Festival Allers-Retours 2021 – I’m So Sorry de Zhao Liang

Posté le 18 octobre 2021 par

Zhao Liang, dans l’ombre de Wang Bing, est aujourd’hui l’une des figures de proue du nouveau cinéma documentaire chinois. Reconnu dans les festivals du monde entier pour le regard acerbe qu’il porte sur la Chine contemporaine, ses dérives par extension, Zhao dédie I’m So Sorry, sa dernière réalisation en date, aux dangers et victimes collatérales de l’énergie nucléaire. Un incontournable de la sélection 2021 du Festival Allers-Retours.

Fukushima et Tchernobyl. Zhao Liang montre les visages et les corps marqués, les quotidiens bouleversés par les accidents nucléaires. Par la poésie, il dresse un message sur le danger de cette énergie.

Zhao Liang n’en est pas à son premier coup d’essai sur la question écologique et environnementale. Behemoth – Le Dragon noir (2015) témoignait déjà, en mémoire de la nature et des âmes sacrifiées, de l’activité industrielle chinoise sans limite ni considération de l’ère Xi Jinping. Auréolé de somptueuses compositions, d’idées graphiques ingénieuses comme l’emploi d’effets kaléidoscopiques, et habité du fantôme de Werner Herzog, ce documentaire, posant le constat de décennies d’essor économique, ne portait au final pas tant sur les causes de ce phénomène que sur ses conséquences directes sur la classe ouvrière, dévorée par d’immenses machines tout droit sorties d’un roman de science-fiction qu’aurait écrit Emile Zola. Ce sont les victimes qui intéressent Zhao, les petites mains qui s’activent autour des mécanismes dans des conditions inhumaines, façon Blind Shaft (2003) de Li Yang ou A l’Ouest des rails (2003) de Wang Bing. Ce désespoir dont il s’est nourri, et qu’il cultive parfois jusqu’à la misanthropie, I’m So Sorry le porte, l’élève encore et toujours plus haut, à propos cette fois-ci de l’énergie nucléaire.

Zhao Liang franchit les frontières chinoises, destination l’Ukraine et le Japon, où se trouvent respectivement les centrales de Tchernobyl et de Fukushima, ainsi que d’autres territoires comme la Biélorussie, l’Allemagne, le Kazakhstan ou la Finlande. De la même manière que Behemoth se voyait traversé de forces spirituelles n’appartenant pas à notre monde (par la relecture contemporaine de la Divine Comédie de Dante Alighieri), I’m So Sorry appartient lui aussi au domaine de l’immatériel, de l’invisible, du sacré, si l’on ose dire, de toutes sortes de puissances indicibles que le cinéma permet de mettre en images sous le prisme du symbolisme. Ainsi, parmi les décombres et les vestiges d’anciens sites nucléaires irradiés, une silhouette fantomatique se mue tout en récitant vers et ekphrasis à la portée allégorique évidente, amenant ce film à se penser comme un essai-poème. En marge de ces errances, un lien tangible entre passé (Tchernobyl), présent (Fukushima), et avenir (Onkalo – site d’enfouissement de déchets nucléaires de haute activité en Finlande).

Contempler l’avant pour questionner l’après n’est pas chose rare dans le cinéma documentaire ; Nostalgie de la lumière (2010) de Patricio Guzmán s’y prêtait déjà largement en réinvestissant la mémoire collective chilienne au beau milieu des télescopes dirigés vers les étoiles. Mais l’exercice métaphorique de Zhao Liang, couplé aux nombreux témoignages de rescapés et de lanceurs d’alerte, renferme une vigueur expressive immense, que n’augure point le rythme très calme du métrage. Le corps narratif prend tout son sens – et son ampleur – lorsque le cinéaste part à la rencontre des quelques âmes rôdaillant sur les lieux hautement irradiés des catastrophes, à l’effigie de cette vieille dame ukrainienne qui n’a plus toute sa tête, filmée avec retrait, laissant le silence des ruines être troublé du frottement de ses mains caleuses et de sa timide voix (non sans rappeler l’abnégation dont faisant preuve la mère, aux abords d’une centrale nucléaire, dans le Elena (2010) d’Andreï Zviaguintsev). Tout comme la radioactivité ne se perçoit à l’œil nu, ce sont autrement plus de présences, de spectres, qu’émaille la caméra au travers des brèches des maisons éventrées.

Bien évidemment, une telle approche a ses limites. Zhao Liang confie lors d’un entretien au Festival de Cannes que « chaque personne qui crée des émissions de carbone devrait réfléchir et s’excuser auprès du futur », et là se trouve le premier problème que rencontre I’m So Sorry. A vouloir traiter d’un tel sujet sans la nuance qui lui est due, en résulte un film qui accuse de trop peu de complexité thématique, d’un discours à sens unique pour l’abolition pure et simple de l’énergie nucléaire, et parfois d’un réquisitoire teinté de voyeurisme dans sa volonté de nous exhiber de l’horreur tangible – à la limite du pathos – et des corps déformés par les radiations que ne coordonne pas le reste des scènes dans leur unité esthétique. L’addition des différents segments du récit atteste peut-être également d’un manque de cohérence émotionnelle, en comparaison des séquences prises indépendamment du reste, qui consentent à isoler des personnages (au demeurant solitaires) de l’avancée de l’histoire. Honorable est cette démarche alarmiste, visant à « examiner nos styles de vie et notre consommation de masse », quand Zhao Liang privilégie la finesse à la démonstration.

Malgré le fait que le tableau ne soit pas tout rose, Zhao Liang signe une réalisation documentaire dans l’ère du temps, prophétique par moment, profondément funeste dans d’autres. I’m So Sorry, dont même le titre semble nous être dirigé, a par chance été projeté au Festival du cinéma d’auteur chinois Allers-Retours 2021, sans doute l’unique occasion de pouvoir le découvrir sur grand écran dans l’hexagone, bien que l’on espère une édition pour ce bel ouvrage.

Richard Guerry.

I’m So Sorry de Zhao Liang. Chine. 2021. Projeté au Festival Allers-Retours.

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