Toujours à Udine, Bastian Meiresonne nous raconte sa septième journée de festivalier ! Au programme : un focus sur l’Indonésie, la Chine en proie aux tremblements de terre, des confessions japonaises, de la corruption en Corée et toujours le carré rose nippon avec deux pinkus ! Par Bastian Meiresonne.
Belkibolang, films omnibus réalisé à 18 mains qui montre le bouillonnement créatifs des jeunes cinéastes indonésiens !
Vendredi 6 mai.
Frénésie en Indonésie
L’Indonésie est un pays que j’affectionne beaucoup. Culturellement, en raison de sa richesse et cinématographiquement, en raison des nombreux chefs-d’œuvre des années 1950 et 1960, de sa fameuse époque “exploitation” des années 1970s et 1980s et de ses années dévergondées des 1990. A la fin des années 1990s / 2000s, il y a eu un important renouveau avec le collectif “I-Sinema”, un groupe d’artistes mené par Riri Riza, qui a bousculé tout le monde avec le film-omnibus sous influence Tarantinesque Kuldesak (en hommage à Cul-de-sac ). En quelques années, la production cinématographique est repassée de trois films par an au début des années 2000 à près de cent actuellement. Une explosion, quantitative, plutôt que qualitative avec soit des mélodrames inspirés de soaps TV ou des œuvres religieuses moralisatrices.
Le principal problème réside – une fois n’est pas coutume en Asie – dans l’absence de centres de formation pour les jeunes réalisateurs aspirants et – surtout – dans la mainmise des studios de productions sur le réseau de salles capables de diffuser les films. Tous les cinémas appartiennent à des majors, qui ne montrent que leurs propres œuvres et font payer cher les projections de films indépendants. Les œuvres produites en marge doivent donc se contenter d’une exposition dans des institutions ou des salles associatives ; néanmoins, plus qu’ailleurs (sauf en Chine peut-être), il y a un véritable vivier de jeunes talents, qui n’hésitent pas à se regrouper pour s’entraider et tenter de faire aboutir leurs projets respectifs. Je crois donc profondément en l’avènement d’un cinéma indonésien dans les années à venir.
Belkibolang est un nouveau résultat de ce formidable bouillonnement. Un film à neuf sketches, pensé et monté par la scénariste et coproductrice Titien Wattimena, qui a demandé à des jeunes gens entre 20 et 30 ans de réfléchir à des vignettes absurdes et surréalistes se passant dans la capitale Jakarta. Évidemment, le résultat est inégal, mais je dis toujours que l’avantage d’un tel projet, c’est que si l’un des courts est moins bien réussi, il se terminera toujours plus vite qu’un long-métrage insupportable.
Parmi d’autres, on retrouve des jeunes débutants prometteurs, comme Tumpal Christian Tampubolon, une jeune réalisateur que j’ai eu la chance de rencontrer lors de mon dernier séjour effectué pour la programmation d’un focus dédié au cinéma indonésien au festival Black Movie de Genève en 2010. A vingt ans à peine, il est déjà le réalisateur d’une trentaine de courts-métrages ! Il signe le délicieux Mamalia , au cours duquel un conducteur de mobylette accompagne une mystérieuse jeune dame à la recherche d’un endroit, qu’ils ne trouveront jamais. Le film inclut un plan extrêmement osé d’une femme donnant le sein à un adulte, magnifique et chargé de symbolisme, qui ne passerait malheureusement jamais la censure, si le film était montré aux instances officielles. Car OUI, ce film indépendant n’est jamais sorti dans les salles en raisons de ses plans de nudité (chastes et justifiés) et le traitement de sujets dits “tabous”. Un film donc d’autant plus nécessaire de faire connaître pour tenter de faire changer certaines choses…
Mais il y a également eu des réalisateurs plus confirmés à participer (gratuitement) à l’aventure, comme Edwin, auréolé d’un succès festivalier avec son étrange Bling pig who wants to fly en 2008, Agung Sentausa, auteur de la comédie musicale Garasi en 2005, qui prouve pourtant sa maestria avec son court Umbrella sous influence Wong Kar-waienne et Ifa Isfansyah, auteur du précédent charmant film pour enfants Garuda di Dakadu en 2009.
