons ensuite été regroupé en équipe de 5 ou 6, chacune ayant deux professeurs référents qui allaient être nos guides tout au long du jeu.
Tout a commencé par deux épreuves simultanées : une énigme pour un des participants du groupe et une séance de tir au but assez particulière, où les professeurs faisaient tourner l’élève sur lui-même pendant 10 secondes avant de le lâcher pour qu’il tente de mettre un but, dérangé par deux personnes prisent au hasard dans le public qui servaient de poteaux sur le chemin des buts.
L’épreuve suivante fut largement plus sadique, un concours entre véritables guerriers : il fallait manger du wabasi à la cuillère ! Le premier à montrer un signe de faiblesse étant le perdant.”
David L. (courageux volontaire qui est allé très loin dans le jeu puisqu’il termine à la troisième place)
La cruauté de la suite nous oblige à abréger ces propos, mais le lecteur aura compris la nature insoutenable du jeu…

A la place de ce massacre, nous nous rendons à la projection du très bel animé licencié par Kaze, Garden of Sinners soit Kara no kyôkai en japonais, premier opus d’une série de sept.

L’histoire se concentre sur une série de suicides de plusieurs jeunes filles que rien ne semble lier aux premiers abords. Appuyé par un discours métaphysique et intégrant des éléments surnaturels, le film est superbe visuellement, et l’atmosphère est renforcée par les excellentes compostions de Kajiura Yuki.

garden of sinners
Mais le résultat est au final assez mitigé : il est en effet difficile de se faire une idée définitive, tant les interrogations restes nombreuses. Plusieurs éléments scénaristiques trouvent en fait leurs réponses dans les œuvres suivantes. Dans ce volet, qui fait plus penser à une introduction qu’à une véritable œuvre (même si chaque film est pensé indépendamment des autres), la personnalité des protagonistes n’est pas suffisamment exploitée. Mais pour les raisons évoqués plus haut, cet Anime laisse présager une œuvre de qualité sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus en détails très prochainement.

Les concerts

La soirée s’est clôturée de plus belles avec deux concerts, celui d’ One Wing Pianist (bien connu des fans) et de Lyr.

L’association des termes musique et mangas passe également par la projection du fabuleux Interstella 5555, chapeauté par l’un des maitres du manga que l’on ne présente plus, Matsumoto Leiji, le papa d’ Albator. Au-delà des qualités intrinsèques de l’anime, la particularité du film réside dans le fait les Daft Punk soient allés cherchés au Japon l’habillage visuel de leur album.

Pour contraintes horaires liées au dernier transport, nous n’avons cependant pas pu assister au grand final de la soirée. Car pour couvrir le dernier jour du festival et dans un souci de préserver notre santé, il nous fallait à tout prix rejoindre notre complexe hôtelier dans la zone urbaine vide des environs de l’aéroport de Mérignac, qui est assez éloignée de Pessac. Chez East Asia, repousser les limites de son corps est monnaie courante et fait parti du quotidien, mais nous venons d’apprendre à nos dépends que même les surhommes ont parfois leur limites !

Le dimanche

Rebellote donc le lendemain matin, pour constater, en arrivant à la salle Bellegrave, que le public est plus familial que la veille. De nombreux jeunes parents sont présents afin d’éveiller la curiosité de leurs petits à cette culture asiatique, riche et diversifiée. Les souvenirs de nos 5 ans nous reviennent en tête, lorsque l’équippe d’East Asia éveillait son cerveau à Ken le Survivant (Hokuto No Ken), gentil petit dessin animé au doublage d’une grande qualité.

Les temps changent : si la nocturne a pu faire découvrir Sôten no Ken à une nouvelle génération, c’est plutôt le Drama Last Friends qui attirait ce dimanche des hordes de lycéennes.

Les codes du genre y sont respectés : la série joue la carte de l’émotion et du romantisme au milieu de tous ces beaux gosses aux visages lisses de poupées. Bref, ça reste tout de même très niais aux premiers abords, et on se demande bien comment il est possible d’apprécier ce show si l’on n’est pas une jeune fille de moins de 20 ans. Le scénario bien prévisible, et le côté kitch rendu par l’utilisation de gros plans et d’une musique appuyant grossièrement sur les moments clés, ne font que conforter cette impression d’être en face d’un nanard pour adulescentes.

Mais pourtant, si l’on se penche un peu dessus, cette série n’est pas dénuée de qualités. D’une part, le jeu des acteurs est plutôt convaincant (excepté Michiru), voir excellent, avec Ueno Juri qui interprète le personnage de Ruka. D’autre part, on se prend vite au jeu grâce à certains thèmes musicaux (ce n’est pas pour rien que les producteurs sont allés chercher Utada Hikaru, célèbre compositrice et chanteuse au japon).

Mais ce qui sauve la série, c’est surtout le fait que le Drama traite avec beaucoup de soin les thèmes sensibles inhérents à la société, auxquels est confrontée la jeunesse actuelle : l’homosexualité, la violence conjugale et infantile. ..

La projection terminée, nous retournons dans la salle Bellegrave où a lieu sur scène, une jolie démonstration de Vovinam viet vo dao, redoutable Art Martial Vietnamien dont la technique principale, le ciseau (décliné 21 fois) consiste à attaquer un adversaire en le saisissant ou le percutant avec ses jambes. Au fur et à mesure de la progression du combattant, le ciseau remonte petit à petit de bas en haut, pour finalement choper la tête de l’ennemi à la volée.

Car Animasia, c’est aussi des duels de sumos, des concours de jeux vidéo, de démonstrations d’arts martiaux et des moments de franches rigolades, avant le retour sur Paris…

Ce qu’il y a de bien avec les festivals, c’est qu’ils permettent la découverte de la région dans laquelle ils se déroulent en plus de la manifestation en elle-même. De la gare de Bordeaux au cinéma Jean Eustache, on est ainsi passé devant les fameux vignobles de Pessac, que nous a présente, non sans fierté, Damien Beigbedder. La course-poursuite pour arriver à l’heure aux projections de l’hommage à Kon Satoshi à Bègles, nous a donné un aperçu des environs de Pessac lors de sa traversé en Tramway. Alors que notre hôtel, près de l’aéroport de Merignac, nous laissait apercevoir une inquiétante zone futuriste, vidée la nuit de ses habitants. Bref, le voyage au cœur de l’Asie est aussi pour les journalistes parisiens un voyage au cœur de l’Aquitaine.

Une chose est sûre : East Asia a pris beaucoup de plaisir à participer à cette manifestation et il y fort à parier qu’à l’avenir, la sympathique ville de Pessac devienne de nouveau notre terrain de jeu.
Encore une fois, un grand merci à Damien et toute son équipe pour les efforts fournis tout au long de l’évènement.
Animasia 2010 s’en est allé, vive Animasia 2011 ! East Asia y sera très certainement, et vous ?

Dossier réalisé par Olivier Smach et Victor Lopez, envoyés spéciaux à Pessac

home@eastasia.fr

Pour en savoir plus, retrouvez nos reportages en version intégrale ici :

Animasia 2010 (1) : Une journée à la Kon

Animasia 2010 (2) : Ne dîtes pas à ma mère… que je suis à Pessac

Animasia 2010 (3) : Le point culminant

Animasia 2010 (4) : Goodbye Pessac