L’Etrange Festival 2017 – Entretien avec Kobayashi Yûki (Death Row Family)

Posté le 30 septembre 2017 par

Protégé de Nishimura Yokihiro, Kobayashi Yûki était l’une des découvertes de cette édition de L’Etrange Festival. Si Death Row Family, second long-métrage du jeune réalisateur de 26 ans, n’a pas convaincu toute la rédaction, sa folie et son mélange des genres en font une oeuvre étonnante qui ne nous empêchera pas de placer beaucoup d’espoir dans ce cinéaste aussi cinéphile que sympathique et décalé.

 

Il s’agit de votre premier film sorti à l’international et votre nom est encore confidentiel. Pourriez-vous nous présenter votre parcours et votre cinéma ?
A la base je suis graphiste, je réalisais des films uniquement pour le plaisir. J’ai toujours, depuis mes débuts, réalisé des films violents ou basés sur des vraies affaires criminelles. Mon premier long métrage a été tourné avec de vrais yakuzas. Après qu’il ait été primé en festival, la société Nikkatsu m’a repéré et m’a proposé de réaliser Death Row Family, mon premier film commercial.

Death Row Family est donc basé sur une histoire vraie. Qu’est ce qui vous a intéressé dans ce fait divers et plus globalement, qu’est-ce qui vous fascine dans le monde des yakuzas ?
J’ai vraiment eu le déclic par rapport aux yakuzas lorsqu’un de mes amis a été kidnappé par une bande et a été victime de lynchages. On en a même parlé aux infos. Cette histoire m’a vraiment donné envie de réaliser un film sur cet univers. Death Row Family est mon huitième film si on compte les courts et moyens métrages, mais je continue à m’intéresser à ce monde. L’histoire évoque l’un des aspects les plus horribles de la violence qui est quelque chose qui existe et qui est très présente dans nos vies. Je tenais à ce que les spectateurs se rendent compte de cette omniprésence tout en restant dans une optique de divertissement.

J’ai lu que le fait divers original avait eu lieu dans la préfecture de Fukuoka. Avez-vous aussi tourné le film là-bas ?
Je n’ai pas tourné le film vers Fukuoka, on a filmé dans les départements de Kanagawa et de Chiba autour de Tokyo. J’ai cherché une zone industrielle comme dans le lieu d’origine. Si j’avais tourné à Fukuoka, on aurait entendu le dialecte de là-bas, ce qui ne change rien pour le spectateur français, mais peut affecter le public japonais. J’ai donc décidé de situer le film dans une ville imaginaire dont j’ai même inventé le dialecte.

Il y a beaucoup de références dans le film, de Fukasuku à Ishii en passant même par Ju-on. Y a-t-il une véritable envie de rendre hommage à l’histoire du cinéma japonais ou est-ce seulement votre style à vous, un mélange d’influences afin de créer un film unique ?
C’est vrai que je rends beaucoup au hommage, surtout au cinéma de Fukasaku et parfois j’utilise même des dialogues ou angles de caméra identiques à ceux utilisés dans certains de ses films. J’adore le cinéma très violent des années 70 et c’est vraiment à ça que je veux rendre hommage. Il y a eu beaucoup de ces films à cette époque et pour moi ce sont des films très importants qui font beaucoup réfléchir sur la vie et la mort, d’où pour moi leur filiation avec les films de fantôme. Je voulais donc mettre en place une continuité de cette tradition et c’est pour cela que j’ai mélangé les yakuzas et les fantômes dans Death Row Family. Je ne pense pas avoir été influencé par Ju-on, mais c’est plutôt Kurosawa Kiyoshi qui m’a inspiré pour ces séquences.

