Après Outrage 2 il y a quelques semaines, la nouvelle plateforme de VoD e-cinema.com propose depuis le vendredi 23 février un second film japonais : l’horrifique Monsterz de Nakata Hideo. L’occasion idéale pour replonger dans cet inédit de 2014 que nous avions évoqué avec son réalisateur lors de sa présentation au Festival du Film Asiatique de Deauville.
Critique de Marc L’Helgoualc’h
La vision de Haunters laissait déjà perplexe par l’indigence de son scénario : la confrontation entre deux hommes dotés de pouvoirs surnaturels – on les qualifiera de « mutants » pour plus de commodité. Le premier (sans véritable nom) a le pouvoir de contrôler les gens par l’esprit, un pouvoir inné qui l’a amené dès l’enfance à tuer son père et à se séparer de sa mère pour mener une existence solitaire en vivant de larcins, notamment en contrôlant les gens pour braquer des banques. Le deuxième homme est Tanaka, un humble déménageur qui découvre sur le tard son pouvoir : une résistance et une capacité de guérison hors du commun. Renversé par une voiture, il met seulement trois jours à se rétablir. Autre spécificité qui constitue l’intérêt principal du film : il est le seul humain à ne pas pouvoir être contrôlé mentalement par l’autre « mutant ». S’ensuit donc une lutte à mort entre les deux personnages.
On se disait que Nakata Hideo parviendrait à apporter sa touche personnelle à Haunters et proposer quelque chose de surprenant. Pas du tout ! En plus d’être toujours aussi inepte (et inintéressant), Monsterz est particulièrement indigeste. Nakata a décidé de survitaminer le film en alignant dès le début des scènes d’action (bastons, courses-poursuites interminables) là où Lim Min-suk prenait le temps d’introduire le personnage de Tanaka : un employé de chantier humble et gagne-petit, solitaire et très ami avec ses deux comparses, un Ghanéen et un Turc. Ici, ceux-ci deviennent un geek et un homosexuel extraverti (affublé d’un t-shirt bariolé que porteraient fièrement le chanteur de MGMT et les fluo kids). Nakata ajoute également quelques variations nippones. On apprécie particulièrement la référence au manga Akira, la personne de Tetsuo faisant écho au méchant mutant doté de pouvoirs télékinétiques.
Nakata Hideo alourdit également le film en voulant expliquer l’existence des deux « mutants » et en introduisant une réflexion, malheureusement terriblement superficielle, sur la crise d’identité et (soyons modestes) l’existence humaine. Par l’intermédiaire d’un nouveau personnage (un policier), trop faiblement exploité et donc totalement inutile, Nakata explique la présence des « mutants » sur Terre par une évolution normale de l’homme vers un être supérieur. Il existerait depuis des décennies une confrérie de « mutants » à travers le monde… Les joies de la théorie de l’évolution… Pour contrebalancer cette révélation fracassante, Nakata insuffle au méchant « mutant » un pathos lourdingue dans sa relation avec sa mère et dans sa quête d’exister parmi les autres humains. L’idée d’un film existentialiste s’esquisse vaguement mais reste largement inabouti, coincé entre les scènes d’action. Ajoutons à cela le jeu d’acteur limité de Fujiwara Tatsuya, qui sévit depuis plus années dans les films de Nakata Hideo. La coupe est pleine.
Avec Monsterz, on retrouve donc un Nakata Hideo particulièrement mal inspiré qui livre un film très faible, qui n’arrive jamais à s’affirmer et à passionner, coincé entre le remake de commande et des idées intéressantes jamais véritablement exploitées. Espérons que le cinéaste passe vite à un film plus personnel et plus ambitieux.
Marc L’Helgoualc’h.
Entretien avec Nakata Hideo
Pouvez-vous nous parler des origines de votre dernier film, Monsterz ?