Cette décision de programmation du festival d’Udine témoigne de leur désir de défricher des nouveaux talents, mais également de “soutenir” des pays sur la durée. L’Indonésie fait depuis quelques années partie de la “sélection officielle”. L’année 2010 n’était pas très bonne qualitativement et plutôt de passer une ouvre commerciale ratée, ils ont préféré miser sur une œuvre peut-être bancale, mais servant la cause de leur “découverte du cinéma asiatique”. Le fidèle public aura au moins autant (voire plus) apprécié cette projection, que celle et du chinois Aftershock .
Chic et chocs
Aftershock , qui est à ce jour le plus gros succès du box-office chinois avec 70 millions de bénéfices pour une mise de 13 millions d’Euros ! Un film, qui laisse pourtant comme un arrière-goût amer en bouche. Déjà à cause du “Shock” initial, le fameux tremblement de terre de Tangshan de 1976 et dont les images catastrophiques, qui constituent l’essence du film, rappellent douloureusement celles du Japon plus récemment. Arrière-goût amer en raison de la médiocrité du film, qui – après les dix premières minutes explosives – se transforme en un mélodrame profondément nationaliste en passant en revue trente ans d’histoire chinoise… (re)vue par des chinois patriotiques.
Tout le contraire de The Unjust, dernier film en date des frères Ryu, qui surprennent une nouvelle fois en accouchant d’une œuvre explosive… mais plus dans son propos que dans l’action, en dénonçant les rouages de la corruption parmi les forces de l’ordre en Corée.
Il s’agit évidemment d’une fiction, qui n’est pas sans rappeler quelques scandales récents parmi la police. Un exercice de style pour Ryu Seung-wan, qui expérimente beaucoup la mise en scène en jouant sans cesse sur les avant – et arrière-plans pour en appeler au subconscient du spectateur. Un thriller psychologique haletant, quoiqu’une nouvelle fois un brin trop long, qui n’est pas sans rappeler les films américains des années 1970 du type des Jours du Condor .
Psychologie, dont il est également question dans Confessions du japonais Nakashima Tetsuya. Le candidat à l’Oscar 2011 du meilleur film étranger, qui a échoué sur la dernière ligne droite de la compétition est une nouvelle preuve de l’incroyable versatilité de son réalisateur. Le cinéaste a en effet enchaîné la survoltée comédie Kamikaze Girls , l’anti-“Amélie Poulain” par excellence Memories of Matsuko et la comédie musicale pour petits (et grands) Paco and the magical book .
Cette fois, c’est un brûlot tout simplement indescriptible, qu’il nous signe avec – en gros – une prof, qui va se venger d’une manière particulièrement horrible des élèves de sa classe, qu’elle tient pour responsables de la mort de son enfant. La première demi-heure du film est un incroyable monologue par l’actrice Matsu Takako, quasiment filmé au ralenti et qui débouche sur une révélation incroyable, qui va lancer la suite. Une expérience cinématographique incroyable, surtout sur grand écran, dont on se demande comment elle a pu être réalisée sous l’égide du studio de la Toho, pas exactement connu pour ses prises de risque. Ils ont dû être contents avec le succès surprise au box office japonais, la présélection aux Oscars et des ventes un peu partout dans le monde… sauf en France !
N’importe quoi n’importe quand
Un autre pari gagnant – du moins pour les producteurs – c’est celui du philippin Here comes the bride . A la tête du projet, Chris Martinez, aujourd’hui jugé comme étant l’un des meilleurs scénaristes du pays en ayant notamment signé les réussites Caregiver de Chito S. Rono en 2008 et Kimi Dora de Joyce Bernal en 2009. C’est justement l’incroyable succès de ce dernier, écrit, produit et diffusé de manière indépendante avant de connaître une vraie sortie nationale par le biais d’une major, qui a motivé la maison de production ABS CBN d’investir Here comes the bride et connaître un autre carton au box-office.
