Okinawa International Movie Festival 2018- Born, Bone, Born de Teruya Toshiyuki (Gori) : critique et entretien

Posté le 21 avril 2018 par

Premier film vu au Okinawa international Movie Festival 2018 et premier coup de cœur. Born, Bone, Born de Gori (Teruya Toshiyuki), adaptation par le réalisateur de son propre court métrage multi récompensé en festival, séduit par sa simplicité et sa troublante gestion de la comédie. Présentation et rencontre avec son réalisateur Teruya Toshiyuki.

Le film commence sur le visage figé d’une matriarche décédé bien trop tôt, dans son cercueil ouvert. La cérémonie du Senkotsu peut commencer. Encore présente sur l’île d’Aguni Shima au Nord-Ouest de Naha à Okinawa, cette tradition consiste à enterrer les défunts sur le versant ouest de l’île, dans « l’autre monde » et nettoyer les os quand le corps s’est décomposé des années plus tard.

Autour de ce cercueil et du Senkotsu qui débute se trouve les autres membres de la famille, ceux qui doivent continuer malgré tout. Le père de famille qui sombre dans l’alcool, le fils qui s’enferme dans le travail, la fille complètement perdue et la tante forte tête. Gori dessine ces personnages sans forcer le trait, mais de ce point de vue-là, Born, Bone, Born ne surprend pas. On a déjà vu cette caractérisation chez Kore-eda, ou dans n’importe quelle comédie dramatique japonaise de festival.

Mais Gori imprègne son film du folklore Okinawaien, d’une aura mystique entourant l’ile d’Aguni Shima et de son rapport avec la mort. Le cinéaste n’a de cesse de confronter la dureté et la réalité de la perte avec cette idée que rien n’est définitif tant qu’il y a quelqu’un qui reste. Born, Bone, Born s’intéresse à la notion d’héritage, de la passation, de la résistance. L’amour de la région pour ce natif de Naha se ressent de chaque plan et son angoisse de voir le cynisme faire disparaitre les traditions aussi. La coutume du Senkotsu apparait tout aussi mystérieuse que profondément déroutante, car elle interroge le propre rapport qu’ont les personnages avec la mort de leur mère, épouse ou sœur. Tant que le Senkotsu n’est pas terminé, il est presque impossible pour eux d’avancer. Cette réflexion sur la tradition et son impact sur la gestion du deuil se révèle passionnante et très émouvante.

De tradition il est aussi question dans la gestion du timing comique qui est ici assez exceptionnel. Gori étant aussi un comédien, on ressent sa précision et son talent pour faire grincer des dents ou rire aux éclats en quelques situations. Dans Born, Bone, Born, le rire n’est jamais loin des larmes. L’humour joue sur plusieurs registre, tour à tour bouffon, pince sans rire où absurde (une première scène hilarante). On joue ici des registres comiques traditionnels, pour les unir au drame, pour montrer finalement qu’ils sont indissociables. C’est au cœur des moments les plus déchirants qu’on trouve les instants les plus drôles.

Le cinéaste offre des magnifiques tranches de vies, où désespoir, magie et absurdité font partie d’un tout et où l’importance de la passation de la tradition est vitale.

Dans un sublime dernier plan, Gori confronte la vie et la mort : « Ce ne sont peut-être pas les os que nous lavons, mais nous. »

Entretien avec Teruya Toshiyuki (Gori)

Ce film ressemble à un drame familial mais vous avez une approche un peu plus légère, ce sens de l’humour équilibre peut-être un peu le tout, pourquoi ce choix ?

Si j’essaie de rendre compte de la tradition du Senkotsu (nettoyage d’os des défunts – ndlr), ça peut devenir rapidement assez effrayant. Mais je suis un comique à la base, c’est mon métier. Je pense que mon talent peut mieux s’exprimer de cette manière. Vous riez, vous pleurez en même temps. Ma mère est morte il y a trois ans, ça s’est donc un peu synchroniser avec le thème du film. Ma mère a eu un problème au cœur et mon père était un coureur de jupon, donc elle a lutté tout au long de sa vie. Faire ce film était un moyen d’exprimer ces luttes.

Avez-vous été parlez aux habitants l’ile pour vos recherches. Est-ce que le Senkotsu est encore bien répandu là-bas ?