C’est le remake d’un film coréen, Haunters, que nous avons adapté pour le public japonais, en conservant la trame. La Corée et le Japon ont des points communs au niveau de leur culture traditionnelle, héritée du bouddhisme et du confucianisme, mais nous avons quand même dû travailler certains aspects. Il y a un élément majeur que j’ai tenu à conserver, c’est la remarque du héros quand on lui demande ce que signifie la vie pour lui, et qu’il répond : « Uniquement survivre jusqu’à ma mort ». La vie est un combat perpétuel pour trouver un sens à nos vies en les rendant meilleures. Le méchant utilise les mêmes mots, mais dans un sens complétement opposé. Il se considère lui-même comme un monstre, ne peut communiquer avec les autres humains. Il ne peut pas se tuer, mais va jusqu’à tuer son propre père. Il se demande également pourquoi il existe, quel est le sens de sa vie, et lui aussi répond qu’il ne peut que survivre jusqu’à sa mort. Mais sa vision est négative, nihiliste. Ce dialogue clef m’a vraiment fasciné dans le film original, et j’ai voulu travaillé sur ce concept. C’est mon producteur, Satô Takahiro, avec qui j’avais déjà travaillé sur L: Change the World, qui a choisi le film et le producteur coréen a vraiment aimé l’idée d’une version japonaise.
Vous avez parlé de changements dans votre traitement. Quels sont les éléments que vous avez modifiés ?
L’histoire est la même, mais… comment dire ça en restant politiquement correct ? Haunters se déroule dans la Corée contemporaine. Vingt ans avant, un garçon devient un monstre. En voulant rester fidèle à cette histoire, il a fallu faire quelques ajustements concernant… comment dire… (il réfléchit) tout le background industriel, la pauvreté de la famille de ce garçon. Ce sont des différences très légères mais la Corée d’il y a 2 ans n’est pas le Japon d’il y a 20 ans. Les vols du méchant ont aussi été modifiés. Dans notre version, il manipule les gens à distance lors de ses hold-ups, récolte de l’argent et s’installe dans des hôtels de luxe. Il agit comme un homme invisible, ce qui rend presque tout possible pour lui. Dans la version originale, que j’ai beaucoup aimée, il va dans le bureau de gages, dans lequel travaille le héros pour commettre son larcin. Ce sont de petites différences, mais elles nous semblaient nécessaires, au producteur et à moi, pour que le public japonais accepte cette histoire.
Beaucoup de vos œuvres récentes sont des adaptations : L: Change the World est tiré d’un manga, Chatroom d’une pièce de théâtre, TV Show d’un roman et Monsterz est un remake. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce travail d’adaptation et comment vous appropriez-vous ces œuvres originales ?
Faire des adaptations n’est pas vraiment mon choix, mais celui du producteur. Cela rassure les financiers d’avoir un titre populaire avant de se lancer dans un film. Et ce n’est pas spécifique au Japon. Mais The Complex, mon précédent film, était une œuvre originale, et mon prochain film d’horreur le sera aussi. Et même si ce travail d’adaptation n’est pas mon choix à la base, je dois avouer apprécier avoir cette référence comme base pour la création de mon univers. C’est très dur de développer une histoire à partir de rien. C’est douloureux, mais la liberté de création est totale. Dans le cas d’une adaptation, l’œuvre originale nous restreint de par le respect qu’on lui doit. Il y a des avantages et des inconvénients dans les deux cas.
En plus d’être un remake, Monsterz accumule des hommages à de nombreux films : Akira, Incassable, X-Men, Vertigo dans la dernière scène. Ces références étaient-elles importantes à vos yeux ?
J’ai vécu une jeunesse de cinéphile lors de mes années d’études. Et même quand j’étais assistant-réalisateur, je passais tout mon temps à voir des films ! Surtout des classiques ! Hitchcock par exemple est une influence majeure, à laquelle je me réfère sans cesse. Dans ce film… oui, il y a bien l’escalier en spirale, mais je n’y ai pas trop pensé. En fait, pour l’affrontement de ces deux hommes, j’ai demandé à mon cameraman de regarder Heat de Michael Mann. On y retrouve cette opposition entre le héros et le méchant, mais au final, est-ce que Robert de Niro est vraiment méchant ? Je me suis inspiré de cette construction en miroir. Je voulais d’ailleurs un protagoniste féminin, mais on a dû rester sur un thriller d’action entre deux hommes. Par contre, je n’ai pas vu Incassable… Certaines citations sont intentionnelles, d’autres sont presque inconscientes.
