Pour sa 4e édition, l’équipe de Filmosa a présenté au public parisien un film du cinéma taïwanais considéré comme culte : l’étrange long-métrage animalier en costume The Fantasy of the Deer Warrior de Chang Ying, sorti en 1961 et récemment restauré en 2k par le Taïwan Film Institute.
Deux cerfs, Cerf sika et Cerf guerrier, sont amoureux de la même biche. Ils se battent régulièrement pour espérer devenir son compagnon. La biche est amoureuse de Cerf guerrier, mais ce dernier a eu vent que des loups ont attaqué et tué son père. Il part se venger. Cerf sika essaie alors, avec l’aide de Renarde, d’obtenir ses faveurs. Mais les loups rodent…
The Fantasy of the Deer Warrior est de ces films inclassables que l’on ne peut pas analyser avec le regard habituel d’un spectateur face à un film.
Les acteurs en costumes d’animaux et le premier degré employé laisse à penser que nous avons affaire à un nanar. Mais The Fantasy of the Deer Warrior n’en a pas les atours. Tourné en décors extérieurs, à travers une structure de fable et un montage classique, sans effet ridicule, la forme du film est avant tout un témoin de son temps, une époque trouble pour Taïwan, notamment pour les conditions de tournage qui ont amené le réalisateur Chang Ying à adopter cette forme. Les costumes des acteurs ne paraissent aucunement luxueux et pourtant, il s’en dégage une composante qui détermine l’appréciation que l’on peut avoir pour cet étrange travail : la patine. Dans un beau noir et blanc, les costumes des acteurs et des actrices ressortent en relief et donnent au film sa patine, la sensation que l’on n’a jamais vu ailleurs un film aussi bizarre et étrange, surtout dans une approche esthétique. L’aspect fait-main des costumes, tout au plus, rapprochent le film de Chang Ying d’autres productions pour enfants à base de cartons et de poupées. La tête du loup a tout d’un personnage de dessin animé, un élément contribuant à la patine.
Ce que l’on pourra reprocher au film réside dans la lourdeur de certaines situations, notamment de la Biche qui ne parvient jamais à dépasser sa condition de victime des événements et sortir de son rôle de protagoniste féminin à sauver. Le scénario ne brille jamais par ses surprises, mais un élément intéressant de ses thématiques ressort, à travers les personnages du chef bouc et de Renarde. Le premier est le symbole du patriarcat confucianiste, qu’il faut écouter, à qui il faut se référer en cas de questionnement dans la communauté. Son influence pèse sur les autres personnages. La seconde est le symbole de la femme aguicheuse. Elle est le seul personnage au costume laissant apparaître son corps. Elle est également, quelque part, le symbole d’une certain libération des mœurs, puisque dans une société bien policée, elle danse pour les protagonistes masculins de manière sexy. Ce bouc et cette renarde sont les profils les plus opposés et le film s’attache à montrer leur mésentente, comme dans la société des années 1960 dans laquelle le conservatisme se frotte à une jeunesse libérée. L’intention du film se révèle limpide dans le choix qu’elle réserve au destin de la Renarde, vaincue par sa lâcheté, là où la communauté confucéenne du bouc triomphera.
L’autre facette politique majeure du film réside dans la caractérisation des loups. Il est tout à fait possible de les voir comme métaphore de la menace communiste venant de Chine continentale, tout comme la manifestation de la violence du Kuomintang, le parti nationaliste replié à Taïwan après sa défaite face à Mao, et qui administre l’île dans la violence de la Terreur Blanche. Toutes ces composantes font de The Fantasy of the Deer Warrior un film extraterrestre, tiraillé par diverses inspirations contradictoires. L’industrie cinématographique de Taïwan était, à cette époque, très contrôlée. Cela n’empêche pas certains films qui ne rentrent dans aucune case d’avoir vu le jour.
Maxime Bauer.
The Fantasy of the Deer Warrior de Chang Ying. Taïwan. 1961. Projeté au Festival Filmosa 2021.