VIDEO – The Girl Who Leapt through Time d’Obayashi Nobuhiko

Posté le 21 novembre 2023 par

La nouvelle La Traversée du temps de Tsutsui Yasutaka a connu de nombreuses adaptations au cinéma, notamment celle mondialement connue de Hosoda Mamoru en 2006. En 1983, Obayashi Nobuhiko en réalise une version, et à l’image de toute la filmographie de ce grand réalisateur japonais, elle est restée longtemps bien méconnue hors de son archipel. Après les Anglais de Third Windows Films en 2022, Spectrum Films édite The Girl Who Leapt through Time, aussi connu sous le titre The Little Girl Who Conquered Time, pour le marché francophone dans son coffret Blu-Ray Obayashi Nobuhiko, aux côtés de The Aimed School.

Kazuko est une lycéenne studieuse. Une fin d’après-midi, alors qu’elle se rend dans le laboratoire du lycée pour le nettoyer, elle y respire l’odeur de lavandes disposées dans des pots, et s’évanouit. Le lendemain, elle constate qu’elle effectue des sauts dans le temps lui permettant de revenir à la journée d’avant…

Cette occurrence de La Traversée du Temps est le fruit de l’aspiration du patron de Kadokawa d’alors, qui a voulu confier un film de type coming-of-age à Obayashi Nobuhiko afin de faire de Harada Tomoyo une actrice à part entière. Cette jeune fille de 16 ans venait de remporter un concours de talent organisé par Kadokawa et à l’instar de nombreuses vedettes dans le star-system japonais, il fallait lui construire un véhicule pouvant faire d’elle une marque, tant au cinéma que dans la chanson. Obayashi Nobuhiko, véritable artiste pop de son temps, est particulièrement à l’aise dans l’exercice. Réaliser un film autour d’une jeune fille qui s’affirme à travers un évènement relevant de l’onirisme, mâtiné de romance et de super-pouvoirs, lui permet d’exprimer tous ces élans créatifs en matière de narration et d’effets visuels.

The Girl Who Leapt through Time n’a certes pas la radicalité formelle de House et de bien d’autres films d’Obayashi, même tardifs, mais le côté doux et fou à la fois du réalisateur se perçoit dans chaque plan, si bien que cette mesure lui sied tout autant. On sent la sympathie qu’il éprouve pour Harada Tomoyo, tant le portrait de son personnage est soigné et l’attention du film entier portée sur son acting. Dès lors, ce qui est à la base un produit porté par des velléités commerciales, devient tant une peinture sincère de la jeunesse et des émois des adolescents, qu’une adaptation réussie – de par ce qu’inspire le rôle principal à son metteur en scène et l’adéquation avec le sujet du matériau de base que cela induit. Si la nouvelle d’origine est une ode à la jeunesse, le film d’Obayashi en est l’illustration quasi-parfaite de l’année 1983, avec ce que cela implique d’éléments culturels, aussi bien les coupes de cheveux, la chanson pop du générique de fin, que la patine de l’image.

Dans les détails de l’image se cache le style parfaitement caractérisé du réalisateur. Le film s’ouvre sur une scène en classe de neige, filmée en 4/3 et noir et blanc. Lorsque les étudiants regagnent le train, la silhouette du personnage de Kazuko retrouve ses couleurs, un peu avant le reste du décor ; le carton avec le titre du film apparaît et l’image trouve son format qui remplit l’écran. Ce jeu avec les couleurs parsème par petites touches le film, dans des moments intenses pour Kazuko. La dernière séquence du film retrouve le 4/3 d’origine. Quelques effets surnaturels de Kazuko sautant dans le temps évoquent comme des silhouettes découpées de l’actrice sur des décors qui s’enchaînent, un trucage loin de la puissance des VFX d’Hollywood mais disposant d’un charme artisanal certain. Obayashi joue avec les formats et les couleurs comme un artiste plasticien, et il en résulte une belle charge esthétique. Par ailleurs, ces éléments de mise en scène, lorsqu’ils surviennent, provoquent une rupture et créent un focus sur la scène en cours, ce qui la rend d’autant plus intense.

