Petit protégé du cinéma français dans les années 80, Luc Besson a en outre écrit 37 scénarios, révélé Natalie Portman dans Léon et fondé EuropaCorp, sa propre société de production. Après des réalisations plus commerciales (les épopées lucratives d’Arthur et les Minimoys ou Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec), il signe l’hagiographie d’Aung San Suu Kyi, ex-prisonnière politique, militant depuis 20 ans pour la démocratisation de la Birmanie. Portée à son firmament par Michelle Yeoh et soutenue par Amnesty International, The Lady parviendra-t-elle à supplanter l’élogieuse période Nikita désormais si lointaine ? Réponse immédiate dans la critique ! Par Dorian Sa.
« Dans un système qui dénie l’existence des droits humains fondamentaux, la peur tend à faire partie de l’ordre des choses. Mais aucune machinerie d’État, fût-elle la plus écrasante, ne peut empêcher le courage de ressurgir encore et toujours, car la peur n’est pas l’élément naturel de l’homme civilisé. »
Discours Freedom from Fear d’Aung San Suu Kyi, 1990.
Les 10 dates clés
*1945. Naissance de Suu Kyi à Rangoon.
*1947. Assassinat de son père, le Général Aung San, ayant permis l’indépendance de la Birmanie.
*1967. Fin d’études en Grande Bretagne.
*1972. Mariage avec Michael Aris, un anglais résidant à Oxford, avec qui elle aura deux garçons.
*1988. Retour de Suu Kyi dans sa ville natale pour s’occuper de sa mère mourante. Son mari et ses enfants demeurent en Angleterre.
L’armée assiège le pays. Suu Kyi fonde la Ligue Nationale pour la Démocratie afin de faire voter des réformes.
*1990. Le parti remporte les élections, mais la victoire est invalidée par les dirigeants. Suu Kyi se voit alors assignée à résidence à plusieurs reprises.
*1991. Le Prix Nobel de la Paix lui est décerné.
*1997. Michael Aris souffre d’un cancer. Les autorités Birmanes le tiennent néanmoins à l’écart de sa compagne, afin qu’elle abandonne sa lutte. Celle-ci résiste malgré l’isolement.
*1999. Michael Aris décède sans la présence de sa bien aimée.
*2010. Suu Kyi est relâchée après 14 ans d’enfermement.
Le Projet
Un jour, Michelle Yeoh contacta Luc Besson pour lui demander de mettre en images un script de Rebecca Frayn (scénariste, romancière et réalisatrice de documentaires). Très occupé, il refusa tout de go, avant d’accepter quelques temps plus tard, une fois le manuscrit sous les yeux.
The Lady -son tandem romanesque, sa symbolique universelle- portait en son sein la promesse d’une fresque humaniste grandiose capable d’absoudre son auteur par la bénédiction d’Amnesty International.
Après quelques remaniements, notamment l’aspect documentaire, la messe fût dite, et Michelle et Luc de prêcher la bonne parole à travers le monde avec une hostie hollywoodienne entre les lèvres.
Le Casting
Michelle Yeoh
Des deux premiers opus de la saga In the Line of Duty (Corey Yuen; 1985 et David Chung; 1986) à True Legend (Yuen Woo-Ping; 2010), Michelle Yeoh a manié les arts martiaux au rythme d’une danse meurtrière plus efficiente que toutes ses rivales réunies. Aujourd’hui, l’actrice protéiforme pose les armes – comme elle avait pu le faire dans Mémoires d’une geisha (Rob Marshall; 2005)- afin de livrer un combat de plus grosse envergure.
Sous les traits d’Aung San Suu Kyi, avec laquelle elle partage des convictions et une ressemblance physique confondante, elle compose un rôle charismatique à travers lequel elle se réalise toute entière.
Après s’être entretenue avec la birmane, la comédienne mime les gestes sibyllins de sa personnalité puis apprend sa langue durant 6 mois pour gagner en crédibilité. Face à la caméra, son visage oblong laisse fureter des regards humbles et généreux. Du haut de son pupitre, elle prend soudain la parole, et son discours sur la peur rassérène la foule en péril. Quelles que soient les menaces formulées à son encontre, elle affiche un tempérament inébranlable dans un corps de jeune fille…
David Thewlis
Prix d’interprétation à Cannes pour Naked (Mike Leigh; 1993), second couteau dans The Big Lebowski (les frères Coen; 1998) ou Mr. Nice (Bernard Rose; 2009), David Thewlis entre maintenant dans la peau de Michael Aris et de son jumeau Anthony.
Du frère rassurant à l’époux sacrifié, il joue un « double je » subtile sans jamais s’effacer dans l’ombre de sa partenaire. De cette façon, il partage une complémentarité semblable à celle qui unissait les personnages d’origines, et honore celui qui se fit, jusqu’à sa mort, le relais occidental des négociations de sa femme.
La Critique
The Lady emploie les contraintes du genre biographique (chronologie, convictions, culte de la personne) et la base des faits historiques (déroulement de l’action) pour s’en faire des piliers structurants. Grâce à ce procédé, Luc Besson conçoit son produit le plus abouti depuis ces quinze dernières années. Pourtant, le technicien ayant peu à peu remplacé le cinéaste, il ne prend plus aucun risque à la création et effectue les choix erronés de la facilité.
Complexé par son sujet, il craint de tutoyer la polémique en peignant une réalité trop choquante. Aussi, sa peur d’ennuyer le spectateur avec les détails de la guerre, le conduit à explorer une version de l’histoire dans laquelle la photographie est adoucie, l’information pré-mâchée, les figures du bien et du mal stéréotypées.
Dans sa totalité, le portrait de Suu Kyi reste bloqué au stade de l’idolâtrie. La conscience du profane est ainsi maintenue dans le flou d’une opposition gentils civils – méchants militaires. Nul n’apprend comment le régime totalitaire Birman a pris le pas sur la démocratie. Entre une exécution et des détentions, les opinions du peuple sont passées sous silence. Parallèlement, les conflits d’intérêts régissant les échanges internationaux sont survolés. Dans ce contexte, il est fastidieux de comprendre pourquoi Aung San Suu Kyi subsista enfermée si longtemps dans sa maison, sans que l’ONU ne parvienne à la libérer ?
Comme à l’accoutumée, Besson cède au formatage « Walt Dysneyisé » de la standardisation globale. On assiste donc, abasourdis, à l’empilement de scènes manichéennes sans profondeurs narratives.
Après ce gâchis, nous nous surprenons à rêver d’une destinée plus heureuse. Les noms de Wakamatsu Kôji (Le Soldat Dieu ; 2010) et Ari Folman (Valse avec Bachir ; 2008) nous trottent justement dans la tête. Nous les imaginons redorant avec maestria la noblesse de The Lady, une initiative à tout le moins enlaidie par les marchands du septième art…
Dorian Sa
Verdict :
The Lady de Luc Besson, sortie en salle le 30/11/2011.