VIDEO – Les Amants mouillés de Kumashiro Tatsumi : Roman porno X nouvelle vague

Posté le 1 février 2020 par

Le 17 décembre est sorti chez Elephant Films le magnifique coffret Roman Porno 1971-2016 – Une histoire érotique du Japon. Tous les films sont passés à la loupe eastasienne. C’est au tour du métrage Les Amants mouillés réalisé par Kumashiro Tatsumi !

Un homme revient de Tokyo dans sa ville natale et décide d’ignorer ses anciennes connaissances. Il tombe régulièrement sur de vieux amis qui sont certains de le reconnaître et épie les ébats d’amants dans des coins reculés. Très vite, il devient un curieux personnage dans cette petite ville de province, et baroude avec une bande de jeunes comme lui… Ensemble, ils vont s’adonner à des réflexions sociétales et se lancer dans un érotisme mortifère.

Kumashiro Tatsumi est un nom particulièrement réputé lorsque l’on évoque les Romans Porno de la Nikkatsu. Il a en effet été primé de nombreuses fois et obtenu une certaine reconnaissance critique. Aussi, il n’est pas étonnant de retrouver deux de ses films dans le coffret Roman Porno édité par Elephant Films : L’Extase de la rose noire (1975) et donc, Les Amants mouillés (1973). On peut dire que Les Amants mouillés embrasse les thématiques de la Nouvelle Vague japonaise, en s’engouffrant dans la brèche faite par des réalisateurs tels qu’Oshima Nagisa et Imamura Shohei.

Les Amants mouillés n’est plus ni moins que le parcours sans but d’un jeune adulte qui ne cesse de perdre ses repères. Avant le commencement de l’histoire, on ne sait que peu de choses à son propos, si ce n’est qu’il a quitté cette bourgade pour aller faire ses études à la capitale. Dans le début du film, il se livre à une déclaration politique de nature anarchiste, seul sur la scène du cinéma érotique pour lequel il travaille, qui laisse à penser qu’il a assisté ou participé à la fameuse contestation qui a marqué les milieux underground tokyoïtes dans les années 1960 et 1970. Il en est donc revenu exsangue, faisant fi de son passé avec une certaine nonchalance et confirmant son nihilisme. Il a également une vision de la sexualité déviée, s’adonnant au voyeurisme et même au viol avec brutalité. Les traits de caractère de ce personnage ont tout de (l’anti-)héros oshimaïen : sa jeunesse, sa liberté acquise par l’abandon des codes moraux, comme pour s’extraire au mieux de cette société vérolée. De même, comme dans beaucoup de films de la Nouvelle Vague japonaise, le cinéma se regarde. Les Amants mouillés nous montre bobines et salles de projection, nous parle des gens qui y travaillent dans l’ombre (le héros livreur de bobine, les patrons d’un petit cinéma de quartier). Il y a quelque chose de sacré dans cette description de la salle de cinéma, un lieu où les gens se perdent, où la contestation se cristallise. Ce sont les désœuvrés qui les fréquentent et qui y travaillent.

Le film évoque donc dans tous ses recoins ce nouveau courant cinématographique japonais et l’idée de la contestation, soutenue par une frange de la jeunesse. Il n’en arbore cependant pas l’entière subtilité, dans le propos comme la mise en scène. Il demeure ces scènes de viol odieuses (qu’on aperçoit aussi chez d’autres réalisateurs), dont l’intention de les montrer est trop ambiguë pour être acceptées sans sourciller. Car ce qui semble animer le protagoniste principal du film est sa marginalité, sa totale liberté d’action et de penser, et c’est cela même qui est quelque peu dérangeant. In fine, c’est l’idée de la liberté initialement défendue qui s’en retrouve discréditée. Notons que ceci est surtout valable pour les œuvres profondément politiques… Les Amants mouillés se contente de faire simplement référence au registre de la Nouvelle Vague, d’en reprendre certains éléments, avec une obsession moindre, et du reste, s’attache à correspondre à sa catégorie de Roman Porno. Même là, les scènes érotiques propres au registre s’avèrent plutôt bas de gamme, en raison de la censure opérée par apposition d’énormes caches noirs sur les parties. Kumashiro fera preuve de bien plus d’inventivité dans L’Extase de la rose noire. La narration, au global, parvient à perdre le spectateur : on suit les allées et venues de ces personnages, entre cinémas porno et champs ou plages, guère plus. Certaines scènes sont par ailleurs très étranges, à l’image d’une partie de sauts-de-mouton nudiste, qui fait verser le film dans un grotesque détonant.

Les Amants mouillés apparaît encore dans les premières années des Romans Porno de la Nikkatsu. Le style de mise en scène ne fait pas mouche et son propos est vacillant. À leur décharge, les artistes du Roman Porno pouvaient encore se chercher, et ce métrage montre déjà la possibilité d’entrer dans le champ politique.

Maxime Bauer.

Les Amants mouillés de Kumashiro Tatsumi. Japon. 1973. Inclus dans le coffret Roman Porno 1971-2016 – Une histoire érotique du Japon chez Elephant Films le 17/12/2019.

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