Interview de Philippe Rostan à l’occasion du FICA de Vesoul 2013

Posté le 27 février 2013 par

Le Lotus dans tous ses états de Philippe Rostan (Vietnam – France) a remporté le prix du public du film documentaire (offert par la Communauté d’Agglomération de Vesoul) lors de la 19ème édition du Festival International des Cinémas d’Asie (notre critique ici). Rencontre avec un habitué de Vesoul. Par Jérémy Coifman et Julien Thialon.

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Retour à Vesoul pour vous avec ce film, heureux ?

Je suis content car c’est un festival très important pour le cinéma asiatique en général. Les films sont vus et les gens sont restés dans la salle après la projection. Pour nous réalisateurs, il y a un contact que nous n’avons jamais par rapport à ce qui passe à la télévision.

Pouvez-vous nous parler de la naissance du projet et des conditions de tournage.

La naissance a été très rapide. Je partais en province pour une semaine pour boucler un dossier. Au bout de trois jours, j’avais fini et il me restait deux jours à tuer. J’avais cette idée de faire quelque chose sur le Vietnam avec une thématique environnante comme le riz ou le bambou.

Et c’est intéressant car cette année, les Vietnamiens voulaient élire la fleur qui deviendrait l’emblème du pays. Je me suis alors souvenu que le lotus était très important et l’image de ce champ de lotus que j’avais dans la plantation de mon père m’est apparue. C’est parti de là. J’ai appelé mon directeur de chaîne qui a trouvé l’idée excellente. Il a validé dans la foulée le projet. Je suis parti tout de suite après, c’est très rare (rires). On est partis pendant environ trois semaines en circulant de Hanoï jusqu’à Saïgon.

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Comme toujours, les rencontres sont au centre du métrage, comment  s’est passé la sélection ?

En partant de Paris, on m’avait conseillé de rencontrer cet architecte de Saïgon dans le film qui nous montre les différents temples qui ont été reconstruits dans tout le pays. Il avait beaucoup de contacts.

Pour le journaliste ex-maquisard, ami de Hô Chi Minh, ce n’est pas vraiment un hasard. Quand on part au Vietnam, quelqu’un des autorités nous accompagne et cette personne, qui avait fait des études en France, me conseilla de rencontrer son père qui est un journaliste romancier, spécialiste du lotus qui plus est. Il a une vivacité incroyable malgré son âge et c’est toute une mémoire à lui tout seul. Il m’a donné une vision très spirituelle de la fleur et en même temps un ancrage dans ce qu’il appelle le « vietnamien avant la modernité ». Il m’a fait un portrait du Vietnam que je ne connaissais pas. Je suis né au Vietnam mais je suis venu très jeune en France. Il m’a ouvert beaucoup d’horizons.

Je pense qu’un film se tourne avec beaucoup de chance. Je suis arrivé à Hanoï et j’ai rencontré des artistes à qui j’ai demandé des adresses de maîtresses de thé. Une chanteuse m’en a conseillé une vivant à Hanoï. Pour  tous les intervenants, je les appelle pour les rencontrer. Je leur explique le projet, ils adhèrent ou non. Aucun n’a refusé.

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On sent surtout au début une douce nostalgie, que le lotus agit comme une madeleine de Proust pour vous. Est-ce le point de départ du long métrage, ce qui vous a poussé à parler du lotus et de son importance dans le pays ?

C’était inconscient, ce sont des choses qui arrivent pendant le tournage. J’avais prévu de filmer la cérémonie, c’est en rentrant que je me suis aperçu que tout le voyage que j’avais fait venait de cela, de cette madeleine de Proust. Cela ne s’est confirmé qu’après le tournage.

Il y a une sensualité qui se dégage de votre film qu’on ne retrouvait pas forcément dans vos autres opus. On pense  notamment au cinéma de Trần Anh Hùng par moments. Etait-ce une volonté d’appuyer sur l’aspect visuel ?

Oui, j’avais envie de faire autre chose avec ce film. Quand on parle de la madeleine, c’est quelque chose de sensuel. Je voulais faire un film beaucoup plus esthétique que les autres. Dans un long travelling que je n’ai pas montré dans le film, j’ai pensé spontanément au cinéma de Trần Anh Hùng. Un autre exemple est une superbe séquence dont on ne voit que la fin dans le film avec la découverte de la magnifique maîtresse de thé.

Comme le lotus qui éclot, votre film part de l’intime pour élargir ensuite le spectre, était-ce un moyen pour vous de vous éloigner émotionnellement ?

Il y a différents types de documentaires, certains plus journalistiques type reportages. Je fais partie des gens qui partent de leur vision des choses pour souvent l’élargir afin qu’elle devienne universelle pour toucher le maximum de gens. On nourrit cela au fond de soi et les films font leur chemin par la suite. Par exemple, pour Le marché de l’amour, je pressentais  que c’était un film qui allait toucher beaucoup de gens. Il a été diffusé ici à Vesoul, puis à la télévision. Depuis, il a été vendu partout. Je suis en même temps très content et étonné. Au départ, je pensais que c’était un film pour des chaînes comme la Rai ou Arte.

