FICA 2017 – Après la tempête de Kore-eda Hirokazu : Film d’ouverture (Vesoul)

Posté le 7 février 2017 par

Le cinéaste japonais Kore-eda Hirokazu est un habitué du Festival de Vesoul (nous l’avions rencontré pour un long entretien en 2014 à voir ici). Il faut dire que ces dernières années, il a beaucoup tourné : Tel père, tel fils en 2013, Notre petite Sœur en 2015 et maintenant Après la tempête, qui ouvre 23ème Festival International des Cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul !Texte de Elvire Rémand. Interview de Victor Lopez.

après la tempête

Kore-eda Hirokazu poursuit ses chroniques familiales avec Après la tempête. Ryota, malgré un début de carrière d’écrivain prometteur, accumule les désillusions. Divorcé de Kyoko, il gaspille le peu d’argent que lui rapporte son travail de détective privé en jouant aux courses, jusqu’à ne plus pouvoir payer la pension alimentaire de son fils, Shingo. Malgré tout, il essaye de regagner la confiance des siens et de se rapprocher de son fils. Cette tentative, bien vaine, connaît une évolution lorsqu’un typhon contraint la famille à passer une nuit ensemble.

Nous l’avions déjà dit, lorsque nous avons découvert la première bande annonce, le scénario d’Après la tempête est simple. Simple comme un film de Kore-eda. Et c’est pour cela qu’on l’apprécie. Le cinéaste sait traiter des sujets de la vie quotidienne avec poésie sans que ses films ne deviennent pédants, bien au contraire.

Les personnages d’Après la tempête sont tous attachants. Ryota, interprété par Abe Hiroshi, déjà vu dans I Wish et Still Walking, est un écrivain raté en plus d’être un détective privé pour le moins peu scrupuleux. Son seul intérêt est de parier aux jeux et d’espionner son ex-femme, jouée par Maki Yoko (Tel père, tel fils) qui fréquente un nouvel homme. Un tel personnage pourrait être agaçant. Mais chez Kore-eda, il devient touchant car terriblement humain. Sa sœur, jouée par Kobayashi Satomi (Pale Moon), le considère comme le boulet de la famille. Sa mère, interprétée par la divine Kiki Kirin (Les délices de Tokyo), n’en pense pas mieux. Ce trio fonctionne à merveille, notamment grâce à Kiki Kirin, qui représente la mère et la grand-mère idéale. Hyperactive, drôle, avec un sens acéré de la répartie, le spectateur se prend d’amitié pour elle au bout de trois minutes de film. Il faut dire que Kore-eda a l’habitude de reprendre les acteurs d’un film sur l’autre, ce qui donne aux spectateurs l’impression qu’il tourne en famille. Cette famille, c’est aussi un peu la nôtre.

après la tempête

Kore-eda prend le temps d’installer ses personnages et sa non-intrigue avant l’évènement fatidique : le typhon. Le climax n’intervient qu’en fin de film, ce qui pourrait surprendre. En réalité, cette tempête en elle-même n’a pas tellement d’importance. C’est pas elle que le cinéaste veut filmer mais l’effet qu’elle peut provoquer sur cette famille. Ryota et son ex-femme sont en froid et le fils est ballotté d’un côté à l’autre. La tempête n’est pas un deus ex machina et ne va pas régler tous les problèmes de cette famille mais elle a le pouvoir d’apaiser les tensions et les cœurs. Après une nuit de typhon, les émotions sont nettoyées de toute négativité, comme le sol est balayé de ses feuilles mortes.

Drôle et touchant, Après la tempête est un petit film doux, qui met du baume au cœur.

Entretien avec Kore-eda Hirokazu

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On vous retrouve à Cannes un an à peine après Notre petite Sœur. Est-ce que vous pouvez nous parler de la genèse assez rapide de votre nouveau film ?

Après la tempête a été tourné en même temps que Notre petite Sœur, qui se déroulait sur quatre saisons.  Le film s’est réalisé entre le printemps et l’été, entre deux sessions de tournage de Notre petite Sœur. Les deux projets ont donc été réalisés en même temps.

Notre petite Sœur était l’adaptation d’un manga. Ici, vous adaptez un scénario original. Est-ce que c’était important pour vous de revenir à une base plus personnelle ?

