Tsui Hark, le guerrier d’un cinéma magique, Part III : Depuis la rétrocession

Posté le 21 avril 2011 par

À l’occasion de la sortie de Detective Dee, retour sur la dense filmographie de Tsui Hark ! Dernier volet sur l’œuvre, plus controversée mais toujours aussi intéressante, réalisée à partir de son exil aux États-Unis à l’aube de la rétrocession, entre 1997 ( Double Team) et 2008 (All About Women). Par East Asia.

1997 : Double Team

Par Yannik Vanesse

Tsui Hark, comme nombre de réalisateurs connus, a voulu voir ce qu’Hollywood avait à lui offrir. Et dans les années 90, le passage obligé pour les réalisateurs de films d’action était Jean-Claude Van Damme, alors au faît de sa gloire… S’ajoutent au casting du premier film américain de Tsui Hark : Mickey Rourke en méchant – alors bien loin d’avoir fait son retour fracassant avec The Wrestler, et surtout considéré comme un has-been – et Denis Rodman en allié de JCVD – la paire formant la Double Team donnant son titre au film – , tous deux formant une paire évidemment incompatible (une règle de base du buddy movie) mais qui finit par s’entendre et s’apprécier.

Si tout ceci donne un des plus mauvais film de Tsui Hark, il s’agit tout de même d’un des meilleurs Jean-Claude Van Damme. Et, si l’on sait que Tsui Hark a beaucoup souffert de l’expérience, entre les producteurs hollwoodiens et sa star, à l’écran, on découvre une série B plutôt sympathique, au scénario certes un peu confus, mais à l’action soutenue.

Alors il est vrai que les traditionnelles phrases humoristiques que se lancent les deux héros frisent plutôt le ridicule, et que les scènes de combat inspirées du basket que pratique Denis Rodman seraient carrément dispensables. L’idée est certes intéressante sur le papier, mais le rendu est, à l’image du look de l’acteur, hallucinant… De même, quelques scènes sont particulièrement ridicules, comme le saut en parachute expérimental entourant son utilisateur d’un espèce de ballon de basket censé amortir la chute, ou l’explosion finale ressemblant à celle de Beowulf… Mais, sorti de cela, JCVD est très en forme et offre quelques corps à corps on ne peut plus réussis, ainsi qu’un paquet de sympathiques fusillades. Le film se laisse ainsi aisément apprécier, si tant est que l’on puisse oublier qui est aux commandes…

1998 : Piège à Hong Kong

Par Yannik Vanesse.


Malgré la mauvaise expérience que fut Double Team, Tsui Hark dirige rapidement Jean-Claude Van Damme dans un autre film… Que ce soit par sadomasochisme ou obligation contractuelle, ce fut l’occasion pour Tsui Hark de se laisser aller aux délires et aux excès. Si Double Team est une série B assez classique, ce Piège à Hong Kong est beaucoup plus fou. Le scénario – écrit par Steven De Douza, le réalisateur de l’inoubliable Street Fighter – part dans tous les sens, mais Tsui Hark ne semble pas s’y intéresser vraiment, préférant parler de sa ville – le contexte politique est longuement évoqué, le film se passant au moment où Hong Kong est rendu à la Chine – et surtout s’occuper de ses scènes d’action. Des scènes d’action plutôt folles, avec un JCVD encore en grande forme, et permettant de se venger de cette star qui lui en a fait tant voir durant son métrage précédent en lui donnant des tenues ridicules ou encore en lui fouettant les fesses avec une anguille pour qu’il aille plus vite ! Encore une fois, un film bien loin des grandes réalisations de Tsui Hark, mais à la folie particulièrement réjouissante et, encore une fois aussi, un des meilleurs films mettant en scène Jean-Claude Van Damme

 

2000 : Time & Tide

par Tony F.

Nous sommes en 2000, la rétrocession est passée, et les grands du cinéma Hongkongais ont pour la plupart choisi l’exil vers les USA, de Jet Li à John Woo en passant par… Tsui Hark. Après une incartade américaine et deux films avec Jean Claude Van Damme en tête d’affiche, le réalisateur fait son come-back dans l’ancienne colonie avec la volonté forte et déterminée de frapper un grand coup. Ainsi, et pour plusieurs raisons, Time and Tide est un peu le « Who’s the Boss? » scandé par un Tsui que l’on sait mégalo et en pleine forme à la face du cinéma HK agonisant des années 2000. Pourtant, le film ne connut pas un succès retentissant, et ce malgré la prouesse technique indéniable.

