DVD – Super Riders, de Lin Chen Wong et Karaté Motos, de Stanley Siu Wing : La Magie du cinéma

Posté le 24 octobre 2017 par

Le cinéma est un univers tellement vaste, même en centrant sa réflexion sur l’Asie. Le cinéphile curieux peut donc découvrir, entre deux films de Sono Sion, Park Chan-wook ou John Woo (pour ne citer qu’eux) des raretés aussi improbables que décalées. Super Riders ou encore Karaté Motos sont de cette catégorie-là.

Il s’agit du genre de films dont le titre même fait rêver l’amateur de bisseries improbables (sans parler des affiches tout simplement fascinantes). Bien entendu, distribuer, dans le contexte actuel, ce type d’œuvre, est bien compliqué. Après le succès de Kill Bill, de Quentin Tarantino, il y avait eu un engouement pour la Shaw Brothers, qui avait permis à certains éditeurs de creuser le catalogue. Ainsi, le catalogue de Liu Chia-Liang épuisé, des objets filmiques non-identifiés, comme le délirant Super Inframan (TF1 Vidéo tout de même) avaient pu voir le jour. Mais les deux films qui nous intéressent ne sont pas des Shaw Brothers, le succès de Kill Bill est bien loin, et le climat actuel rend difficile la ressortie de vieux films. Le format DVD et Blu-Ray peine, les chaînes de vidéo à la demande commencent seulement à découvrir les catalogues anciens, et des œuvres comme Super Riders ou Karaté Motos fascineront difficilement le grand public.

Aussi, Croco Films, l’éditeur des deux films qui nous intéressent ici, s’est tourné vers le financement participatif et la plate-forme Ulule. C’est en avril 2017 que Croco Films récolte 184% de la somme qu’ils demandent (1500 euros devenant 2771). Une petite somme au regard d’autres financements participatifs, une petite somme pour une édition DVD, mais un peu plus d’une centaine de personnes s’intéresse à deux œuvres étranges et improbables, qui ne verront pas le jour autrement que dans ce cadre, Croco Films ayant annoncé qu’ils ne distribueraient pas les films par la suite. Il ne reste plus qu’à souhaiter que le succès soit suffisant pour inciter d’autres éditeurs à faire de même, tant ce type de films mérite d’être découvert ou redécouvert et ne peut laisser de marbre.

L’édition DVD est assez belle, entre la jaquette superbe, le film de qualité (pour l’époque bien entendu). Seule la version française est cependant disponible, et si elle ne fait qu’accentuer le côté « nanar » de l’œuvre, avec des doubleurs en roue libre et des dialogues parfois décalés, il reste dommage de ne pas pouvoir apprécier les films en version originale, ne serait-ce que pour comparer.

Karaté Motos, de Stanley Siu Wing

Il est à présent temps de se pencher sur chaque film séparément, à commencer par Karaté Motos, aussi appelé Impact 5, de Stanley Siu Wing. Sorti en 1973, il s’agit du deuxième film de son réalisateur (le premier ayant été réalisé la même année). Après Land Of The Brave, où un héros lutte contre de vils Japonais, Stanley Siu Wing se tourne vers le film de gangster, proposant une œuvre assez classique en apparence. L’histoire s’intéresse à un jeune homme, plutôt désœuvré et impulsif, ne sachant pas quoi faire de sa vie. Il réside chez son frère, policier droit et intègre, et ce dernier désapprouve la liaison entre le héros et une chanteuse, qu’il voit comme une mauvaise influence. Quand notre personnage principal se retrouve au poste, pour avoir violemment frappé un homme importunant sa fiancée, son frère considère qu’il n’a plus le choix et le met en prison, ce qui ne fait qu’accentuer les tensions entre les deux membres de la famille.

