Entretien avec le réalisateur Yamamura Koji à l’occasion de Mon premier Festival 2012

Posté le 2 février 2013 par

Interview de Yamamura Koji,réalisateur de film d’animation (Le Mont Chef), réalisé lors de Mon Premier Festival à Paris. Par Vanessa.

 

Yamamura-san, on dit que vous êtes le fer de lance de l’animation indépendante japonaise, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

J’ai été invité cette fois-ci dans le cadre de Mon Premier Festival et il est vrai que j’ai travaillé sur de très nombreux films pour le jeune public au cours de mon parcours. En même temps, j’ai aussi travaillé à certains moments sur des films indépendants et sur des films autoproduits, depuis l’époque où j’étais étudiant déjà.

J’ai eu la chance qu’au tournant des années 2000, mon film qui s’appelle Mon chef et qui est destiné lui, à un public plus adulte, soit remarqué en festival et très bien accueilli. Depuis ce moment, j’ai travaillé de plus en plus pour le grand public.

Vous avez étudié la peinture à l’huile, qu’est-ce qui vous a poussé vers l’animation ?

J’ai commencé à réaliser des films animés quand j’étais adolescent au collège.  Évidemment, il s’agissait d’un travail amateur par rapport auquel je n’avais aucune idée précise de savoir si j’allais continuer ou pas en terme professionnel par la suite.

Mais au cours de mes années de lycée, j’ai eu l’occasion de découvrir certains films de l’ONF – des productions canadiennes – en cours d’arts graphiques, mais également des films russes et d’autres films canadiens au cours de mes années universitaires. Des courts-métrages, qui ont été très marquants pour moi puisqu’ils m’ont amené à réaliser mon travail de fin d’études à l’université en animation, et ce de manière relativement naturelle. Je dessinais depuis longtemps, je m’intéressais assez aux graphismes en général mais aussi au cinéma et donc à l’animation qui, d’une certaine manière, se trouvait être à la jonction de ces deux domaines. C’est donc ce qui m’a amené naturellement, au tournant de la vingtaine disons, à choisir effectivement ce chemin.

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Justement, en parlant d’éléments marquants, vous avez dit qu’Afterlife d’Ishu Patel vous avait inspiré Aquatic, votre film de fin d’études. Avez-vous d’autres sources d’inspiration ?

Pour vous donner quelques titres, il y a Le déjeuner sur l’herbe de Priit Pärn, un film estonien. Il y a le film Le petit hérisson perdu dans la brume de Norstein de 1975, qui est un très bon film pour enfants. Il y a également l’un des films que j’ai vus à l’époque où j’étais au lycée qui s’appelle Le paysagiste, un film sur écran d’épingles réalisé par Jacques Drouin à l’ONF, au Canada.

Dans Micro-histoires, on vous voit utiliser plusieurs matériaux comme la pâte à modeler, le crayon ou encore l’aquarelle, y en a-t-il un que vous préférez utiliser en particulier ?

Ce qui m’intéresse aujourd’hui, de manière central, c’est vraiment le travail du dessin, c’est-à-dire dessiner sur papier en utilisant un matériau ou un autre. Il y a toutes sortes de matériaux qu’on peut utiliser, comme effectivement des crayons, des stylos, des feutres, de l’encre etc. Donc c’est principalement du crayon de couleurs, un petit peu d’encre à eau, d’encre aquarelle que j’utilise pour un dessin sur papier.

Vous traitez souvent de la métamorphose dans vos courts-métrages, est-ce la même technique que vous employez ?

Ce motif de la métamorphose, qui est l’un des enjeux majeurs je pense dans mon travail animé, recouvre différentes facettes, différents aspects dont l’un est effectivement de mettre en forme des métamorphoses, concrètement des formes en mouvement à l’image. Mais il y a aussi des versions, qui sont beaucoup plus, disons beaucoup moins évidentes et qui sont liées par exemple à l’intérieur d’une progression narrative ou d’un récit avec une sorte de métamorphose intérieure ou mentale des personnages. De ce point de vue-là, c’est difficile de vous répondre par rapport à un outil ou à un matériau précis parce que c’est vraiment quelque chose qui déborde des simples aspects purement techniques.

Mais s’il fallait vous donner une réponse en un mot, par rapport à ce versant concret d’éléments à l’image – qui sont portés par une transformation visuelle à l’écran –  l’un des matériaux qui s’y prête le mieux, c’est peut-être la pâte à modeler. Le film Aquatic, que j’ai réalisé comme travail de fin d’études et qui est un film basé sur un dessin qui utilise la pâte à modeler sur un support rétro-éclairé, permet une très grande liberté, une très grande fluidité dans l’évolution des motifs que l’on décrit à l’image. Ça, c’est sur un point strictement technique. Effectivement, la pâte à modeler est un matériau tout à fait propice à la métamorphose.

Vous dîtes que vous avez souvent une idée précise du rendu final de vos films, le matériau que vous utilisez s’impose-t-il de lui-même en fonction de l’histoire ?