En effet, le mot d’ordre est ici mise en scène. Celle-ci relègue l’histoire au statut de simple anecdote. La caméra bouge sans arrêt, suit ses personnages dans les moments les plus extrêmes (un gunfight en rappel, où la caméra plonge en chute libre avec ses protagonistes) et se montre visuellement ébouriffante, étirant le dénouement sur trois lieux différents et pas moins d’une demi heure de fusillade quasi non-stop. Rivalisant de fluidité à chaque seconde, le film s’enchaîne à une vitesse hallucinante propre au maître qui risquerait là encore de perdre les moins attentifs. On passera aisément outre certains effets hérités de son escale Hollywoodienne, le but étant ici clair : renvoyer paître Johnnie To, ses The Mission et Running Out of Time étant sortis (avec succès, eux, To ayant privilégié le secteur local à l’international) durant la période d’exil de Tsui. Il lancera également un pic (voir une grosse lance) à son vieux « pote » John Woo, en plaçant à plusieurs endroits du métrage des oiseaux et une scène d’action sur fond de chrétienté, rappelant les grandes gloires passées de Woo, lui qui, en 2000, tournait M:I:2

Enfin, le dernier doigt levé de Tsui Hark est adressé directement à la rétrocession, passée depuis quelques années déjà. Time & Tide, finit en effet sur un message d’espoir, d’optimisme assumé,par un double accouchement. Renaissance du cinéma Hongkongais, renaissance de Tsui Hark ? Une chose est sûre, malgré le succès commercial très relatif de l’œuvre, cette dernière marque de façon indéniable le retour du roi.

2001 : The Legend of Zu

par Tony F.

Le premier opus (Zu : Les Guerriers de la Montagne Magique) était déjà LA claque HK du début des années 80, et contribua, aurait-on envie de dire, aux succès futurs de la Film Workshop. En 2001 sort donc la suite, La Légende de Zu. 20 ans sont passés, et s’il ne reste que Sammo Hung du casting originel, force est de constater que l’intérêt se trouve de toute façon ailleurs. D’une esthétique rappelant les fresques chinoises, le film est, des premières aux dernières secondes, une monumentale claque visuelle. L’univers s’imprime de notre rétine à notre esprit de manière indélébile, à la manière d’un Matrix ou d’un Lord of Rings (pour reprendre les cadors de l’époque) et ce que l’on aime ou pas le style.

Parce que oui, bien sûr, chacun est libre de ne pas apprécier un film où les acteurs volent 70% du métrage en s’envoyant boules de feu, éclairs et lames d’énergies au visage, le tout s’enchaînant outrageusement vite dans des décors colorés et teintés de rose, de couchers de soleils flamboyants et autres cavernes rougeâtres.


Les autres en revanche, ceux qui se laissent bercer par l’esthétisme, regretteront presque de voir le métrage finir. Tsui Hark, par cette suite, peut enfin donner à son histoire les moyens techniques à la hauteur de ses ambitions, et on comprend alors que les dites ambitions ne connaissent à priori aucune limite. Il suffit de voir la façon dont le réalisateur use et abuse des effets numériques du 21e siècle, s’éclatant visiblement à peu près autant avec les acteurs qu’avec un nuage de sang gigantesque en CGI. Grâce des images, beauté des scènes, poésie de l’instant, et également composition musicale de Ricky Ho rendent l’univers vivant et épique, faisant de The Legend of Zu un incontournable pour qui se penche sur la scène HK des années 2000. Une façon pour Tsui Hark de rappeler, si besoin est, quel genre de folie peut l’animer.

2002 : Black Mask 2

Par Yannik Vanesse.

Le premier Black Mask n’est certes pas le meilleur film produit par Tsui Hark, mais reste une histoire de super-héros sympathique, une petite série B que l’on prend plaisir à regarder… Pour sa suite, Tsui Hark se laisse aller aux excès. Se voulant certainement grosse production, avec casting international – Tobin Bell, pas encore Jigsaw en chef, incarne par exemple un des grands méchants –, Yuen Wo Ping aux chorégraphies et un budget conséquent pour permettre au réalisateur de se laisser aller aux effets numériques, qu’il utilise allègrement – sans atteindre les sommets d’un Legend of Zu, cependant – pour mettre en image ses… catcheurs mutants !

Car oui, le film mêle sans retenue combats classiques dans ce genre de cinéma et combat de catch ! Un des groupes de méchants est composé de catcheurs génétiquement modifiés avec de l’ADN animal ou végétal – leur présentation vaut d’ailleurs son pesant de cacahuètes – ce qui donne des transformations partielles ou totales – ces dernières étant particulièrement nanardesques – , avec même un clin d’œil à King-Kong avec un iguane mutant escaladant une tour, un gamin dans les bras… Alors certes, Tsui Hark étant un très grand réalisateur, ce film peut choquer ses fans… Mais honnêtement, un métrage avec des catcheurs mutants et un combat sur le dos d’un éléphant ne peut être foncièrement mauvais.

2005 : Seven Swords

Par Victor Lopez.

Fatigué par le maniérisme et la poétisation extrême des films d’Ang Lee et de Zhang Yimou, qui cartonnent à la même période, Tsui Hark souhaite aller avec ce Seven Swords vers plus de réalisme. Il choisit alors d’adapter une partie d’un roman fleuve de Liang Liu Sheng, dont le style, mélangeant figures historiques et personnages inventés, correspond parfaitement au projet. Mais le réalisme du film n’est pas recherché dans l’histoire à la tonalité légendaire affirmée, ni dans l’univers, celui d’une Chine fantasmée, où les méchants sortent tout droit de Mad Max, mais dans le rapport à la nature et au corps qu’il met en place. Le réalisateur engage ainsi Liu Chia-Liang, cascadeur et comédien mythique de la Shaw Brother, pour chorégraphier les combats et tenir un rôle dans le film. Son style, brut et traditionnel, d’avant le numérique et les câbles, apporte l’épaisseur physique recherchée. Même si le maître a attrapé une pneumonie à cause des conditions difficiles d’un tournage en décors naturels, où la température était de tantôt 50° dans le désert tantôt -20° dans la montagne, et qu’il n’a donc pas pu terminer ses chorégraphies, les combats ont une réalité physique indéniable et s’inscrivent dans un monde réel loin des duels « par l’esprit » de Hero.

