Le Sommeil d’or de Davy Chou (Paris Cinéma)

Posté le 7 juillet 2012 par

Présenté en avant-première à Paris Cinéma, Le Sommeil d’or de Davy Chou sort en salles le 19 septembre 2012. On ne peut que saluer sa présentation sur grand écran tant le film est à la fois un émouvant documentaire sur une cinématographie perdue (celle du Cambodge des années 60 à 75) et une belle œuvre de cinéma. Par Victor Lopez.


Le premier plan d’un premier film se regarde toujours avec une attention particulière. Celui du Sommeil d’or nous plonge dans la nuit cambodgienne, embarqué dans les ténèbres d’un chemin de terre, certainement à bord d’un véhicule, dont la caméra capte frontalement la progression. Rapidement, on s’aperçoit cependant que le sens de la marche n’est pas celui que l’on pensait : c’est à reculons que les images défilent, et elles nous amènent vers un coucher de soleil qui vient chaleureusement traverser l’obscurité de la nuit. De l’ombre à la lumière, cette première scène lève le voile sur le projet de Davy Chou : retrouver un passé plus lumineux, tout en gardant son regard fixé vers le présent et l’avenir.

Encadrant cette belle idée de cinéma, deux éléments viennent ancrer l’œuvre dans le genre documentaire. Les panneaux d’ouverture, qui nous informent brièvement sur le sujet du film en nous apprenant qu’entre 1960 et 1975, plus de 400 films furent produits au Cambodge, mais qu’ils furent tous détruits par la junte Khmer Rouge en 1975 et, plus tard, le premier témoignage du film. Enregistré à Paris, celui-ci donne un ton particulièrement personnel à l’œuvre, puisque c’est sa propre tante qu’interroge Davy Chou sur son grand-père, l’un des plus importants producteurs de cinéma des années 60.

En quelques minutes, Le Sommeil d’or a trouvé son style et sa direction : un documentaire sur la mémoire d’une époque oubliée à travers son cinéma, doublé d’une quête personnelle et porté par de vraies propositions de mise en scène et de cinéma. Jamais prétentieux dans ses ambitions, le premier film de Davy Chou arrive tout du long à tenir les promesses de son beau début.

Commençons par l’histoire du film : c’est en découvrant le métier de son grand-père au Cambodge que le cinéaste décide en 2010 de monter un projet centré sur les vestiges de cette cinématographie perdue. Si le cinéma est trace d’un passé, mémoire d’un lieu et d’une époque captés à un moment donné, que reste-t-il lorsque tout, jusqu’à cette trace, a été effacé ? Le régime Khmer Rouge s’est ainsi impitoyablement attaqué aux réalisateurs et stars du cinéma d’antan, considérés comme des intellectuels et des décadents, mais a aussi méticuleusement détruit toutes les œuvres produites avant son arrivée au pouvoir. Et pourtant, en partant à la recherche de ce que l’on pensait perdu, ce sont plus que des ombres qu’a retrouvées Davy Chou.

Dominé par l’imaginaire, c’est d’abord à travers ses musiques et ses mythes qu’a survécu le cinéma cambodgien. Ce sont maintenant comme des contes de traditions orales que racontent les anciens que survivent les fabuleuses histoires du cinéma khmer, quand ce ne sont pas les rythmes des BO encore populaires parmi les jeunes qui sont remixés dans les boîtes de Phnom Penh. Pendant un an et demi, Davy Chou est allé à la rencontre de ces restes sonores, mais surtout de ses acteurs et témoins. Réalisateurs, producteurs et actrices se remémorent leur passé avec nostalgie, tristesse ou avec la fougue de transmettre leurs histoires et leurs souvenirs.

En faisant renaître cet âge d’or, le réalisateur fait ressurgir l’enfance d’un pays dont les souvenirs du XXe siècle sont à jamais liés à la période d’horreur sanglante du génocide. Les intervenants eux-mêmes semblent retomber en enfance en se remémorant leurs lointains souvenirs, peuplés de créatures imaginaires, de  princesses et de légendes fabuleuses.

Un témoignage surtout bouleverse, même si la proximité du réalisateur avec ses intervenants rend souvent leurs discours humains et touchants : celui d’un ancien cinéphile, toujours accompagné d’un savant confrère, et doté d’une mémoire encyclopédique. Les larmes aux yeux, il explique que les visages des stars de l’époque sont à jamais restés gravés dans sa mémoire, alors que ceux de sa famille se sont effacés. C’est comme si la réalité, trop difficile à supporter, s’était dissoute dans l’imaginaire que représentait le cinéma d’alors.

À travers l’ombre du cinéma disparu, ce sont les fantômes des sacrifiés du régime Khmer Rouge qui réapparaissent donc en creux. L’impression est palpable quand une actrice parle du mur de photos d’époque qu’elle a conservé pour que ses camarades d’alors restent en vie à travers leur représentation ; ou quand, alors que sont projetées sur un mur de brique des bribes d’images de films des années 60 dans les ruines d’un ancien cinéma, les silhouettes éthérées des nouveaux habitants des lieux regardent, à peine visibles dans la pénombre, les images d’un passé qui semble plus vivant que leur présent ; ou encore quand de jeunes étudiants refont une scène culte d’un film disparu, comme une incantation pour le faire revivre une dernière fois.

Si la géographie et la thématique du film évoquent l’incontournable Rithy Panh, d’ailleurs cité comme producteur au générique, c’est dans la lignée de l’œuvre d’un autre grand cinéaste que l’on situe plutôt Le Sommeil d’or. La précision de la composition des cadres lors des interviews, l’appel de la fiction que l’on ressent sans cesse, l’éclairage du présent par l’intérêt porté au passé des lieux, sont autant d’éléments qui évoquent le geste de Jia Zhang-ke. On peut trouver pire comme comparaison pour un premier film…

Verdict :


Victor Lopez.

Le Sommeil d’or de Davy Chou, en salles le 19/09/2012.