L’histoire est celle, archi revisitée, d’esprits de personnes, qui changent de corps…sauf que dans le cas présent, ce ne sont pas moins de cinq âmes, qui se retrouvent prisonnières dans la peau d’autres. Ce changement va évidemment entraîner son lot de quiproquos et de situations cocasses, surtout que les héros de l’histoire sont foncièrement différents, comme un vieillard sénile, qui retrouve une “seconde jeunesse” ou une servante modeste, qui se retrouve milliardaire… Ces transformations ne sont évidemment pas anodines, les personnages obtenant ce dont à quoi ils avaient toujours aspiré, ce qui ne les rend pas forcément heureux pour autant. Chris Martinez fait une nouvelle fois preuve d’un réel sens de l’observation en terminant sur une belle leçon de morale… même si cela reste un tout petit peu superficiel. Une séquelle est d’ores et déjà à l’étude, tandis que le scénariste vient de tourner le remake du cultissime Temptation Island de 1980 avant d’enchaîner avec un Kimi Dora 2 avec non plus deux, mais trois personnages différents interprétés par celle qu’il a révélé dans ses films, Eugene Domingo.
Une autre star de cinéma – mais du passé – était l’acteur—scénariste-réalisateur-monteur-et responsable des effets spéciaux Mat Sentol, créateur de la franchise malaisienne “Mat” réalisée entre 1964 et 1979, dont Mat Bond de 1967, passé dans le cycle “Asia Laughs” du festival. Pastiche de James Bond et de la série américaine Max la menace , c’est surtout une parodie d’un autre film malais de la Shaw Brothers, Speed of lightning de 1966, dont il s’agit. Dans le film d’espionnage concurrent, l’agent interprété par Jefri Zain accédait à son bureau secret par le biais de sa baignoire, alors que Mat Bond, lui, passe par les toilettes. L’ensemble des gags du film sont tous du même niveau avec une histoire de conquête du monde totalement secondaire au profit d’un délire permanent. Parmi les meilleures répliques, je retiendrai surtout celle de la voix off, qui introduit les personnages principaux en moins de cinq secondes chrono : “Ceci est le méchant. Il s’appelle Boss Man. Son adversaire, là, c’est Mat Bond”. Bref, une petite œuvre forcément culte, mais qui vaut quand même mieux sur papier, qu’à voir en vrai.
L’autre grand moment de délire de la journée était la projection du philippin Will your heart beat faster de 1980. Troisième long-métrage d’un réalisateur plus connu pour ses mélodrames Blink of an eye et Batch’81 , de Leon a tenté de réaliser la comédie la plus absurde, qui soit. Pari largement réussi avec deux couples d’amoureux pris dans une guerre de trafiquants de drogue japonais visiblement sous l’effet de leur propre came, des faux prêtres et des nonnes avec des mitrailleuses. Ajoutez à cela l’effet de mode délicieusement rétro des coiffures, habits et de la musique synthé disco et vous obtenez le parfait cocktail pour passer une bonne après-midi !
Mais rien, ni personne ne pouvait évidemment prétendre au titre du “plus grand n’importe quoi”, que la dernière entrée en date du label japonais “Sushi Typhoon”, déjà coupable de Alien versus ninja (avec des aliens… attaquant des ninjas !), Helldriver ou encore Mutants Girl Squad . C’est justement l’un des coréalisateurs de ce dernier, Sakaguchi Tak (surtout connu pour avoir été le héros dans Versus ), qui signe la mise en scène avec Yamaguchi Yudai ( Meatball Machine ) pour transposer sur grand écran les folles aventures d’un yakuza revanchard au bras mitrailleurs et genou lance-roquettes (!!!), qui va se batte contre un méchant mafieux.
Le film démarre par ce qui pourrait passer pour une parodie de Rambo 2 avec Tak slalomant entre les balles et sautant joyeusement de mine en mine pour abattre ses adversaires à mains nues. Ça continue avec un retour à Tokyo, où il se fera implanter les fameuses armes, qui feraient pâlir d’envie Robogeisha avant de s’attaquer au boss, qui tire des missiles à partir du vagin d’une acolyte. C’est très con, beaucoup trop long dans sa partie intermédiaire, mais qu’est-ce que c’est bon à regarder avec une salle de mille spectateurs conquis d’avance !