J’avais évidemment très envie de faire Notre petite Sœur et ce depuis un moment : c’est un projet qui me tenait à cœur. Mais en même temps, j’avais cette idée de scénario en tête. J’ai commencé à l’écrire en pensant que ça prendrait plus de temps. Finalement, je l’ai rédigé beaucoup plus vite que prévu. Le scénario fini, j’en ai parlé à mes producteurs, qui m’ont proposé de le tourner entre la floraison des cerisiers et celle des hortensias. Nous voulions ces deux floraisons, et deux mois les séparent. Nous l’avons donc tourné dans ce laps de temps.

Les deux projets n’auraient pas pu être réalisés de manière parallèle s’ils étaient tous deux des créations originales. Ce sont deux processus complètement différents. D’un côté, avec l’adaptation, il faut vraiment s’immerger dans le travail de l’auteur, interpréter les sentiments des personnages et les intentions dans une œuvre qui n’est pas la sienne. D’un autre côté, pour la création originale, il faut aller chercher à l’intérieur de soi, dans sa propre psyché. D’autant que ce film est particulièrement proche de moi, sans être tout à fait autobiographique. Comme ces deux processus sont différents, cela a permis que les deux projets se réalisent simultanément.

Vous avez évoquez lors de la présentation du film que vous avez tourné Après la tempête dans le lotissement où vous avez grandi, étant enfant. Est-ce que vous pouvez nous parler des lieux de tournage et la manière dont ils résonnent dans votre vécu ?

J’ai tourné Après la tempête dans une cité dans laquelle j’ai vécu entre 9 et 28 ans, soit presque 20 ans. À l’époque, j’y vivais avec mes parents et mes deux grandes sœurs, puis seul avec mes parents. Ce n’est pas un endroit pour lequel j’avais un attachement particulier. Tous les appartements se ressemblaient : ils étaient de la même surface, avec un mobilier similaire puisque les habitants avaient à peu près les mêmes moyens économiques. Ça n’avait pas un attrait particulier pour moi. Une fois mes parents décédés, je n’avais pas vraiment de raison d’y aller. J’y suis revenu après un long laps de temps. Aujourd’hui, c’est une cité qui a été relativement désertée car il n’y a plus d’enfants : ce sont surtout des personnes âgés de 70 à 80 ans qui y vivent, ce qui crée une atmosphère assez particulière. Ce n’est que rétrospectivement que je me suis rendu compte que j’avais développé un certain attachement sentimental pour ce lieu, que je n’avais pas forcément à l’époque.

On voit bien dans le film que ce lieu est habité principalement par des personnes âgées, qui sont très touchantes, notamment le personnage de la grand-mère, interprété par Kiki Kirin. C’est votre 5e collaboration avec elle. Qu’est-ce qui vous fascine chez elle pour la filmer autant ?

Pour moi, son plus grand talent en tant que comédienne, c’est sa capacité à être en mouvement perpétuel et intégrer le texte dans le mouvement. Par exemple, elle ne s’arrête pas pour dire une réplique. Elle maîtrise tellement les gestes du quotidien qu’on ne peut pas s’imaginer que ce n’est pas la réalité, qu’elle n’a pas vécu là 40 ans. Elle a ce talent incroyable de nous faire oublier qu’elle joue. Elle dit elle-même que les déplacements et les mouvements font 70% du travail et les textes 30%. Elle arrive à accorder cela parfaitement. C’est quelque chose de primordial dans les chroniques familiales.

On avait vraiment le même idéal pour ce film en particulier. C’était d’arriver à interpréter quelqu’un d’ordinaire. Et c’est exactement comme cela que je voulais la filmer. Nous nous sommes vraiment retrouvés là-dessus.

Avez-vous écrit le rôle pour elle ?

Je pensais déjà à elle quand j’ai écrit le scénario. Je voulais donc que ce soit elle. Mais son personnage est un mélange de Kiki Kirin et de ma propre mère. Le résultat est un mélange de ces deux femmes.

A travers les personnages, on trouve de nombreux aphorismes. Est-ce que ce film est autant une leçon de vie qu’une succession de tranches de vie ?

A quel niveau ?