Votre acteur Fujiwara Tatsuya semble depuis peu préférer les rôles de vilain, comme dans Wara No Tate de Miike Takashi ou ici. Comment l’avez-vous dirigé pour accompagner cette orientation ?
Il m’a dit avoir essuyé beaucoup de critiques, notamment par les fans de Death Note (Fujiwara Tatsuya incarne L dans les adaptations live du manga – ndlr), car il crie trop dans les films. Il ne leur semblait pas aussi cool que le personnage du manga. Mais bon, dans un film, on ne peut pas être exactement un personnage de manga, ce sont deux médias différents. Il m’a donc demandé un rôle où il devait rester calme. Il voulait jouer un vilain réaliste. Dans Wara No Tate, il sur-joue peut-être encore un peu, c’est pourquoi il a un jeu très tranquille ici. Son personnage est très difficile à jouer, vu que ce n’est plus un humain, mais qu’il est déjà plus que ça. De plus, presque toutes les scènes d’action sont jouées par le héros, Yamada Takayuki. Il me disait : « C’est un film pour Yamada, je me contente de regarder ce qui se passe ! ». Mais au final, le film parle surtout de ce monstre triste, qu’interprète Fujiwara. C’est lui le véritable personnage principal.
Vous avez également récemment travaillé sur un documentaire Living in the Wake of 3/11. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?
C’est mon quatrième documentaire et le seul qui n’est pas sur le cinéma. J’ai fait des films sur Joseph Losey, mon mentor Masaru Konuma… Celui-ci est sur le tsunami d’il y a 3 ans. C’est la télévision qui est venu me chercher pour ce sujet, et j’ai tenu à aller voir sur place les conséquences du désastre et de réaliser des interviews. Les producteurs et moi avions des idées différentes de la forme que devait prendre le documentaire, et j’ai fini par réaliser le film en le produisant moi-même. Il n’a d’ailleurs rien rapporté du tout jusqu’à présent. Mais je voulais vraiment rencontrer ces gens qui ont tout perdu. J’ai par exemple rencontré ce pêcheur qui a perdu toute sa famille dans la catastrophe alors qu’il était lui-même en mer. Ses blessures sont très profondes. Je voulais vraiment faire ressentir l’agonie, le regret et la souffrance de ces gens. Il n’y a pas de réponse à leur douleur, mais j’ai par exemple essayé d’accompagner une vieille femme dans un temple bouddhiste, pour lui faire rencontrer un moine. De temps à autre, j’aime réaliser ce genre de films, car j’adore le documentaire. C’est un genre qui permet de voir des choses impossibles à montrer dans un long-métrage de fiction. Dans mon cas, je prévois presque tout quand je travaille sur une fiction, rien n’est laissé au hasard et donc rien d’inattendu ne peut arriver. Je prévois tous les détails en amont du tournage, jusqu’au montage, que j’ai déjà parfaitement en tête avant les prises de vues. Dans le cas de documentaire, je ne prévois rien : je ne sais pas qui je vais rencontrer, ce qu’ils vont me dire. C’est la beauté du documentaire. Mais le problème est que c’est très difficile d’en vivre…
Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui les a particulièrement touchés, fascinés, marqués et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.
Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?
Le film que j’ai le plus vu est certainement Lettre d’une inconnue. Il y a cette scène dans lequel Joan Fontaine, qui vient d’ailleurs de mourir, monte des escaliers pour aller voir le pianiste qui a emménagé à l’étage du dessus. Il y a ce plan séquence tellement élégant caractéristique du cinéma de Max Ophuls.
Propos recueillis par Victor Lopez le 08/03/2014 à l’occasion du Festival du Film Asiatique de Deauville 2014.
Merci à Céline Petit et Clément Rebillat, ainsi qu’à toute l’équipe du Public Système Cinéma pour l’organisation de l’entretien.
Monsterz de Nakata Hideo. Japon. 2014. Disponible sur le site e-cinema.com le 23/02/2018.
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