FFCP 2021 – The Medium de Banjong Pisanthanakun

Posté le 8 novembre 2021 par

Dix-sept ans après une œuvre séminale du cinéma d’horreur thaïlandais contemporain, Shutter, Banjong Pisanthanakun revient au sommet du genre avec The Medium, projeté au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP). Cette fois il est seul à la réalisation mais l’œuvre est à l’origine une impulsion du cinéaste coréen Na Hong-jin qui devient le producteur. Dans la continuité à la fois de Shutter mais surtout de The Strangers, The Medium vient s’imposer comme une nouvelle référence du genre.

L’œuvre prend la forme d’un documentaire sur une chamane, Nim (Sawanee Utoomma), qui à la suite d’un enterrement, va constater le comportement étrange de sa nièce, Mink (Narilya Gulmongkolpech). Cette dernière devient le sujet du documentaire qui capte la descente en enfer de la jeune femme en train de perdre le contrôle de son existence. Si Shutter en 2004 arrivait à faire de manière assez pertinente la somme des idées formelles et narratives de la J-horror à travers un prisme thaïlandais, le cinéaste tente une opération similaire avec, comme point de référence cette fois, The Strangers. Il passe une partie du film à dépeindre le quotidien prosaïque du village à travers Mink, mais surtout, à nous faire connaître et reconnaître les espaces qui seront les lieux du drame. Car contrairement aux productions de tout bord qui investissaient la forme du found footage, ce n’est pas une forme de repli ou de facilité pour le cinéaste. Il pense bien à utiliser cette forme pour son potentiel immersif dans un premier temps, puis pour mettre en avant le régime de croyance grâce à la qualité de la prise de vue. L’immersion se joue d’abord avec l’esquisse documentaire qui structure l’œuvre : on se perd à croire que tout ceci doit être construit sur un semblant de réalité, d’histoire, de culture voire de vérité dans le discours de la chamane. De même, le quotidien des habitants de la famille de Mink paraît vraisemblable à l’aune de notre vision étrangère mais aussi de nos attentes des images de la ruralité thaïlandaise à travers le cinéma d’auteur local. En somme, l’illusion du documentaire est plus qu’efficace, elle est le socle du réel qui va se dérégler petit à petit avec l’arrivée d’évènements inexpliqués, donc d’une inquiétante étrangeté, à l’origine même du genre fantastique.

Tout comme Na Hong-jin, le cinéaste installe d’abord un chaos social sur lequel va se bâtir le chaos métaphysique, le mal. Par dialogues succincts, par des remarques ou des regards, la possession de Mink dévoile les tensions familiales, morales, les non-dits. C’est ce qui provoque cette sensation de malaise et de bizarrerie, quand la jeune femme va confronter son père à son comportement tendancieux auprès des jeunes femmes ou quand son mal fait ressurgir le fait que sa mère n’a pas « suivi » le rôle de chaman dont elle avait hérité. L’effroi vient d’abord de la solitude que rencontre la jeune femme une fois qu’elle ne correspond plus aux attentes des habitants du village. Solitude et désespoir renforcés, aggravés par la présence même de la caméra de l’équipe du tournage et donc du film. Comme chez William Friedkin dont s’inspirait Na Hong-jin, le mal vient des cieux, il vient de nulle part, de la fatalité, il n’existe que parce que nous avons décidé de le voir comme tel. C’est presque l’existence même de l’œuvre qui entraîne le spectacle morbide que nous sommes venus voir, avec ce mystère, ce paradoxe, qui est au cœur de notre rapport aux images : est-ce qu’elles existent parce que nous les avons regardées ou est-ce notre regard qui provoque leur apparition ? C’est dans cet interstice trouble que repose la question de la croyance. La mère de Mink va dans une église chrétienne, alors que sa sœur croit aux divinités locales. La jeune femme est donc prise entre deux systèmes de croyances, surtout qu’elle-même raconte, face caméra, qu’elle ne croit en rien. Le spectateur est lui piégé par ces images contradictoires, paradoxales, floues comme les différents régimes d’images qu’utilise Banjong Pisanthanakun pour donner une texture à cette confusion. On passe des images de la caméra professionnelle de l’équipe de tournage aux images de téléphones portables, de caméras de surveillance, aux images infrarouges de caméras cachées. Le plus étonnant est de découvrir dans le dernier tiers du film que même le point de vue de la caméra documentaire peut se diffracter quand l’équipe de tournage se fait attaquer et que l’on passe d’un caméraman à l’autre. Il n’y a pas de point de vue « objectif » sur lequel s’appuierait notre relation aux images de l’œuvre puisqu’elle a bien pris soin de mettre en place un système d’illusion de réalité qui nous force à accepter les effets d’horreurs et renforcent donc leur intensité.

La virtuosité tranquille du cinéaste repose sur ce glissement progressif qui va petit à petit éliminer la distance de notre regard, et donc nous mettre presque nu face à nos croyances. Il parvient à rejoindre la douce folie et presque le sublime d’œuvre majeure du genre found footage comme Noroi de Shiraishi Koji ou Marebito de Shimizu Takashi voire Cloverfield de Matt Reeves ou Chronicle de Josh Trank. The Medium est fascinant dans sa construction pour son économie d’effets fantastiques au profit d’une construction diégétique, et quand le fantastique ou l’horreur sont enfin visibles, comme les personnages de l’œuvre, on ne peut que douter que tout cela arrive. Non pas parce que c’est du cinéma, mais parce que tout paraît tellement proche que d’accepter qu’une femme puisse imiter les cris d’un bébé nous plongerait dans une dimension indicible digne des œuvres de Poe ou de Lovecraft. L’œuvre travaille cette angoisse souterraine qui ne semble pas nous affecter durant son visionnage ou après, mais qui resurgit comme un souvenir refoulé une fois les lumières éteintes.

Kephren Montoute

The Medium de Banjong Pisanthanakun. Thaïlande-Corée du Sud. 2021. Projeté au FFCP 2021

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