C’est difficile là aussi de vous répondre de manière uniforme. Effectivement, il y a des projets par rapport au contenu même que j’ai en tête où les questions de formes se mettent en place un petit peu d’elles-mêmes. Mais dans la plupart des cas, au départ, il y a quand même un travail de tâtonnement, de recherche et d’exploration pour essayer de trouver les formes qui correspondront le mieux à ce que j’ai en tête.

Par rapport à tous les matériaux que vous avez déjà essayés, quels sont ceux que vous aimeriez expérimenter ?

Il y a  toutes sortes de techniques qui m’intéressent d’une manière ou d’une autre. Je pourrais vous citer l’écran d’épingle d’Alexeïeff, mais bon, il n’y en a qu’un ou deux dans le monde. C’est une technique à laquelle je ne me suis jamais confronté et qui pourrait avoir son charme particulier.

L’infographie, évidemment, à laquelle je n’ai quasiment pas touché dans mon parcours, ou des techniques plus matérielles comme l’animation de sable par exemple. Il m’est arrivé d’utiliser le sable de manière partielle mais pas de manière totale pour réaliser un film à travers ce registre-là.

Donc, ce sont des lignes ou des registres techniques que j’aurais envie d’utiliser, peut-être aussi de manière partielle au sein d’un projet plus large mais dont je ne suis pas sûr de pouvoir les embrasser pleinement et de réaliser des films entièrement basés sur l’une ou l’autre de ces techniques.

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Beaucoup de vos films s’adressent au jeune public, est-ce venu naturellement comme pour vos débuts avec l’animation, ou est-ce le hasard des commandes ?

Rétrospectivement, à y réfléchir aujourd’hui, en me retournant un petit peu, il me semble que c’est à la fois une dimension contingente et une sorte d’inclination intérieure. J’ai déjà parlé de cette émission de télévision qui s’appelle « Hirake Ponkikki » pour laquelle j’ai mené mon premier travail – partiel – à destination du jeune public. C’était une émission que j’avais l’habitude de suivre aussi étant étudiant et je suivais aussi d’autres émissions qui étaient destinées à un public enfantin, comme le programme américain « Sesame Street ». Moi, ce qui m’intéressait dans ces programmes, c’était de voir l’ouverture qu’il y avait et qui permettait d’avoir accès à des productions animées, à des types d’animations totalement inusités, impossibles à voir autrement et donc inhabituels. C’est ce qui me frappait et ce que j’essayais de retrouver en suivant ces émissions, et c’est ça aussi qui m’intéressait à mon tour, dans ce travail d’animer.

Vous avez souvent été amené à travailler avec des enfants, surtout à travers le biais de l’Institution “Le Château des Enfants”, qu’est-ce qui est le plus difficile ?

Écoutez, pour répondre à cette question, je suis obligé de vous faire part, je pense, de problèmes qui sont avant tout de mon côté à moi plus que du côté des enfants. Il se trouve que moi-même, à l’époque où j’ai travaillé sur ces différents films – c’était pour certains d’entre eux notamment – avant la naissance de mes enfants et donc j’avais une sorte d’incapacité à communiquer réellement. Je  me demandais comment communiquer avec des enfants. Je n’avais pas l’habitude, je ne savais pas exactement comment rentrer en contact avec eux et travailler avec eux. C’est quelque chose qui du coup a suscité certaines réserves en moi et puis par ailleurs, par rapport à la notion de travail avec eux, essayer de trouver ce qui pouvait être une forme de satisfaction pour eux et puis pour moi. Il y avait quelque chose qui restait un petit peu indécis là-dedans. C’est à dire que, travailler avec les enfants, les voir se réjouir et voir ce que eux en tirent me faisait plaisir bien sûr, mais c’était très difficile d’imaginer en tirer davantage, en tirer autre chose que cela, ce plaisir partagé sur le coup, à partir de ces expériences. En particulier pour moi, en tant que réalisateur, en tant qu’animateur, il y avait quelque chose qui restait cantonné à cet instant, à cet échange-là, qui ne m’apportait pas davantage.

Il est vrai aussi que les enfants ont toutes sortes d’idées qui peuvent parfois être très foisonnantes mais sont parfois dans l’incapacité, sur le plan strictement technique, de donner une forme satisfaisante – à leurs propres yeux –  aux idées qui sont les leurs. En même temps, c’est illusoire de se dire qu’on peut tout leur apprendre et qu’on peut leur apprendre suffisamment aussi de choses pour réduire cet écart de manière significative. Il y a un certain nombre de limites auxquelles on est confronté par la force des choses donc il y avait un certain nombre, comme ça, de frustrations qui ont vu le jour au cours de ce travail.

Et maintenant ? Vous sentez-vous toujours frustré dans votre travail avec les enfants ou au contraire, cela va-t-il beaucoup mieux ?

En fait, en raison de ces frustrations, j’ai été amené progressivement au cours du temps à refuser de plus en plus les propositions qui me venaient d’animer des ateliers avec des enfants. Le dernier grand travail de ce côté-là auquel j’ai pris part avec eux, c’est l’atelier qui a mené à la programmation du film You’re Choice en 1999. Mes enfants étaient nés entre temps et j’avais déjà plus de temps. C’est un travail à long terme, sur plusieurs mois, qui s’est prolongé et sur lequel où il y a eu vraiment, pour moi aussi je pense, une satisfaction propre au travail qui a été mené.

