Critique de Luo Village : I and Ren Dingqi de Luo Bing (Festival Shadows)

Posté le 28 novembre 2012 par

Pour sa 7ème édition, le festival Shadows s’affirme avec le documentaire Luo Village : I and Ren Dingqi de Luo Bing. Le cinéaste tente d’extraire la vérité dans son village natal sur la grande famine chinoise (1958-1961) avec une mise en scène habile qui est à la mesure du sujet, sensible et historique, offrant au spectateur un documentaire instructif et touchant. Indispensable. Par Julien Thialon.

En 2009, We Wenguang, grande figure du documentaire indépendant en Chine, initie le projet Folk memory ayant pour objet l’instauration d’un travail de mémoire par des réalisateurs amateurs ou professionnels. Ceux-ci vont retourner dans leur village natal et rassembler des archives à travers des interviews. Le Village de Luo : Ren Dingqi et moi s’inscrit dans ce projet avec la tentative courageuse du cinéaste de dépoussiérer la vérité sur la famine du Grand Bond en Avant (1958-1961).

teaser :  http://video-streaming.orange.fr/cinema/teaser-7-luo-village-i-and-ren-dingqi-de-luo-bing_13574482.html

Dès les premiers instants, cet ancien diplômé de l’institut des Beaux-Arts donne le ton. À travers un plan fixe, Luo Bing ressort un manuel d’histoire chinois d’un amas de livres éparpillés à même le sol et le colle littéralement devant la caméra, avant de le relancer dans les décombres. S’y présente alors sur une poignée de pages, l’histoire de l’une des plus grandes famines du XXème siècle, avec plusieurs millions de morts dans la population. Si une série de catastrophes naturelles est l’unique cause soulevée dans le manuel, le réalisateur s’évertuera pendant le reste du métrage à rechercher les autres sources de vérité pouvant expliquer cette tragédie, essentiellement politiques et sociales. Le gouvernement chinois a officiellement admis sa part de responsabilité mais sans toutefois l’inclure dans son patrimoine historique écrit.

L’un des objectifs du réalisateur : transmettre à la jeune génération insouciante et innocente la réalité des faits de grande famine.

La quête du réalisateur s’articule autour de deux grands axes. Dans un premier temps, il trouve un sérieux point d’appui grâce à son ancien voisin, Ren Dingqi, qui a retranscrit sur manuscrit ses mémoires, incluant cette zone d’ombre que Luo tente de mettre en lumière. Si M. Dingqi soutient dans sa démarche le cinéaste, il hésite encore à dévoiler au grand jour ses écrits, pourquoi ressasser un passé si douloureux ? Le réalisateur fouille, par sa caméra qui devient nos yeux, la demeure de son voisin, partant dans l’optique de montrer les différentes reliques et objets présents depuis 50 ans, bien ancrés dans la génération de Mao Tsé-Toung avec un brin d’espoir utopique de découvrir le document en question, qu’on pourra effleurer en surface dans le dénouement.

L’une des scènes-clefs du documentaire : un membre du village voudrait parler face à la caméra de la grande famine, mais sa fille, hors-champs, refuse qu’il s’exprime. Le fil narratif entre en scène et décrit le ressenti du vieux villageois. Superbe.

Le réalisateur tente en parallèle de chercher la vérité à travers les autres membres du village, ceux-ci étant pour la plupart réfractaires par peur de représailles politiques. Les plus loquaces sont dans l’obligation de s’exprimer à l’écart des pressions familiales et la mort – la parole de la dernière intervention du défunt devient chuchotement puis néant – vient accueillir les plus diminués physiquement. Même sa propre famille avec la grand-mère du cinéaste le pousse à arrêter son projet.

 « Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine. » Mao Tsé-Toung.

Julien Thialon.

Verdict : Par provocation, Luo Bing allume la mèche dans la scène finale en espérant une propagation rapide au plus grand nombre de la vérité jusque-là avouée à demi-mot. Une pépite venue d’ailleurs.

Luo Village : I and Ren Dingqi de Luo Bing, projeté au Festival Shadows.