FFCP 2020 : Kim Ji-young, Born 1982 de Kim Do-young

Posté le 14 novembre 2020 par

La 15ème édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) a dû s’interrompre prématurément, mais pas avant de projeter l’un des films les plus attendus de la sélection. Adaptation du best-seller éponyme , Kim Ji-young, Born 1982 de Kim Do-young dresse un état des lieux de la condition féminine dans la société coréenne, qui résonne de manière tristement universelle.

Kim Ji‑young est une épouse aimante et une mère attentionnée. Soucieuse de respecter les traditions familiales sud‑coréennes, la jeune trentenaire a quitté son travail dans une agence de relation publique pour se consacrer entièrement à l’éducation de sa fille. Ces valeurs ancestrales ne lui correspondent cependant pas, et Kim Ji‑young commence à perdre pied.

Paru en 2016, le roman de Cho Nam-joo est rapidement devenu un véritable phénomène suscitant autant la controverse que l’admiration en Corée du Sud. A travers le parcours individuel, et somme toute bien ordinaire, de son héroïne, l’auteure examinait la place de la femme dans la société coréenne avec précision et lucidité. Elle interrogeait alors sérieusement les mentalités de son pays, en égratignant au passage le mythe de la famille traditionnelle et de la maternité épanouie.

Dans une forme très factuelle, le livre se construit en une succession d’épisodes documentés comme à la manière d’un reportage, se permettant même de se départir de son personnage principal à plusieurs reprises afin d’élargir son propos. Dès lors, si son immense succès public et critique rendait prévisible une transposition à l’écran, celle-ci n’était pas forcément évidente. La réalisatrice Kim Do-young, épaulée par la scénariste Yoo Young-a, relève le défi avec aplomb en proposant une adaptation resserrée et délicatement incisive.

Le film s’attache tout entier au parcours émotionnel de Kim Ji-young, la suivant ainsi dans un quotidien de plus en plus teinté par la dépression. La structure en flash-backs donne à voir son évolution et, à chaque étape, les expériences qui la renvoient constamment à son sexe et influencent, consciemment ou pas, ses choix. La mise en scène, discrète mais efficace, retranscrit habilement les micros-agressions et la misogynie aussi normalisée qu’internalisée,  comme autant d’instances acceptées comme partie intégrante de l’ordre patriarcal établi. Grâce à un sens du détail affûté (un regard, un geste, souvent en arrière-plan) et une bonne utilisation des décors, Kim Do-young distille le commentaire social par petites touches et le lie de manière fluide au drame intime qui se joue.

Si le constat est édifiant, la cinéaste se garde bien de porter un jugement simpliste et tâche de donner la parole à chacun. Ainsi, paradoxalement, une des grande réussite de Kim Ji-young… réside dans l’écriture de ses personnages masculins, l’époux de Kim Ji-young en tête mais également son père et son frère, incarnations profondément émouvantes d’une autre forme de conditionnement social. Le film s’attache alors à développer avec soin une galerie de personnages riches et complexes, peu importe leurs temps de présence à l’écran, et ancre la dramaturgie dans des interactions d’une grande simplicité, mais implacables dans ce qu’elles disent des rapports générationnels ou de l’insupportable pression sociale.

Lors d’une scène poignante, Ji-young tente d’expliquer son mal-être à une psychiatre en disant qu’elle a l’impression de se cogner dans un mur à chaque mouvement, et que si elle n’arrive pas à le contourner, alors ce doit être sa propre faute. La séquence est brève mais résume bien le propos : Kim Ji-young, Born 1982 donne à voir une société coréenne qui, à force de hiérarchisation forcenée, s’embourbe dans ses contradictions, et dont les premières victimes sont les femmes. Le film est dense et, à trop vouloir en dire, il est parfois trop démonstratif dans ses dialogues et use de procédés artificiels pour surligner certaines situations. De manière générale, le film n’est jamais meilleur que dans ses petits moments en creux, souvent plus subtils et percutants que certaines scènes charnières un peu trop balisées et mélodramatiques.

Comédienne réalisant son premier long-métrage, Kim Do-young peut pleinement compter sur un excellent casting. Avec son visage laissant passer la moindre molécule d’émotion, Jung Yu-mi était le choix idéal pour incarner l’universelle Kim Ji-young. Sous une apparence lisse, elle s’empare du personnage avec aplomb sans jamais en faire une victime et lui confère une force insoupçonnée. Après Silenced et Dernier train pour Busan, le film marque une troisième collaboration gagnante avec Gong Yoo. En mari dépassé, celui-ci est bouleversant et livre une interprétation d’une grande subtilité qui retranscrit à merveille, à la fois la bienveillance et l’ambivalence d’un personnage, qui devient peu à peu l’ancre émotionnelle du film. Le reste des comédiens sont tout aussi formidables, avec, en tête, Kim Mi-kyung dans le rôle de la mère de Ji-young, figure résiliente et déterminée dont le regard porte le poids d’une vie entière de sacrifices.

Malgré un propos quelque peu désespérant, Kim Ji-young, Born 1982 n’en est pas « plombant » pour autant. Par moments, il est même étrangement lumineux car, en vérité, la réalisatrice fait le portrait d’une femme qui se laisse sombrer mais tout autant celui d’une femme qui se relève. En tentant de s’extirper de son isolement (en endossant d’autres voix, en retournant travailler, en refusant une humiliation), Ji-young se réapproprie une existence qui lui a temporairement échappé. On pourrait éventuellement regretter un épilogue un peu trop rapide dans son heureuse résolution. Peut-être aurait-il mieux valu conclure un peu avant, à l’issue d’une scène particulièrement satisfaisante durant laquelle Kim Ji-young décide de ne pas laisser passer une brimade et confronte son auteur avant d’installer sa fille dans sa poussette et calmement rentrer vers ce qui serait un nouveau départ ou bien un simple sursaut passager. En cela, le film diffère du matériau original pour aller vers davantage d’espoir en l’avenir des femmes en Corée du Sud, et ailleurs. Et inciter, plus que jamais, à ne plus se taire.

Claire Lalaut

Kim Ji-young, Born 1982, de Kim Do-young. Corée du Sud. 2019. Projeté au FFCP 2020.

Imprimer


Laissez un commentaire


*