Programmé en avant-première au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) 2020 (repris lors de ce mois de juin 2021), Deliver Us From Evil de Hong Won-chan se présente comme le gros film d’action de cette édition. C’est peu de dire que nous attendions tous de pouvoir à nouveau investir une salle de cinéma pour assister à ce genre de spectacle, après avoir végété pendant de longs mois devant les films souvent moyens voire bien moisis proposés par nos chères plateformes de streaming. Reste à savoir si Deliver Us From Evil tient toutes ses promesses, pour contenter le fan d’action décérébrée venu chercher sa dose d’adrénaline.
Hong Won-chan réalise ici seulement son deuxième film, après le prometteur Office, diffusé à Cannes en 2015. Pourtant, ce nom est loin d’être inconnu pour tout amateur de thrillers coréens noirs et nihilistes. Le jeune cinéaste a fait ses premières armes en tant que co-scénariste chez Na Hong-jin, notamment sur The Chaser et The Murderer. Un CV qui en dit long sur la capacité du bonhomme à créer des univers violents et malsains, comme ce fut le cas sur son premier long-métrage. Office mélangeait habilement les genres pour mettre en exergue l’aliénation provoqué par le monde de l’entreprise. Certes le scénario avait parfois l’allure d’un brouillon qui partait dans tous les sens, mais il faut reconnaitre à Hong Won-chan un véritable talent pour perdre son spectateur dans les méandres de l’âme humaine, en filmant ces bureaux comme une sorte d’antichambre du mal.
Avec Deliver Us From Evil, Hong Won-chan change complètement de registre pour s’orienter vers l’action pure. Nous quittons les allées grisâtres d’un open space pour atterrir à Bangkok, lieu du fameux duel qui opposera les deux stars du film, Hwang Jung-min et Lee Jung-jae. L’ambiance fiévreuse de la ville est propice à nourrir le crescendo de violence provoqué par cette lutte à mort entre deux personnages que tout oppose. Il y a bien évidemment un contexte, (trop) longuement exposé dans le premier tiers nippo-coréen du long-métrage (l’action de cette partie se situe entre le Japon et Incheon). Le personnage de tueur mystérieux interprété par Hwang Jung-Min achève son dernier contrat (magistralement mis en scène dans la séquence d’introduction) avant la retraite dorée au Panama. Problème : la cible dudit contrat est le frère caché du gangster joué par Lee Jung-jae, qui se lance à ses trousses et laisse derrière lui un sillon sanglant pour obtenir vengeance. A ce cocktail détonnant, il faut rajouter une histoire d’enlèvement prétexte au débarquement du personnage de Hwang Jung-min en Thaïlande pour retrouver la trace de sa fille.
Point de finesse ici donc, Hong Won-chan assume pleinement la tournure viriliste et caricaturale prise par son film. Les personnages arrivent à Bangkok comme Rambo arrive au Mexique. Il fait chaud, les gens transpirent, les rues sont sales, et la photographie jaunâtre ne cesse d’accentuer cette ambiance étouffante et moite pour bien nous faire comprendre que Bangkok n’est pas une ville très accueillante. Hong Won-chan plonge son personnage de tueur en milieu hostile, où règnent les pires vices, où se regroupent les pires démons que l’être humain peut engendrer. La ville thaïlandaise remplace les bureaux d’Office comme évocation d’un enfer sur Terre. Le portrait est évidemment grotesque, surligné au possible, et n’a pour but que de servir de terrain de jeu à cette galerie de personnages exubérants, en se vautrant parfois dans les pires clichés du genre, à l’instar de ce personnage de katoi incarné par Park Jung-min qui ne servira malheureusement que de sidekick comique.
Deliver Us From Evil est finalement à l’image du gangster joué par Lee Jung-jae. Avec sa dégaine de truand des années 90, l’acteur à la voix grave, qui a l’habitude d’interpréter les méchants de la pire espèce, s’amuse comme un fou dans ce rôle de tueur dégénéré. Le film est rythmé par ses apparitions à la fois violentes et loufoques, et lorsqu’il croise enfin la route de Hwang Jung-min, l’affrontement n’en est que plus intense. Hong Won-chan se montre généreux dans sa mise en scène de l’action. Le sound design musclé, et les mouvements de caméra secs et rapides donnent l’impression que les deux stars s’envoient de réelles patates de forain dans la tronche. Tout juste peut-on reprocher au réalisateur une utilisation quelque peu abusive du ralenti et un montage parfois aléatoire. Quoiqu’il en soit, les différentes scènes d’action sont suffisamment variées et impressionnantes pour nous tenir en haleine jusqu’au climax final.
Malgré ses outrances absurdes d’un autre siècle, Deliver Us From Evil nous offre ce que nous sommes venus chercher : un spectacle brut de décoffrage qui prend toute son ampleur lorsqu’il est visionné dans une salle de cinéma.
Nicolas Lemerle
Deliver Us From Evil de Hong Won-Chan. Corée. 2020. Projeté dans le cadre du Festival du Film Coréen à Paris 2020 (reprise de juin 2021).