Death Row Family est un film qui passe par la comédie, le drame ou l’horreur. Pensez-vous vous orienter vers un genre spécifique au fil de votre carrière ou tenez-vous à ce mélange des genres ?
Je pense que la vie est un mélange des genres. Par exemple, là tout de suite, on passe un bon moment mais peut-être que sur votre chemin du retour, quelqu’un d’affreux va vous suivre jusqu’à chez vous et transformera votre journée en film d’horreur. Dans une seule journée on peut passer de l’histoire d’amour à la comédie jusqu’à l’épouvante. J’aime ça et c’est pour ça que je veux continuer à mettre tous les genres possibles dans le même film.
Un jour j’ai lu un livre écrit par Miike Takashi et il disait que s’il mettait autant de genres dans ses films, c’est pour montrer aux producteurs ce dont il est capable, comme une bande démo. Donc c’est aussi un moyen de promotion.

Par rapport à votre acteur principal, Shotaro Mamiya, il est à la base un acteur de dramas. Est-ce un choix de casting volontaire ou une demande de la production ? 

La première fois que le nom de Shotaro Mamiya a été prononcé, c’est par le producteur mais il ne me l’a pas du tout imposé. Il avait joué dans le film Litchi Hikari Club et il avait très bien joué son rôle, il était horrible et très sexy. J’avais donc très envie de travailler avec lui.

Cette année à L’Etrange Festival, vous êtes présenté comme l’un des nouveaux cinéastes japonais. Quand on parle de nouveau cinéma japonais maintenant, on parle encore de réalisateurs comme Sono Sion, Yoshihiro Nishimura ou Miike Takashi qui sont déjà beaucoup plus vieux que vous. Qu’est ce que vous pensez de l’état du cinéma japonais et où vous y situez-vous ?

Je me considère comme un enfant à problèmes qui n’hésite pas à se déshabiller devant son public. Depuis peu de temps il y a des jeunes réalisateurs, âgés de 25-26 ans, qui débutent. Rien que cette année, il y en a eu quatre ou cinq qui ont sorti leur premier film. C’est un phénomène qu’on n’a pas vu depuis longtemps, et je pense que quelque chose naît en ce moment. J’aime profondément le cinéma, donc s’il y a de plus en plus de bons films, tant mieux, mais je suis autodidacte, pas comme les autres qui ont eux étudié le cinéma, donc j’ai du mal à m’identifier à eux.
J’apprécie beaucoup le cinéma de Nishimura ou de Kurosawa Kiyoshi. Malgré leur âge ils continuent à faire des bons films. Il y en a aussi à l’étranger, comme George Miller, qui arrive encore à faire des films comme Mad Max : Fury Road. Si à cinquante ans ou plus ces réalisateurs peuvent encore faire des bons films, ça veut dire qu’ils ne sont pas près de s’arrêter. C’est insupportable, j’espère qu’ils mourront vite pour nous laisser une place !

Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui l’a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.
Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?

Sans hésitation je vais parler de Battle Royale de Fukasaku Kinji, c’est un film extraordinaire mais qui a été sujet à énormément de polémiques à l’époque, au point d’avoir été sujet d’un débat à l’Assemblée Nationale ! C’est après ce film qu’ont été établies de vraies règles de classification au Japon. Le ministère avait donc décidé qu’il serait interdit aux moins de 15 ans. J’étais à l’école primaire à l’époque, et le jour de la sortie VHS, le proviseur de l’école nous a tous fait venir dans le gymnase pour nous prévenir de ne surtout pas voir ce film. Ça m’avait étonné de voir qu’un film aussi scandaleux existait et ça m’a persuadé d’aller louer la vidéo et de la regarder avec mes amis chez moi. C’était mon premier vrai acte de rébellion.
Mon moment préféré se trouve au tout début. On voit une fille couverte de sang et juste après il y a un carton rouge qui apparaît et dit « ce film est interdit au moins de 15 ans ». Il est ensuite détruit d’un coup de sabre, comme si l’équipe du film était très fière de cette interdiction.
Je tenais à remercier toute l’équipe de ce film, cette scène est pour moi un moment de grande émotion.

Propos recueillis par Elias Campos.

Remerciements à Fabien Mauro et Estelle Lacaud de L’Étrange Festival.

Death Row Family de Kobayashi Yûki. Japon. 2017. Présenté à L’Etrange Festival 2017 (Forum des Images).

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