Microhabitat, présenté dans la section Portrait, fut le vrai coup de cœur de cette édition 2018 du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP). Un portrait sensible, drôle et tragique des jeunes adultes coréens porté par une magnifique héroïne.
Le récent Burning de Lee Chang-dong avait montré, dans une approche métaphysique, le désœuvrement des jeunes adultes coréens et leur dépit face à leur accomplissement personnel brisé. Microhabitat, premier long-métrage de la réalisatrice Jeon Go-woon, creuse le même sillon dans une approche différente. Si dans Burning la frustration du héros le poussait, selon l’interprétation, au crime ou à la paranoïa, Microhabitat dépeint, avec Miso (Esom), une héroïne aux antipodes de cette course à la réussite. Le bonheur consiste pour elle en des plaisirs simples comme fumer ses clopes et boire un bon verre de whisky. Ces deux agréments suffisent à supporter son dénuement matériel permanent et l’impossibilité de vivre avec son petit-ami tout aussi fauché. La réalisatrice eut l’idée du scénario en constatant que la crise économique que traversait la Corée se répercutait désormais également dans les échappatoires futiles au quotidien morose que sont justement les cigarettes et l’alcool dont les prix augmentaient. Lorsque son loyer grimpera également, Miso préfère renoncer à son logis plutôt que ses plaisirs et va voguer entre des logis éphémères chez des amis.
Ce renoncement symbolise en fait le choix d’un bonheur ponctuel plutôt qu’une frustration permanente. On pourrait y voir un refus des responsabilités de l’âge adulte, mais il s’agit surtout de tourner le dos au conformisme vers lequel nous guide la société. Une grande partie de l’intrigue voit Miso séjourner brièvement chez des anciens camarades de fac et membres d’un groupe musical commun. Chaque ami(e) représente un mal du monde moderne, que ce soit la dépression pour un divorcé pleurnicheur, l’usure pour cette femme au foyer dépassée, l’infantilisation d’un vieux garçon ou l’indifférence pour une grande bourgeoise hautaine. Chaque personnage est introduit par un rappel de leur ancien instrument pour montrer le fossé entre ce passé léger et la sinistrose du présent. Miso incarne un rappel de cette insouciance révolue qu’ils regardent avec nostalgie mais refusent dans leurs attitudes. La réalisatrice l’illustre dans une notion spatiale (le divorcé enfermé dans sa chambre d’ami), le traduit par la lassitude physique pour la femme au foyer, et le capture dans le surréalisme comique (la bienveillance trop prononcée de parents en quête désespérée d’une belle-fille) ou par un parallèle entre le luxe l’entourant et la facticité des sentiments avec la bourgeoise.
En s’accrochant au matériel, à leur statut et à leur mal-être, les personnages effectuent un repli sur soi absent chez la pourtant démunie de tout, Miso. Le personnage est attachant par son constant souci de l’autre et son flegme face aux déconvenues diverses. La relation avec son petit-ami évite d’en faire une figure abstraite fonctionnelle, le miroir placide qu’elle offre aux autres soulignant leurs failles. La réalisatrice n’associe pas cet individualisme à une classe sociale (l’hilarant zoom avant sur la femme de ménage quand Miso propose à son amie de l’aider dans les tâches quotidiennes), mais à la société coréenne au sens large, qui perd son âme dans les normes qui la régissent. Quelques révélations sur le passé familial de Miso expliquent ce qui l’amène à relativiser et s’attacher à des bonheurs simples, quand tous les autres (son petit-ami compris) finiront par se trahir pour ressembler aux autres.
L’humour désamorce pas mal la mélancolie de l’ensemble malgré la noirceur de certaines situations comme cette visite d’appartements insalubres ou ce renoncement à une coucherie car se déshabiller donne froid en hiver. Le spleen domine néanmoins la conclusion, le fossé entre Miso et son entourage se traduisant par une évaporation de sa silhouette à l’image. Elle reste un souvenir pour ses anciens amis, et une ombre fugace pour ce monde autocentré (très belle idée que cette chevelure prématurément blanchie pour la distinguer des autres). Heureusement, une clope et un petit verre de whisky suffiront pour oublier tout cela, un temps.
Justin Kwedi.
Microhabitat de Jeon Go-woon (2017). Projeté lors de la 13e édition du Festival du Film Coréen à Paris.