Le policier étant une véritable épine dans le pied d’odieux trafiquants de drogue, ces derniers voient ici une bonne manière de se débarrasser du flic gênant, et approchent le jeune frère pour le manipuler. Mais notre héros, grand combattant, n’entend pas se laisser faire. L’histoire se révèle des plus classiques, et son évolution le sera également. Pour autant, la folie apparaît partout dans cette œuvre, se situant non pas dans son récit mais dans sa résolution, le réalisateur ayant décidé de faire fi de toute cohérence et de faire le découpage de ses scènes au petit bonheur.

Le spectateur est au fait de cette ambiance si particulière, quand, dès les premières minutes, le héros va martyriser le mécréant manquant de respect à sa fiancée, et que la scène se coupe avec une brutalité si surprenante que le spectateur croit à un problème du DVD, pour continuer avec son frère le mettant en prison. Ou encore, plus tard, avec quelques échanges de coups, une roulade et une coupure, le méchant se retrouvant sur un bateau.

Karaté Motos (un titre tellement plus farfelu qu’Impact 5) est donc un festival de ce genre. Après une longue course-poursuite en moto montrant que les cascadeurs se moquent de leur sécurité, mais aussi que le scénariste n’a que faire d’une cohérence dans le trajet, les motos faisant par exemple des allers et retours sur le même escalier alors que le héros est censé fuir ses ennemis, un des méchants tombe dans un ravin n’existant pas quelques secondes auparavant, ou encore, le plan ridicule de deux ennemis voulant pousser le héros, à pied à ce moment-là, dans l’océan, et nous assistons, consternés, au gentil suspendu au débarcadère bien avant que les motos, continuant leur route, plongent dans la mer sans tenter de dévier. Les chorégraphies des longues séquences de combat sont certes correctes, mais entendre la barre de fer faire le même bruit quand elle frappe un mur, une autre barre de fer, un ennemi ou de la terre battue, force le respect.

Karaté Moto est un film fou et farfelu, de très longues scènes d’actions comblant les lacunes du scénario, les personnages ayant des plans aussi ridicules qu’inefficaces et le spectateur se laisse porter par une folie ne s’embarrassant jamais de cohérence ou de réalisme. Et le résultat fonctionne à la perfection pour l’amateur d’étrangeté et de bisseries complètement décalées, il est vrai.

En seul bonus du film, l’éditeur nous offre la bande-annonce, en version originale cependant.

Super Riders, de Lin Chung-Kuang

Grâce à Lin Chung-Kung (qui livre avec Super Riders son seul et unique film), le spectateur s’éloigne d’un scénario classique rendu farfelu par son déroulement, pour plonger dans une histoire particulièrement savoureuse, rendant Super Riders des plus prometteurs sur le papier. Un jeune homme est enlevé par la terrible organisation des Disciples de Satan, qui veut faire de lui un de ses esclaves, annihilant sa volonté tout en lui donnant une force supérieure. Mais le scientifique responsable, forcé de travailler avec le terrible Docteur Mort, fait en sorte que la volonté de notre héros soit intacte et l’aide à s’évader. Il est à présent un super-men (Numéro 2), et doit rejoindre Numéro Un (autre héros sauvé des griffes de l’organisation), et tous deux doivent détruire les Disciples de Satan, qui vont tout faire pour tenter d’acquérir une dangereuse formule, aidés par de nombreux monstres.

Super Riders, réalisé en 1975, s’inspire, comme Super Inframan la même année, des tokusatsu japonais, et offre un spectacle bariolé et assez unique. Les héros, transformés, ressemblent à de gros scarabées, et combattent des monstres en caoutchouc dont le nom semble avoir été choisi sans aucune cohérence par rapport à leur design ou aux pouvoirs de la créature (le monstre des marais, ou des volcans, par exemple). Le film est émaillé de très nombreux combats (rallongés, parfois, avec une caméra dévoilant pléthore de monstres se présentant les uns après les autres) dans des décors colorés, sur une musique de fête foraine. Les scientifiques et autres sbires ressemblent à des catcheurs mexicains qui se seraient perdus, et les méchants déploient des plans tous plus farfelus les uns que les autres pour piéger les Super Mens (la course à moto, avec son sbire déplaçant la flèche de signalisation pour diriger les héros sur le mauvais chemin ne serait pas déplacée dans un épisode de Bipbip et le Coyote). Quasi invariablement, les héros tombent dans le piège, et réussissent à s’en sortir lors d’une ellipse surprenante. Les héros découvrent qu’ils sont retardés dans la montagne pour que les méchants aient le temps de lancer le rayon de la mort sur Séoul et il ne leur reste que quelques secondes ? Aucun soucis, le plan suivant, ils se retrouvent à lutter dans le complexe et éteindre le dit rayon. Ils s’infiltrent dans un autre repaire, et se retrouvent piégés avec une bombe ? Le plan suivant, la bombe explose et nous les voyons à l’extérieur…