Film organique où la chair, le sang et les éléments sont palpables, Seven Swords offre des moments magnifiques, dont le viol d’une jeune coréenne affamée ou un impressionnant combat final entre deux murs, mais n’échappe pas toujours au chaos qu’il décrit. L’inutilité de certaines scènes est flagrante (on passe par exemple cinq minutes à abandonner un vieux cheval), alors que l’absence de véritable fin (l’univers devait être sous la forme d’une bande dessinée et d’une série) accentue l’impression de manque d’unité et d’incohérence du métrage.

2007 : Triangle de Tsui Hark, Ringo Lam et Johnnie To

Par Yannik Vanesse.

Ce projet, de par sa conception même, était alléchant. Trois grands réalisateurs de polars hongkongais – Tsui Hark, Ringo Lam et Johnnie To – se chargent chacun d’un tiers du métrage, Tsui s’occupant de la première partie. Le résultat est d’une rare cohérence, malgré la personnalité très forte des trois hommes, et le spectateur assiste à un polar aussi original que passionnant. Mélangeant les genres avec brio, puisque le film flirte assez régulièrement avec le fantastique et nous offre quelques moments très drôles, avec des quiproquos, des personnages décalés – oh, le garagiste bouseux adepte des médicaments : irrésistible ! – le film passionne d’un bout à l’autre. Scénario intéressant, réalisation virtuose, nous sommes tout simplement en face d’un petit chef d’œuvre au final absolument magnifique ! Sans connaître les dessous de sa conception, le métrage tient en haleine et vaut vraiment le détour ! Mais la manière toute particulière dont il a été fait, ajoute un plus indéniable.

2008: Missing

Par Jérémy Coifman.

Ce projet du « Spielberg asiatique » était très attendu. Originalement prévu comme un troisième « The Eye », Missing sera finalement un fourre-tout assez étrange. On garde Angelica Lee et on y ajoute une intrigue mêlant science-fiction, fantastique et thriller. En résulte un film raté, marqué par quelques fulgurances visuelles. Trop long, trop « portnawakien », Missing s’égare. Essayant de donner de l’épaisseur à un film de genre, Tsui Hark ne réussit hélas qu’a rendre confus absolument chaque situation. Les acteurs ne semblent pas non plus très impliqués, la direction d’acteur étant abominable. Le film ne mérite cependant pas le battage médiatique qu’il a subi, on arrive à suivre tout cela sans réel déplaisir, si on se laisse entrainer sans rechigner dès le premier twist. Mais on attendait tellement plus…

2008 : All About Women

par Tony F.

Considéré par beaucoup comme décevant lors de sa sortie en salle, All About Women est une comédie romantico-musicale, véritable ode à la place et aux préoccupations de la femme chinoise contemporaine, une femme en quête de liberté, d’émancipation, mais aussi – et c’est le centre du métrage – d’amour, traitée ici à travers trois personnages aux personnalités bien différentes et aux enjeux tout aussi opposés. Le film, à travers deux décennies, fait à plusieurs égards un total écho à Peking Opera Blues, reprenant même la capitale pour cadre de l’action.

On y retrouve donc bien trois protagonistes féminins principaux, (Kwai Lun Mei, Zhou Xun et Kitty Zhang prenant les places de Brigitte Lin, Cherry Cheun et Sally Yeh). Chacune des storylines s’entrecroise et se lie avec les deux autres, ce qui donne lieu à nombre de situations comiques, parfois poussives, pas forcément toutes réussies (l’humour est une chose très subjective) mais toujours enchaînées au rythme soutenu du réalisateur, celui-ci ayant depuis déjà un bon moment abandonné les aspects vaudevillesques de l’humour qui faisait le sel des deux films « Blues » de sa filmographie 80’s.

Néanmoins, le regard sur l’intégralité de l’œuvre est mitigé. Le film peine quelque peu à trouver son rythme entre scènes comiques, séquences d’émotions, et parties musicales, aspect toujours très présent au fil du métrage, et qui, que l’on aime ou non, contribue grandement à dynamiser la trame et l’esthétique globale.

Plus qu’une gentille comédie, All About Women enfonce surtout le clou, au même titre qu’un Seven Swords, sur la volonté de Tsui de toujours faire évoluer son style, sciemment ou non, à travers les époques, de se renouveler tout en essayant de conserver l’essence de sa créativité. Quant à savoir si cela s’avère payant ou non… la réponse n’appartient qu’au spectateur.

Tsui Hark film par film :

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