Avec Mon Premier Festival, c’est la première fois que vos courts-métrages sont projetés à un public d’enfants français, y a-t-il une grande différence avec les enfants japonais ?

Oui, c’est très différent. Vraiment ici, le public enfantin est très réactif, on voit, on peut suivre d’un instant à l’autre, dans une perspective qui est vraiment celle de l’instant, d’une seconde à l’autre le détail de leur réaction. Elles sont très nettes, très réjouissantes à voir. On voit très bien ce qu’ils apprécient, ce qu’ils n’apprécient pas. C’est très plaisant à suivre. Alors qu’au Japon, la réaction du public enfantin est souvent beaucoup plus effacée, beaucoup plus difficile à percevoir.

Qu’est-ce qui vous a fait le plus plaisir, en venant ici à Paris pour Mon Premier Festival ?

De manière très simple et sans doute qui me paraît très convenue, c’est vraiment le sourire des enfants qui m’a marqué. J’ai été touché par les réactions que j’ai pu voir dans les salles, face aux films. J’ai travaillé sur certains d’entre eux il y a de ça une vingtaine d’années, parfois plus. Au Japon – et même en dehors -, il y a très peu de festivals qui sont dédiés au public enfantin et donc j’ai eu assez peu l’occasion de voir de près les réactions spécifiques, la perception de ce public-là – ça m’est arrivé à quelques reprises, mais ce n’est vraiment pas si courant que ça – alors qu’ici, effectivement au festival, il y a vraiment une assistance nombreuse d’enfants, de petits enfants et donc moi, en voyant leur réaction je me suis réjoui, j’étais content d’avoir travaillé sur ces films au fil des ans. Vous voyez, j’ai retrouvé une satisfaction neuve à avoir réalisé ces films au cours des ans, alors qu’à l’époque je n’avais pas forcément une image très précise, effectivement en termes de public ou d’adresse.

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Un peu plus tôt vous avez dit que vous vous êtes lancé dans l’animation par rapport aux programmes télévisés que vous regardiez. Est-ce pour cette raison que vous avez fondé votre propre société de production ?

Oui, bien sûr, c’est lié. Pour travailler à son propre compte et travailler sur ses propres films, vous savez, que ce soit des commandes ou des films personnels et pour des raisons purement administratives. C’est important, c’est utile et ça peut être décisif en même temps d’avoir sa propre structure. Voilà, c’est pour ça que je me suis lancé là-dedans. On m’a bien expliqué que cela faisait une différence, y compris pour pouvoir recevoir des commandes,  notamment.

Quel regard portez-vous sur le cinéma d’animation indépendant au Japon ?

J’ai l’impression qu’il y a, de manière générale, une sorte de recherche. Tout le monde est à la recherche de repères, et de manières de travailler et de travailler les films. Ce qui est sûr, c’est que la population travaillant dans le domaine de l’animation est en augmentation chez les jeunes. Beaucoup de réalisateurs sont de jeunes réalisateurs. Ils ont souvent une expérience de la société qui est elle-même assez restreinte, donc il y a une assez grande diversité de directions, de tendances comme ça, de lignes d’orientation dans les travaux de cette jeune génération et tous sont dans une quête qui est finalement celle de savoir quels seront ceux d’entre eux qui vont pouvoir  s’installer dans ce cheminement et survivre un petit peu dans ce métier-là. C’est-à-dire rester et continuer à travailler à moyen terme sur des films animés. Et donc l’unique caractéristique de cette production, je pense, qu’effectivement c’est – aussi bien sur le plan technique qu’en terme de propos –  la diversité des approches et des lignes suivies. Ça, on peut en convenir assez aisément.

Pour conclure, qu’aimeriez-vous continuer à faire à l’avenir ? Quels sont vos projets ?

Je travaille actuellement sur un projet de séquences animées. Elles seront incluses dans un documentaire, dans une émission qui porte sur le « kojiki », c’est à dire le recueil des faits anciens. Il s’agit des mythes fondateurs des archipels japonais, du plus ancien écrit existant au Japon qui date de 712. C’est, en fait,  le 1300ème anniversaire de la naissance de ce texte cette année. C’est une émission d’une heure et il y aura dix minutes en animation que je réalise pour le printemps de l’année prochaine. Ça, c’est vraiment comment l’archipel japonais a été créé par un enchaînement de divinités diverses et de générations en générations.

Et en dehors de ce travail-là, que je mène actuellement, j’ai deux projets : un projet de film qui sera plus long que ce que j’ai réalisé jusqu’à présent et qui s’adresse aux enfants, et puis aussi un autre, mais qui s’adresse à un public adulte et sur lequel je réfléchis en même temps.

Propos recueillis par Vanessa Harnay dans le cadre de Mon Premier Festival 2012. Remerciement à toute l’équipe du festival  et à Natalie Heys Cerchio.