Du coup, les deux autres comédies du jour, le japonais Cannonball Wedlock et le coréen Villain & widow passaient presque pour des œuvres contemplatives.
Cannonball est le premier long d’un ancien assistant coiffeur, qui s’est lancé dans la réalisation de films par passion. Comédie romantique, le film conte l’histoire de Chie, qui décide de larguer ses cinq petits amis pour n’en garder plus qu’un avec lequel faire sa vie. Pas évident, surtout lorsque l’un d’entre eux, éliminé en premier, se met à tout faire pour reconquérir la belle. C’est une comédie typiquement japonaise, loin des modèles hollywoodiens au rythme plus lent et mesuré, où la plupart des gags font davantage sourire que rire – ce qui n’est déjà pas si mal.
Le coréen Villain & widow est une excellente surprise. Se situant quelque part entre comédie et thriller, le film raconte l’histoire de Chang-in, qui loue une chambre dans une villa, censée abriter un trésor. Il aura fort à faire pour mener ses investigations sans éveiller les soupçons de la matrone des lieux, qui tombe amoureuse de lui.
La force de cette comédie, ce sont ses personnages approfondis et cette balance entre comédie, romance et thriller. Seul bémol : le sempiternel défaut de la longueur dans les films coréens (le film gagnerait à être raccourci d’un bon quart d’heure).
L’adieu aux émois
Le cochon a fait ses adieux aujourd’hui avec les deux dernières œuvres diffusés dans le cadre de la rétrospective pinku. Est-ce parce que l’animal est tellement triste de nous quitter, qu’il avait décidé de programmer parmi les œuvres les plus déprimantes de la semaine ?
Le premier, An aria on gazes (aka The bedrom ) est le 35e long-métrage de Sato Hisayau. Bien qu’ayant commencé sa carrière avant les “Four Kings of pinku”, on pourrait le rapprocher de ce mouvement spécifique, qui a signé des œuvres foncièrement déprimantes. An aria on gazes ne fait pas exception avec cette enquête fantastique d’une call-girl, qui cherche à en savoir plus sur une mystérieuse drogue, qui fait des ravages parmi les filles du club dans lequel elle travaille. Une fois n’est pas coutume, le réalisateur n’a cure des scènes érotiques (très déprimantes) et se sert du seul label du pinku pour signer une vraie réflexion sur la dépersonnalisation et la solitude dans un monde de plus en plus replié sur lui, notamment par les progrès technologiques. On n’ose du coup s’imaginer ce que donnerait un remake ou une suite de son film de nos jours…
Malheureusement on ne le saura sans doute jamais, Sato ayant curieusement “disparu” du milieu professionnel après son ultime contribution au film à sketches Rampo Noir en 2006. A noter également, que An aria… avait fait grand bruit lors de sa sortie en salles à cause de la participation de Sagawa Issei, plus connu sous son surnom du “cannibale de Paris”, pour avoir tué et dévoré une femme dans notre belle capitale. Il fera d’ailleurs des incursions récurrentes dans des œuvres pinku ou underground.
Enfin, Lunch Box est d’ores et déjà considéré comme un “classique” du pinku, en raison de sa qualité, scènes de sexe non simulés et un son en prise directe. Une jeune fille muette tombe amoureuse de Yoshio. Incapable de lui proclamer son amour, elle lui prépare chaque midi des repas sophistiqués pour lui prouver son affection. Une belle relation, jusqu’au jour où Yoshio annonce sa décision de rompre..;
Comme dans le cas du magnifique Rustling in bed , ce film fait preuve d’une vraie sensibilité dans le traitement de son principal personnage féminin et la réalisation des scènes érotiques, ce qui en fait sa principale qualité. On s’implique cette relation extrêmement réelle et la fin – terrible – a donc d’autant plus de résonance.
En parlant de tragédie, mentionnons celle, réelle, de l’héroïne principale, la formidable Hayashi Yumika, qui n’aura même pas eu le temps de profiter de l’engouement autour de sa personne en mourant peu de temps après la sortie du film dans un accident de voiture.
Bastian Meiresonne.