J’ai interrogé beaucoup d’ancien villageois qui pratiquait le Senkotsu quand je suis allé sur l’ile d’Iguni. J’ai aussi vu une rare vidéo de Senkotsu. Maintenant sur l’île quand quelqu’un meurt, la plupart des gens les emmène sur l’ile principale d’Okinawa pour une crémation. Quelques personnes ne veulent pas faire cette crémation, les anciens supplient leurs enfants de faire le Senkotsu quand ils partiront. Il y a une petite portion des gens qui veulent toujours faire le Senkotsu. Quand mon père a vu le film, il m’a dit qu’il voulait que je fasse le rituel avec lui, mais je lui ai répondu qu’il aura une crémation ! (Rires)

Pourquoi ? Est-ce trop effrayant ?

Si c’était ma mère je le ferais pour elle mais comme c’est pour mon père…non ce sera une crémation ! (Rires)

Comment avez-vous préparé vos acteurs pour la fameuse scène du nettoyage d’os ?

J’ai enregistré le dialecte sur une recorder, et je l’ai fait écouter aux acteurs encore et encore. Si on faisait le film en dialecte d’Okinawa les autres Japonais ne comprendraient pas, alors j’ai juste gardé les intonations. J’ai aussi pas mal fait de petites blagues sur le plateau pour détendre l’atmosphère.

Je viens d’Indonésie, il y a aussi quelques régions ou le rituel du lavage d’os est présent. J’aime la conclusion qui parle de se laver soi-même, que les ancêtres nous aident à cela. La conclusion vous est venue par vous- même ou ce sont vos recherches qui vous y ont amener ?

Quand ma mère est morte je me suis senti dans cet état d’esprit. Les mères donnent la vie, mais meurent aussi. Mais comme je suis né, j’aurais un autre enfant. Il y a des millions d’années, mes ancêtres n’ont pas abandonné et ont survécu encore et encore et je suis là maintenant. Dans mon esprit, je suis connecté avec mes ancêtres. Donc lavé les ancêtres revient à me laver moi-même.

Les questions d’héritage et de culture semblent être un fardeau pour les personnages. Est-ce important pour vous ?

Quand les êtres chers meurent, ils vous laissent avec une impression de remords, de tristesse. Vous avez à expérimenter ces sentiments deux fois quand vous nettoyer les os. C’est une souffrance qu’on doit vivre : de voir ceux qu’on aime mourir puis les voir réduit à l’état d’os. Beaucoup d’hommes de familles fuient ou boivent pour arriver à achever le Senkotsu. Quand j’ai regardé la seule vidéo restante de la tradition, j’ai trouvé ça magnifique de toucher les os avec vos mains, c’est dur, mais c’est beau de pouvoir toucher vos ancêtres une dernière fois.

Les relations familiales sont une sorte de tradition dans le cinéma japonais, avec par exemple Ozu. La société japonaise change tellement avec des enfants qui déménagent à Tokyo où ils ne voient plus leurs parents par exemple. Est-ce difficile de faire ce genre de film désormais ?

C’était commun au Japon que trois générations vivent sous le même toi, maintenant ce sont plus des familles nucléaires. Même si vous êtes liés par le sang, vous avez moins de chance d’interagir entre vous désormais. Ce serait un plaisir si tous les gens au Japon qui voient ce film se posent la question : « quelle est ma relation avec ma famille ?».

Cette description d’une famille dysfonctionnelle fait penser à Still Walking de Korê-Eda Hirokazu. Quelles sont vos inspirations ?

(Il réfléchit) Little Miss Sunshine, quel était le réalisateur… Jonathan Dayton et Valerie Faris et The Descendants d’Alexander Payne. Ils ne forcent pas la tristesse. J’essaie de faire un peu pareil, on rit, mais on sent la mélancolie.

Avez-vous visité Aguni étant plus jeune ?

C’était la première fois. On m’a offert de filmer là-bas. J’ai d’abord écrit un script de comédie ou un homme qui vient d’Aguni se rend sur l’île principale d’Okinawa et a une liaison en mentant sur son statut. Mais quand j’ai entendu parler du rituel, j’ai tout jeté et j’ai écrit ce script.

Quelle était vos impressions sur Aguni ?

Il n’y a RIEN ! (Rires) Il n’y a qu’un magasin qui ferme très tôt, il faut bien réfléchir en allant faire ses courses !

D’où vient le financement, est-ce Yoshimoto qui finance tout ?

Je n’en sais totalement rien ! Je ne sais même pas s’ils m’ont payé le bon montant ! (Rires)

Propos recueillis à Naha par Jérémy Coifman et Justin Kwedi le 21/04/2018

Traduction : Julia Aimi.

 Remerciements à Aki Kihara, Shizuka Murakami et Momoko Nakamura ainsi qu’à toute l’équipe du festival d’Okinawa.

Born, Bone, Born de Teruya Toshiyuki. Japon. 2018.

Présenté  au 10eme festival international du film d’Okinawa. Toutes les informations ici.

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