LE FILM DE LA SEMAINE – The Host de Bong Joon-ho

Posté le 8 mars 2023 par

Avant même la Corée du Sud, la France accueille de nouveau sur ses écrans The Host de Bong Joon-ho en version restaurée grâce à The Jokers Films. L’occasion de redécouvrir un chef-d’œuvre de film de monstre, protéiforme, qui dialogue avec virtuosité entre les genres. Dix ans avant le succès retentissant de Parasite, le maître coréen n’avait déjà plus rien à prouver. 

À Séoul, alors que Park Gang-du, vendeur au caractère immature, travaille au bord de la rivière dans un petit snack où il vit avec sa fille unique et adorable Hyun-seo, ainsi que son père Hee-bong, sa sœur Nam-joo, une championne ratée de tir à l’arc, et son frère Nam-il, un diplômé au chomage, la foule assiste à un curieux spectacle qui ne tarde pas à déclencher une incroyable hystérie, la panique : une créature monstrueuse, immense et inconnue, surgissant du fond de la rivière ne fait que piétiner et attaquer les pauvres innocents, en détruisant tout sur son chemin. Gang-du essaie de se sauver avec sa fille, mais il la perd au cœur de la foule apeurée et la voit soudain se faire enlever par ce monstre qui part ensuite avec elle au fond de la rivière

The Host est un film de monstre qui peut se prendre de bien des manières tant il a de choses à nous raconter, notamment sur le plan politique. Pourtant, c’est d’abord sur le plan physique que nous allons commencer avec cette œuvre. En effet, Bong Joon-ho manie l’art du mouvement comme personne, un sens du mouvement véritablement palpable qui nous embarque dans un film d’action incarné dans sa physicalité. En témoigne parfaitement dans ses scènes de courses le premier plan-séquence qui nous présente la bête. Il filme de profil la foule qui fuit dans une hystérie collective, dont la course est mise en relief par un jeu avec différentes lignes de plan horizontales/obliques (berge, fleuve Han, pont, autres groupes de personnes). Chaque spectateur devient alors partie prenante de cette fuite car il en ressent charnellement la teneur. Dans une certaine mesure, on pourrait presque dire que le travail sur le mouvement se rapprocherait de celui d’une bande dessinée. Pourquoi ? Car la sensation de mouvement ne réside pas tant dans le mouvement en lui-même de ce qui se meut à l’écran que dans la composition du plan, de sa case. On mettrait le film sur pause que l’on en ressentirait encore le mouvement tellement ses plans sont bien pensés. Ce sentiment de réalisme mécanique est accru par la conception d’une bestiole au pas bourru et maladroit. Chacun de ses mouvements est travaillé pour la rendre crédible alors que le budget en effets spéciaux est limité autant que compté. La bête titube, se balance, se faufile, elle vit quoi ! La matérialité est ce qui donne le sel du cinéma de Bong Joon-ho et de manière plus évidente encore dans The Host. Il n’a jamais peur de jouer avec la matière. Il pleut à torrents, les personnages sont sales de boue et de sang, les lieux poisseux ; nous côtoyons les déchets, et suffoquons sous du gaz. En somme, un cinéma incarné et ancré. Cette matérialité de son cinéma couplée à un sens du rythme et de l’écriture, fait que l’on est tenu en haleine pendant presque deux heures de film. On vit à l’unisson avec ces personnages sur les berges du fleuve Han. 

Outre ses qualités formelles d’excellent film de monstre, The Host se caractérise sans surprise, lorsque l’on est familier de la filmographie de son réalisateur, par un discours politique et social. Alors que la Corée du Sud se présente comme un pays qui a su se relever de ses guerres intestines, de ses dictatures, se moderniser, se démocratiser et relever son économie, Bong Joon-ho n’hésite pas à montrer ceux qui sont restés en marge de cette transformation. Précaires, sans domicile, sans emploi, jeunesse étudiante à l’avenir nuageux peuplent son métrage. Il ne se contente pas non plus d’en faire de simples éléments de décor à son film d’action car la drôle de famille que l’on suit en est les représentants. Drôle de famille dans le sens où on est bien loin de ce que pourrait être une famille modèle et héroïque telle qu’on pouvait l’attendre dans un tel récit. Ils sont tous imparfaits et plus ou moins marginaux. Les membres de cette famille, principalement masculins, ne sont pas les gagnants de cette modernisation économique de la Corée. Ce qui les écrase et les met à mal, ce n’est au final pas tant le monstre qu’ils ont à affronter que la société dans laquelle ils évoluent, et les mécanismes du capitalisme. Le monstre est la progéniture, le rejeton, une personnification même des maux engendrés par ce système. Nous pouvons en tenir pour argument la construction scénaristique même du film, où chaque obstacle auquel doivent faire face les protagonistes, dont le monstre lui-même, viennent de la société elle-même, incarnée dans les corps militaires, politiques, médiatiques et scientifiques. Plus encore, le modèle social que critique et dépeint Bong Joon-ho est un modèle capitaliste à l’américaine. Le film a notamment été taxé d’anti-américanisme étant donné que les Américains peuvent être considérés comme les vrais antagonistes du film. Le cinéaste tient en quelque sorte les Américains comme responsables du système économique et social développé en Corée du Sud. Un système qui en viendra à broyer les personnages du film… dont l’apogée se trouve dans ce final doux et amer comme le réalisateur sait si bien les faire. Doux et amer, car en bon marxiste, il est lucide et pessimiste sur le monde contemporain, mais garde un certain optimisme vis-à-vis de l’avenir. En atteste l’enfant à la rue recueilli par Park Gang-du à la fin de The Host.

Ce qui donne du liant et de la teneur au film est sa capacité à naviguer entre les genres, qui est souvent le cas dans le cinéma coréen, et pas que chez Bong Joon-ho. Nous passons assez aisément du comique au drame familial, du propos politique à l’adrénaline d’un survival. Dans The Host, ce mariage des genres est fait avec une remarquable maîtrise, et le résultat est harmonieux. Un savoir-faire que l’on retrouvera dans ses œuvres suivantes comme Okja et Parasite.

Plus qu’un excellent film de monstre, The Host est un film éminemment sociopolitique. Un chef d’œuvre de cinéma dans une filmographie sans fausse note. En attendant avec impatience Mickey 7, son nouveau projet, cette ressortie est plus que bienvenue.

Rohan Geslouin

The Host de Bong Joon-ho. 2009. Corée du Sud. En salles le 08/03/2023