Cette légèreté qui se retrouve aussi bien dans la réalisation (pour un Obayashi qui rappelons-le est capable de créer des tornades comme House) que dans l’intrigue, véritable bluette teintée de voyages dans le temps, donne corps à la facette chaleureuse du film autant que, de prime abord, elle pourrait en limiter l’impact dramatique. Nous ne sommes jamais vraiment inquiets pour Kazuko qui vit un phénomène surnaturel, nous sommes plutôt préoccupés par ses émotions profondes, notamment ses sentiments pour le personnage de Kazuo, un autre lycéen, et de ce qu’il peut bien cacher à Kazuko dans cette histoire de sauts dans le temps. The Girl Who Leapt through Time est un film profondément romantique, qui s’intéresse aussi bien aux premiers amours qu’à l’acceptation de soi, de ce que l’on est (la fin est très belle pour cela) sans le signifier par des péripéties paraissant trop dramatiques. Ce parti-pris fait la singularité du film et à cet égard, il est réussi. La candeur du traitement de l’intrigue pourrait laisser penser que l’on frôle régulièrement la mièvrerie, mais il n’en est rien : le drame sous-jacent existe en sous-texte, ici sur l’évanescence des choses, le sentiment profond que la vie est précieuse et que sa beauté peut nous échapper des mains à tout instant. Obayashi peut en témoigner de par son expérience de la guerre et de la bombe atomique dans sa ville d’origine, Onomichi, qui est le lieu où The Girl Who Leapt through Time a été tourné. Dès lors, le phénomène de voyage dans le temps et les émotions de Kazuko fusionnent et se muent en un propos sur la conscience du monde qui nous entoure et comment s’y déployer. Il en résulte une peinture de la jeunesse magnifique et rare, un film doux dans lequel se lover pour ressentir la chaleur du genre humain, par-delà le poids du passé.

Bonus

Présentation du film par Stéphane du Mesnildot (24 min). Le spécialiste du cinéma japonais évoque la genèse de film à travers l’origine de la carrière de Harada Tomoyo. Il explore longuement les qualités et les vertus plastiques et narratives du film, tout en restituant l’importance et la popularité de la filmographie d’Obayashi au Japon, en comparant le succès de The Girl Who Leapt through Time à La Boom en France ou Retour vers le futur aux États-Unis, de ce dont veut témoigner Obayashi et ce qu’il veut transmettre au (jeune) public japonais. Stéphane du Mesnildot décortique également en détail la scène des sauts dans le temps et ce que sa forme dit sur le sujet de la temporalité qui caractérise le film.

Discussion entre Yoan Orszulik et Aurélien Gouriou-Vales du Cinéclub de Mr. Bobine (33 min). Les deux intervenants expliquent de qui est l’héritier Obayashi, de par les effets qu’il utilise (René Clair et Jean Epstein), avec quels cinéastes il dialogue (Tsukamoto et Zemeckis). Ils énoncent également que le sens du cinéma d’Obayashi, qu’on peut voir dans The Girl Who Leapt…, aurait pu le mener à compter parmi les cinéastes qui travaillent sur la théorie, mais qu’en réalité il relève de l’émotion. Beaucoup de sujets et niveaux de lectures du film et de la filmographie du réalisateur sont énoncés dans ce module, l’un des plus intéressants étant le rapport d’Obayashi à l’animisme. Enfin, les deux spécialistes considèrent qu’Obayashi peut enfin être redécouvert hors du Japon, car le public mondial, habitué à la pop-culture japonaise comme les mangas et l’animation notamment, peuvent enfin saisir les tenants et aboutissants de sa filmographie, puisqu’il a énormément contribué à forger cette pop-culture – la projection de House au Grand Rex en 1976, quasi-unique incursion du cinéaste sur nos écrans lors de ses années d’or, ayant été très mal accueillie, faute de référentiel.

Interview d’Obayashi Nobuhiko (années 2000, 24 min). Le réalisateur est questionné sur les étapes de son film, de son embauche chez Kadokawa au casting des acteurs, leur comportement jovial sur le plateau, et ce qu’ils sont devenus. On sent dans ses mots et son intonation toute la bienveillance qu’il leur porte, ce qui explique la teneur si douce du film. Il ponctue ses dires par quelques anecdotes de tournage.

Portrait de Harada Tomoyo (7 min). Dans ce module vidéo, nous assistons à la victoire de l’actrice principale du film du concours de talent organisé par Kadokawa lorsqu’elle avait 15 ans, suivie d’une interview d’époque d’Obayashi sur la volonté du patron de Kadokawa d’en faire une star.

Clip vidéo (3 min). Générique de fin chanté par Harada Tomoyo, sans les crédits.

Maxime Bauer.

The Girl Who Leapt through Time d’Obayashi Nobuhiko. Japon. 1983. Disponible dans le coffret Blu-Ray Obayashi paru chez Spectrum Films en octobre 2023.

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