Why Don’t You Play in Hell? de Sono Sion (L’étrange Festival)

Posté le 13 septembre 2013 par

Après un cycle post-Fukushima assez consensuel et didactique, composé de Himizu et The Land of Hope, Sono Sion revient à un cinéma plus brut, plus en phase avec sa vision du monde et du cinéma. Par Jérémy Coifman.

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La caméra tourne, les enfants courent, les Fuck Bombers, cinéastes amateurs un peu fous filment comme ils respirent, comme un besoin vital qui n’est jamais satisfait, toujours incroyablement galvanisant. Avec une caméra dans la main, tout devient prétexte à une formidable aventure : deux travailleurs qui fixent un panneau sur la devanture d’un magasin appartenant aux Yakuzas, une bagarre entre jeunes, un gangster à l’article de la mort.

Les Fuck Bombers veulent faire des films pour toujours, mais plus important, ils veulent réaliser un chef d’œuvre, peu importe s’ils se tuent à la tâche. La beauté folle de Why Don’t You Play in Hell? réside dans la capacité d’émerveillement de ces alter ego, dans cette insanité perpétuelle, dans la liberté totale dans laquelle Sono Sion évolue. Même quand dans ses films précédents il parle de Fukushima et veut sensibiliser la population, il le fait à sa manière avec bruit, fureur, passion et force.  L’amour du cinéma, la rage de filmer est intacte, même à plus de 50 ans.

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La tendresse qu’a Sono Sion pour ses personnages est palpable et la fidélité affichée à sa famille de cinéma (de plus en plus grande au fil des ans) est magnifique. Ce film est aussi pour eux. L’échange est continu entre les deux parties, le don de soi total. Le résultat est détonnant. Le réalisateur devient spectateur, les acteurs deviennent réalisateur, la mise en abyme est savoureuse. L’industrie du cinéma japonaise façon Sono Sion est un repaire de gangster fous, d’illuminés prétentieux, de vendus qui font des films « pour se payer une nouvelle maison ». Malgré la virulence de la critique, la passion du cinéma est trop forte, l’envie de filmer bien trop vitale. L’enfer du titre, c’est peut-être aussi cette industrie malade. Mais pourquoi pas ? Pourquoi ne pas tenter sa chance, pourquoi ne pas embrasser un rêve de toujours ? Le désenchantement qu’on peut voir poindre dans tous les films de Sono Sion est bel et bien présent, mais à chaque fois qu’une caméra apparaît dans le champ, qu’un morceau de pellicule est filmé, tout brille d’un autre éclat. Le cinéma transparaît de tous les plans. Les citations sont nombreuses et intégrées de manières fluide et intelligente (de Bruce Lee à Godard en passant par Léone), les influences parfaitement digérées. Tarantino a trouvé à qui parler. On joue sans arrêt avec les genres (le Yakuza Eiga, la comédie, le drame, l’horreur), sans peur du ridicule, sans faire semblant.

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Why Don’t You Play in Hell? est une sorte de pendant gore et fou au Last Action Hero de McTiernan. Le baroud d’honneur de héros magnifiques (Les Yakuzas ici). Ils sont tous un peu (beaucoup) ringards avec leurs costumes en peau de serpent, leurs mines patibulaires forcées et leur code d’honneur, mais il représente un passé glorieux pour le cinéma. A l’époque où le 35 mm était là, où les Wakamatsu, Suzuki, Fukasaku et autre Gosha faisaient leurs Pinku eiga, Yakuza Eiga et autre Ken-Geki. La bouffonnerie et le ridicule s’effacent pour faire place à la tendresse. On aime ce cinéma. Le long métrage n’est pas passéiste pour autant, garde son insolence (ses nombreuses digressions sur le cinéma japonais, récent comme passé, sont assez virulentes). L’évolution est logique, mais l’amour que l’on a pour le cinéma doit rester le même. Une des bandes rivales veut revenir au temps des samouraïs et habiter dans un château, la bataille doit se faire avec des sabres et non des armes à feu, mais pourtant le passé ne peut perdurer bien longtemps face aux avancements technologiques et idéologiques (la publicité que le chef des Yakuzas chante sans arrêt, les armes à feu qui font irruption en pleine bataille). Comme dans le chef d’œuvre de McTiernan, Sono Sion interroge la nouvelle génération tout en jouant sur la fibre nostalgique des autres.

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Sans cesse en mouvement, incandescent, Why Don’t You Play in Hell? est assurément un grand moment de cinéma. Sono Sion continue de tracer son chemin sans sourciller, sans changer de ligne. Comme son alter ego qui court jusqu’à perdre haleine (faisant écho à son Himizu), le cinéaste ne sait pas vraiment où il va, mais l’important est de continuer de tourner.

Jérémy Coifman.