FESTIVAL DES 3 CONTINENTS 2020 – The Shepherdess and the Seven Songs de Pushpendra Singh

Posté le 27 novembre 2020 par

Succès auprès de nombreux festivaliers dont critiques de la Berlinale, The Shepherdess and the Seven Songs de Pushpendra Singh représente l’Inde à la 42ème édition du Festival des 3 Continents, dans la sélection spéciale.

Aux abords de l’Himalaya, la jeune bergère Laila est enfermée dans un quotidien qui n’est plus le sien. Dépendante de son nouveau mari et d’un garde forestier qui la harcèle, elle décidera peu à peu de se libérer de sa cage et d’emprunter une nouvelle voie.

 

Pour son quatrième long-métrage, le cinéaste indien Pushpendra Singh nous emmène aux confins du monde, parmi forêts, montagnes et autres somptueux paysages de la région du Cachemire. S’il s’inspire librement d’une nouvelle de l’écrivain contemporain Vijaydan Detha, l’histoire se veut quant à elle réinterprétation moderne des écrits (et de la vie) de l’illustre poétesse du XIVème siècle Lalleshwari. Mariée de force dans sa jeunesse, cette femme deviendra une sâdhvi, dévot de Shiva renonçant à la société pour se consacrer à la recherche spirituelle. Mais revenons-en à The Shepherdess and the Seven Songs. N’ayant pour fil narratif que succession de journées anodines et d’élans poétiques, se déploie tout de même une structure en huit parties distinctes portant chacune le nom d’une chanson en guise de chapitrage : Song of Marriage ; Song of Migration ; Song of Regret ; Song of Playfulness ; Song of Attraction ; Song of Realization ; et enfin Song of Renunciation.

Au diapason de ce récit musical, nous suivons la vie quelque peu morose de Laila, subissant les aléas des jeux de séduction de son mari berger et d’un autre homme qui la courtise. Riche de son lyrisme comme de ses nombreuses métaphores graphiques, le film peint le tableau d’une femme prisonnière de ses désirs. A plusieurs reprises, un arbre dont le tronc est un feu suggère ainsi que Laila brûle de l’intérieur. L’environnement rustique présenté foisonne de ces allégories visuelles propres à la poésie, que l’on peut concevoir comme une revisite de l’esthétique indienne du rasa, qui par ailleurs comme notre diégèse est traditionnellement liée à huit émotions expérimentées par le spectateur dans une œuvre littéraire ou musicale. Légion sont les réalisateurs orientaux à avoir considéré cette harmonie comme inhérente à l’art cinématographique, en témoignent les fresques chatoyantes de Sergueï Paradjanov, duquel nous citerons La Couleur de la grenade.

Mais bien qu’ancré dans cet imaginaire folklorique, Pushpendra Singh insuffle une modernité palpable à son récit. Le symbolisme rencontre alors les enjeux contemporains de la condition de la femme, oscillant entre érotisme et sensualité, parcourus de conflits politiques locaux qui ne sont ici qu’allusions. Le garde forestier volera d’abord des bananes pour son commandant, puis des moutons, puis l’intimité du couple de bergers qui n’a d’autre choix que de s’incliner face à cette autorité intrusive. En interview, le réalisateur évoquera d’ailleurs cette démarche brechtienne du sous-entendu plutôt que de la confrontation, où tout se joue dans la profondeur de champ. Mais l’universalité presque clairvoyante de son propos ne pâtit en aucun cas de l’évasion culturelle ressentie. Souvenons-nous du tronc en feu, qui pourrait aussi bien figurer le déchirement politique de la région. En apparence coupé de tout contact avec le monde extérieur, les villageois subissent bel et bien son tiraillement, d’une posture non moins pudique et proche de ce qu’a pu immortaliser Satyajit Ray dans son Apur Sansar. Le cheminement spirituel de Laila fera donc face à tout ce qu’il y a de plus concret.

Encore au-delà de sa forme de conte classique, la caméra de Pushpendra Singh se veut très documentaire. Le regard ethnographique qu’il porte sur ce village et ses traditions se marie à merveille avec les ruptures de tons. De l’humour au drame introspectif, le film navigue sur bien des eaux, et s’annonce à de maintes reprises inattendu. Si le début d’une scène peut s’avérer inquiétant, elle ne le sera que rarement à l’issue, comme lorsque des villageois pensant se faire piller se ruent vers une grange bardés de torches dans le but de punir l’agresseur, avant de réaliser qu’il s’agissait tout simplement d’un âne.

Tant lumineuse que luxuriante, la nature échafaudée comme ciment du film occupe elle aussi une grande partie du cadre, et viendra contraster avec les environnements texturés. Mohsen Makhmalbaf entreprit de pareilles mesures artistiques en Iran, pour ne citer que lui. En lien avec ce que nous disions sur le sens et le non-dit, cette forêt broussailleuse appuie la dimension mystique du film, et laisse à penser que tout ce qui s’y déroule appartient à une autre réalité. C’est alors qu’il s’inscrit dans ces œuvres débordantes de contemplation, à l’image du Voleur de chevaux de Tian Zhuangzhuang tourné non loin de là. Reflet d’une culture d’apparence aussi lointaine que la surface de la lune, mais d’une approche omnisciente voire cosmique si l’on désire rester dans le sujet. « De ses rayons, le soleil illumine aussi les punis », mais transperce-t-il la cime des arbres ? Laila peut-elle aspirer à une nouvelle existence dans ce décor millénaire où rien ne semble avoir changé depuis l’aube des temps ?

The Shepherdess and the Seven Songs est un bien bel objet semblant venir d’un autre monde, aux allures de conte traditionnel folklorique mais curieusement moderne, poli avec sensibilité par Pushpendra Singh. Déployant autant de références que se laissant porter par l’appel de la nature, nous espérons que ce petit bijou tout droit venu d’Inde trouvera son public lors de la 42ème édition du Festival des 3 Continents, pour qu’un jour peut-être il soit possible de le découvrir dans nos salles de cinéma.

Richard Guerry.

The Shepherdess and the Seven Songs de Pushpendra Singh. Inde. 2020. Projeté dans le cadre du Festival des 3 Continents 2020.

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