Super Riders est un film dénué de cohérence, il est vrai, qui ne s’embarrasse pas de complexité d’effets spéciaux (de nombreux pouvoirs sont mis en scène grâce à du bain moussant) ni de chorégraphies recherchées, mais se révèle extrêmement festif. Rythmé, jamais long ou ennuyeux, le film ne peut que fasciner, grâce à une folie de tous les instants, et une équipe ne reculant devant rien pour aller vers un résultat particulièrement atypique, livrant un film assez inoubliable finalement.

Les bonus de Super Riders sont plus conséquents, puisqu’en plus de la bande-annonce, nous avons droit à plusieurs scènes coupées ou rallongées. Elles offrent un peu plus de folie, bien entendu, certains combats délicieusement festifs étant rajoutés, mais surtout, ces séquences rendent le film moins confus. En effet, s’il n’est pas besoin de comprendre le scénario de Super Riders pour en apprécier la magie, le scénario se révélait par moment bien confus. Grâce aux séquences coupées, nous comprenons enfin à quoi sert la fameuse formule scientifique au cœur des manigances des Disciples de Satan, et trois protagonistes (monsieur Ma et ses deux charmantes assistantes) n’apparaissent plus comme par magie, le spectateur sachant enfin qui ils sont. Le gros bonus du film est, bien entendu, la version commentée du film (par l’équipe de Toku Scope). Ce commentaire audio se révèle passionnant, puisqu’il révèle entre-autre que Super Riders est le mix de trois films Kamen Rider, avec des séquences ajoutées tournées à Taïwan pour l’occasion. Les acteurs (japonais et taïwanais) sont longuement évoqués, et Toku Scope connaît grandement la franchise Kamen Rider, parlant de ses spécificités, des codes des films, s’attardant sur le manga et de nombreux détails du genre. Il est certes surprenant de les voir pointer du doigt la présence – bizarre à leurs yeux – du drapeau coréen au sein du film (alors qu’une partie de l’intrigue tourne autour de la destruction de Séoul), mais sorti de cela (et d’une qualité sonore pas toujours au top), le commentaire audio est véritablement instructif, éclairant tout ce pan de cinéma et faisant la lumière sur la magie du cinéma derrière ce Super Rider.

Au final, Super Riders et Karaté Moto sont deux films qu’il faut posséder, plongeant dans les abysses d’un cinéma fait de bouts de ficelle et gentiment n’importe quoi, mais qui, avec sa fraîcheur, offre un spectacle aussi désuet que fascinant. Le genre de films qu’on ne fait plus (imaginez un peu, les crédits ne sont même pas écrits, mais annoncés en voix off) mais qui est représentatif de tout un pan du cinéma, empli de folie et de magie, de naïveté aussi. A l’heure où certains osent de plus en plus dire que le DVD est amené à mourir prochainement, on ne peut que remercier Croco Films de nous offrir ces deux œuvres, prouvant, avec ce financement participatif réussi, que le DVD a encore de belles heures devant lui, en exhumant des pépites plus ou moins bizarres et oubliées comme celles-ci.

Yannik Vanesse

Super Riders, de Lin Chung-Kung et Impact 5, de Stanley Siu Wing, sont disponibles en double DVD chez Croco Films.

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