L’Etrange Festival 2017 – 30 Years Of Adonis de Scud Cheng : Les jardins d’Adonis

Posté le 14 septembre 2017 par

Pour cette 23ème édition de L’Étrange Festival, la sélection Mondovision donne l’occasion aux spectateurs de découvrir 30 Years of Adonis, dernière réalisation du réalisateur chinois Scud Cheng (plus connu sous le simple patronyme de Scud), pour son énième incursion dans le cinéma queer.

En marge du système

Originaire de Chine continentale, ayant grandi à Hong Kong dès l’adolescence, Scud est longtemps resté sous le radar des amateurs de cinéma asiatique, même pour les spectateurs avertis. Y compris au sein du cinéma indépendant de HK, il était l’un des indépendants les plus en marge. City Without Baseball (2008) fut l’occasion de lui offrir une plus grande exposition, grâce au nom apposé de Lawrence Ah Mon, co-réalisateur, traînant une petite réputation dans l’industrie du cinéma de Hong Kong grâce à des œuvres comme le diptyque Lee Rock (1991), Queen of Temple Street (1990) ou Arrest the Restless (1992), qui montrent une approche résolument plus sociale que le tout-venant de ce que sait faire l’ancienne colonie à l’époque. Une sensibilité qui fusionne assez bien avec les ambitions indé de Scud.

Auteur de ses films, Scud poursuit son questionnement sur l’homosexualité avec des œuvres comme le très mielleux Permanent Residence (2009) et son utilisation insupportable de Savage Garden, Amphetamine (2010) et Love Actually… Sucks (2011). Plus récemment, il met en scène Voyage (2013) et Utopians (2015). 30 Years of Adonis l’envoie cette fois en Chine continentale, pour conter la jeunesse et l’aspiration dans la décadence d’Adonis, incarné par Adonis He, l’un de ses acteurs fétiches.

Extent Karma

Ce jeune Adonis, dont le film suit la trajectoire de son adolescence à sa trentième année, se retrouve pris dans un monde où le sexe se retrouve érigé en vice. Si la sensibilité érotique du projet, à la limite du soft et du hard, est l’occasion de montrer un sacré nombre de parties génitales, Scud semble abandonner toute la tendresse dont il a fait preuve dans ses œuvres antérieures pour adopter une approche résolument inconfortable, pour le spectateur comme pour le personnage principal. Milieux interlopes de l’industrie du porno, bondage SM ou rapport aux vieux briscards fortunés qui entretiennent des minets, Scud semble vouloir aborder tous ces sujets qui contaminent les rapports sexuels sans aucune once de bienveillance. Pourquoi, dès lors, choisir une mise en scène aussi posée, presque apathique ? Adonis, à l’origine acteur de l’Opéra de Pékin, se tournant vers le porno pour survivre, est pourtant un personnage dont la frustration et le malheur devraient faire bouillir la mise en scène. Mais jamais cela n’explose, même lors du final sanguinolant. Scud semble bien trop focalisé sur l’idée d’emballer un film arty propre sur lui.

Plus dérangeante est la fin, qui remet en cause la vie du personnage, autours de la notion de karma. Car ce n’est pas la culpabilité homosexuelle qui ronge Scud (ouf, on a frôlé le dérapage !), mais un crime commis dans une ancienne vie par Adonis, et l’envoie directement dans cet enfer du sexe, qui finira littéralement par le tuer le jour de sa trentième année. Alors certes, on aura compris la métaphore, que l’enfer est bien sur terre, mais le film semble alors se perdre dans une direction malvenue, presque contre-productive, fragilisant son discours initial au profit d’une ambition métaphysique hors de contexte.

S’il est audacieux de produire un film pareil en Chine, tout en contournant la censure (le film ne sortira probablement pas là-bas), 30 Years of Adonis souffre de ses ambitions, qui se transforment rapidement en prétention. Le problème n’est aucunement de voir Scud passer d’un cinéma qui tenait plus du réalisme social à un produit au label arty. Mais l’autocitation trop peu subtile aux œuvres antérieures du réalisateur, la narration inutilement cryptique et le discours assez superficiel sur la vie homosexuelle en Chine continentale n’aident pas à faire passer la pilule. Dommage, car malgré sa mise en scène apathique, un malaise habite malgré tout les images. Son sens de la composition donne parfois lieu à des visions entêtantes. Le film se termine sur un générique où l’on demande aux acteurs où ils se voient à 30 ans. La pluralité des réponses est à l’image du film : en manque d’une ligne directrice.

Anel Dragic.

30 Years Of Adonis de Scud Cheng. Chine. 2017. Projeté lors de la 23e édition de L’Etrange Festival.

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