EN SALLES – La Famille Asada de Nakano Ryota

Posté le 25 janvier 2023 par

Depuis sa première au Japon en 2020, La Famille Asada de Nakano Ryota n’a eu de cesse de faire son petit bonhomme de chemin dans de nombreux festivals du monde entier. Au tour de l’Hexagone de profiter de cette petite bulle de bons sentiments, grâce à Art House.

Dans la famille Asada, chacun a un rêve secret : le père aurait aimé être pompier, le grand-frère pilote de formule 1 et la mère se serait bien imaginée en épouse de yakuza ! Masashi, lui, a réalisé le sien : devenir photographe. Grâce à son travail, il va permettre à chacun de réaliser que le bonheur est à portée de main.

Projeté en avant-première dans le cadre des Saisons Hanabi l’année dernière, La Famille Asada n’en est pas à son premier coup d’éclat par chez nous. Nakano Ryota, quant à lui, s’est peu à peu fait connaître pour ses discours bienveillants sur la famille et sur la mort, en ce que ces deux entités, non pas contraires mais tragiquement liées, nourrissent tout autant le chagrin que le réconfort. Her Love Boils Bathwater (2016) dessinait le destin d’une mère en phase terminale et A Long Goodbye (2019), celui d’un vieux monsieur atteint de la maladie d’Alzheimer.

La Famille Asada s’engage une nouvelle fois à poursuivre cette quête des temps perdus, des instants regrettés et des souvenirs indélébiles qu’englobe tout à la fois le cocon familial dans sa dimension consolante. Masashi, le cadet des Asada interprété par Ninomiya Kazunari, est au centre de l’attention. Son intérêt pour la photographie trouvera matière à façonner dans les rêves de chacun, une manière pour Masashi de s’épanouir chez les autres et de rendre hommage à sa famille qui a beaucoup sacrifié pour le bien et l’équilibre du foyer – à l’inverse de lui, excentrique et procrastinateur par nature, ayant de nombreuses années durant navigué en des eaux incertaines avant de trouver sa voie. L’idée est aussi belle qu’ingénieuse : mettre en scène les rêves abandonnés de chaque membre de la famille le temps d’une pose. Un père bedonnant en soldat du feu, un frère bien rangé en pilote de Formule 1 ou une mère modèle en épouse de yakuza, tout le monde a droit à son moment de gloire au sein d’une réalité fantasmée et permise par la capture photographique. Puisque la vérité d’un cliché n’est finalement que la sienne et celle que l’on veut bien lui prêter.

Nakano Ryota est bien conscient de cette magie offerte par la fiction et l’étend à son cinéma tout entier en plaçant son regard au niveau du dernier des dispositifs, nos yeux de spectateur, capables de penser le monde comme de le voir d’une certaine façon selon les manières dont il nous l’est présenté. Les décors paraissent ainsi plus sobres et le montage plus froid lorsque Masashi dialogue avec son frère aîné Yukihiro, en vue de refléter l’exigence et la sévérité de ce dernier, quand les tonalités semblent plus douces du côté des parents, toujours à l’écoute des projets les plus extravagants de Masashi. Une expression typiquement japonaise des relations qui se projettent dans leur environnement, et, plus généralement, dans l’espace filmique.

Aussi La Famille Asada surprend-elle son audience lors d’un basculement dramatique qui survient à la moitié du film. L’année 2011 est tristement célèbre pour le séisme du 11 mars ayant rasé toute une partie de la côté Pacifique du Tohoku. Sans doute marqué par cet évènement notoire dans l’histoire récente du Japon, Nakano Ryota y trouve un terrain idéal pour déployer le mélodrame jusqu’ici relativement absent de son œuvre – ou du moins, un mélodrame jusqu’ici sans ascendance tragique. Masashi se rend sur le lieu de la catastrophe et s’associe à un jeune homme afin de retrouver, nettoyer et restituer les photos de famille éparpillées dans les décombres, seules témoignages des foyers qui se trouvaient là, ou plutôt, seules archives de la vie qui s’y déroulait à l’abri des regards. Les photographies ont le pouvoir de rendre tangibles les souvenirs, d’en emprisonner l’évanescence afin que quiconque puisse se projeter dans les saveurs réconfortantes du passé quand le présent devient trop dur à supporter. Ce ne sont plus de simples images mais des enregistrements de toute une palette d’émotions rattachées au moment de la prise. C’est le réconfort que Nakano Ryota promet et permet à ces sinistrés démunis de leur foyer. Alors nous, spectateurs, nous sentons humblement privilégiés de partager ces précieuses secondes capturées à l’argentique, à cet instant précis où la fiction n’importe plus.

Richard Guerry.

La Famille Asada de Nakano Ryota. Japon. 2020. En salles le 25/01/2023.

Imprimer


Laissez un commentaire


*