Spectrum Films propose pour la première fois la sortie française en DVD d’un long métrage de la cinéaste chinoise Li Yu avec Buddha Mountain. Pas de suspense ni de roulements de tambours, le film est à la fois une grande réussite cinématographique et un gros coup de cœur. Par Julien Thialon.
Résumé : Trois amis, Ding Bo, Nan Feng et Fatso, ont terminé leur dernière année de lycée et refusent de s’inscrire aux examens d’entrée à l’université. Obligés à déménager pour cause de démolition, ils vont dans la ville de Chengdu cohabiter avec une ancienne chanteuse de l’opéra de Pékin en plein deuil de la mort de son fils…
S’il existait un prix du public au festival du cinéma asiatique de Deauville, l’édition 2011 aurait couronné Buddha Mountain loin devant la concurrence. À la fin de la projection, dans une salle presque complète, toute l’assemblée se lève et applaudit longuement les trois invités du film. Si Cannes, Berlin et Venise en font une tradition, Deauville a l’habitude de se satisfaire au mieux de quelques claquements de phalanges polis plutôt qu’une standing ovation. Comment le quatrième long métrage de Li Yu a-t-il pu autant fédérer l’opinion ?
Li Yu (Sisters, Stay and Hope, Dam Street) est une cinéaste indépendante chinoise qui ose réaliser des longs métrages aux sujets épineux. Son premier film, Fish and Elephant, lui avait déjà valu une première remontrance des autorités chinoises pour avoir montrer sur grand écran une relation lesbienne. Mais c’est bien en 2007 avec Lost In Beijing, sur la migration économique dans les milieux urbains, que la cinéaste fut sujette à une grande controverse tant par ses thématiques que par une scène de viol (son film a été diffusé seulement pendant 5 jours dans les cinémas). Elle frôla même une privation de réalisation de 5 ans, condamnation à laquelle n’échappa pas son ami réalisateur Lou Ye (Suzhou River, Love and Bruises, Mystery) pour Une jeunesse chinoise. La plupart des films de ces deux cinéastes sont produits par Laurel Film, une petite compagnie fondée en 2000 par le producteur et scénariste Fang Li (jouant un rôle secondaire dans Buddha Moutain). Après quelques années en tant que réalisatrice underground, Li Yu revient avec Buddha Mountain, avec toujours autant d’intégrité artistique mais quelques remaniements dans les scènes pour satisfaire la censure.
Dès les premières minutes, dans une Chine toujours en pleine (re)construction, Li Yu parvient à rendre en quelques plans ce trio de jeunes à l’amitié inébranlable irrésistiblement attachant. C’est cette même amitié qui permet à chacun d’entre eux d’affronter les difficultés de la vie de quartier où l’argent est toujours au centre des attentions. Et quand l’un se fait agresser, l’autre vient à sa rescousse avec la manière : des yeux de fous, s’éclatant une bouteille sur le crâne d’où s’écoule un long filet de sang, et roulant furieusement une pelle lesbienne. Le parti est pris. Drôles, insouciants et touchants, on ne s’attendait pas à voir Fan Bing Bing (Flash Point, Shinjuku Incident, Shaolin) et Bolin Chen (Blue Gate Crossing, 20 30 40, About Love) à ce niveau d’interprétation, plus habitués à figurer dans les films commerciaux. On attendait encore moins Fei Long sorti de nulle part et qui éclate littéralement à l’écran en fan de Michael Jackson par son humour décapant et l’acceptation de son physique.
Grâce à la cohabitation avec une mère qui n’arrive pas à faire le deuil de son fils, le film prend une autre dimension. La tristesse et la sagesse de Sylvia Chang (Shanghai Blues, Salé sucré, Double Dragon), impériale comme toujours, font bifurquer le film vers une prise de conscience. Par une habile narration aux nombreuses ellipses dont le tremblement de terre du Sichuan en 2008 est le cœur, Li Yu arrive à dresser simplement en quelques scènes une responsabilisation de ces personnages face à leurs problèmes et l’impermanence de la vie. La reconstruction collective d’un temple détruit par le tremblement de terre est la métaphore d’une entreprise plus grande : celle d’avoir pris enfin les bons rails, ceux-là même qu’on prenait auparavant en tout liberté pour rentrer finalement à pied…
Budget minimaliste (1.7 millions d’euros) malgré une pléiade d’acteurs très cotés sur le marché, Buddha Mountain en a rapporté le quadruple et quelques récompenses amplement méritées, dont la plus prestigieuse est celle de la meilleure actrice pour la sublime performance de Fan Bing Bing. Cette dernière collabore d’ailleurs pour la troisième fois avec Li Yu dans son dernier long métrage sorti en Chine en septembre, Double Xposure. Espérons qu’il arrive prochainement dans le circuit festivalier français.
Grâce à une justesse dans sa narration et son écriture, Buddha Mountain apparaît comme une aventure profondément humaine sur l’impermanence de la vie et une ode à la reconstruction individuelle par le partage. Accessible et profond, le film touche par sa simplicité déconcertante à faire vibrer les cordes de la lyre émotionnelle et la prise de conscience qu’il en devient indispensable.
Verdict :
Julien Thialon.
Buddha Mountain de Li Yu est disponible en DVD chez Spectrum Films depuis le 22 janvier.