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On retrouve toutes les thématiques qui vous sont chères, telles que la  quête d’identité, la guerre ou les changements politiques et économiques du Vietnam, peut-on parler de film-somme ?

Pour celui-là oui, c’est l’un des derniers films que je ferai sur le Vietnam. Le lotus dans tous ses états est une forme d’addition de tout ce que j’ai fait aujourd’hui afin de rendre hommage à des cinéastes que j’aime, surtout pour mon père, qui ne l’est pas mais qui filmait énormément. Il aurait aimé voir ce film. Je voulais faire un film sur le Vietnam autrement de ce que j’avais fait jusqu’à aujourd’hui.

Quelles sont vos influences cinématographiques ?

Luis Buñuel et Ridley Scott il y a bien longtemps. J’ai été un peu déçu comme tout le monde par Prometheus. Aujourd’hui, une fille comme Kathryn Bigelow, c’est extraordinaire. Je suis très éclectique, c’est mon gros problème (rires). J’ai adoré Breathless d’Ik-june Yang et Royal Affair de Nikolaj Arcel m’a beaucoup marqué.

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Vous avez déjà répondu à la question eastasienne l’année dernière. Cette fois, quel serait votre moment de cinéma dans vos films ?

Une rencontre incroyable qui me marquera à jamais est celle avec Madeleine Riffaud. En réalisant le film sur Madeleine, cela m’a permis de comprendre beaucoup de choses sur moi-même, mon histoire familiale et l’histoire française. Elle a été résistante à 18 ans pendant la Seconde Guerre Mondiale. Elle a tué un officier en pleine rue de Paris. Elle est torturée et condamnée à mort par la suite. Elle a été sauvée in extremis en 1944 à la fin de la guerre.

En sortant, elle devient grand reporter et rencontre des personnalités comme Picasso ou Louis Aragon, qui la lancent sur les rails vers la guerre d’Indochine, du Vietnam et d’Algérie. Elle a 89 ans cette année avec toujours autant de dynamisme. Ce film vit toujours, je suis allé au festival d’Alger où le film a remporté le grand prix. On a l’impression qu’elle est immortelle avec ce film intemporel dans une époque où les guerres ne s’arrêtent pas.

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Quels sont vos prochains projets, où en est ce projet de long métrage que nous évoquions l’année dernière ?

J’ai encore un film sur le Vietnam étalé sur deux ans sur l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan. J’ai commencé à tourner en France l’été dernier. On attend de boucler le budget pour finir le tournage au Vietnam, j’espère cet été. J’ai également mon projet de fiction sur le Vietnam que je tourne dans un an. J’ai encore de la réécriture mais cela s’annonce bien.

Je pars au mois d’avril pour mon film à Madagascar pour un tournage d’environ un mois. C’est un film sur le tabou des jumeaux. Dans la région de Mananjary, ils sont considérés comme des êtres maléfiques. Pendant très longtemps, on les tuait à la naissance et il semblerait qu’on le fasse encore en brousse. Il n’y a pas de raison scientifique, c’est devenu une superstition. Les jumeaux servent de boucs émissaires comme dans d’autres pays ce serait autre chose. Ce sont des meurtres et ce ne sont jamais les parents qui tuent leurs enfants. J’avais plus envie de me pencher sur une vision optimiste avec deux parents trentenaires qui ont décidé de garder leurs jumeaux, un peu comme dans Inconnu, présumé français où ce sont des parias, avec la famille qui est obligée de quitter son domicile pour aller vivre ailleurs et se battre pour faire tomber cette injustice. Ce sera beaucoup de moments d’émotion pour moi et ces personnes. C’est un thème très fort, le film est prévu pour octobre.

Pour le projet sur les mangas taïwanais, cela n’a pas intéressé les chaînes. Le projet a traîné pendant des mois, j’avais commencé à travailler dessus. Mais je sais que je reviendrai tôt ou tard sur ces sujets mis de côté.

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Le cinéma est devenu tellement cher… Il faudrait que les gens continuent d’aller voir les films et conservent ce regard critique par rapport à ce qu’ils voient. J’ai la chance d’être très souvent en contact avec des jeunes. Ils ont cette chance d’avoir accès à l’image par rapport aux anciennes générations. Ils sont énormément suspects par rapport à l’image et je trouve cela très bien de ne pas gober tout ce qu’on leur montre à la télé. Ils ont ce sens critique extraordinaire qui m’épate.

Questions par Jérémy Coifman.

Propos recueillis et retranscrits par Julien Thialon à Vesoul le 09/02/2013.

La critique du Lotus dans tous ses états