Par exemple, l’adolescent dit au personnage principal, le père, qu’il n’aimerait pas devenir un adulte comme lui et ce dernier lui répond que c’est très dur de devenir l’adulte de ses rêves. Le personnage de Kirin Kiki dit aussi à son fils dans la cuisine : « ça, c’est une phrase qui mériterait d’être notée dans ton livre ». C’est à travers ces exemples que le film délivre des sortes de leçons de vie.

Les deux scènes que vous mentionnez sont les seules scènes du film qui seraient peut-être un peu donneuses de leçon. Par contre, ces scènes sont désamorcées. Dans la première scène, le personnage principal répond cette phrase au lycéen en réaction ; il est en colère. Donc cela casse le côté moralisateur de sa réponse. Dans la deuxième scène, le personnage de Kiki Kirin ajoute « je dis quelque chose de profond, non ? ». Il y a une dérision qui permet de voir ces scènes non pas comme des leçons de vie mais plutôt comme des paroles que les personnages n’arrivent pas à recevoir. Si enseignement il y a, le spectateur ne peut le faire qu’une fois le film terminé. Pour moi, il était important de désamorcer ces scènes que vous citez pour qu’elles ne ressemblent pas trop à des aphorismes, justement.

Vous mettez en scène un personnage de détective privé. Par ce biais, vous désamorcez aussi les enquêtes policières car ce détective passe du temps à chercher des chiens ou à magouiller. Etes-vous amateur de films noirs et en avez-vous vu pour préparer le film ?

Je suis allé en repérage dans une agence de détectives privés et j’ai aussi vu quelques films policiers pour m’en inspirer. Mais je n’ai pas trop approfondi les recherches.

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Le climax du film repose sur une scène de tempête qui est un motif récurrent dans le cinéma japonais. Comment avez-vous envisager de mettre en scène cette tempête en évitant les lieux communs ?

Les jours de tempête ou de typhon font partie de ces jours exceptionnels qui changent du quotidien que vivent les gens. Ici, l’idée était moins de montrer la tempête en elle-même que ce qui se produit une fois qu’elle est passée. Ce sentiment de purification, de s’être purgé, d’avoir un regard neuf sur les choses, sur soi et sur les évènements. J’ai une image très forte de ma propre enfance dans cette cité : c’est celle de descendre les escaliers du bâtiment après la tempête, le lendemain matin, avec mon sac à dos et d’avoir cette vision de la pelouse qui brille après la pluie. C’est vraiment une image très forte qui m’est restée et j’ai eu envie de travailler autour de ça.

Le titre japonais, différent du titre international, signifie « Plus profond que l’océan ». Pouvez-vous nous parler de ce titre ?

J’aime bien After The Storm, je trouve que c’est un bon titre. Le titre japonais, Umi yori mo mada fukakuPlus profond que l’océan »), a une histoire un peu particulière. C’est un extrait de la chanson de Teresa Teng qui passe le soir du typhon à la radio, juste après le bulletin météo. J’avais déjà eu recours au même procédé pour Still Walking, qui en japonais s’intitule Aruitemo aruitemo, qui était déjà un extrait d’une chanson qui passait dans le film. Pour ces deux films, le titre a été trouvé avant même que le scénario ne soit écrit. L’idée était de construire le scénario pour qu’il nous amène à cette scène, où l’on entend le morceau. C’est une façon de faire un peu particulière, mais c’est un procédé commun aux deux films.

Avez-vous des nouveaux projets en préparation ?

Cela fait presque deux ans que je n’ai pas tourné, mais j’ai plusieurs projets en cours. Le prochain quittera la sphère familiale. Ce sera un film avec teneur un peu plus sociale, qui se déroulera dans un tribunal. Ce sera donc autour du juridique. J’en suis au début de l’écriture de ce projet.

Vous êtes déjà venu plusieurs fois à Cannes. Que représente ce festival pour vous ?

Le festival est d’abord un moment qui me permet de m’interroger sur ce qu’est le cinéma, sur ce que signifie faire des films. C’est aussi un moment où je réalise que je fais partie de l’histoire du cinéma, qui est maintenant vieille de plus de 100 ans, et de réaliser que j’ai apporté ma pierre à l’édifice. C’est l’occasion de prendre un peu de recul par rapport à tout cela. Ce n’est pas forcément quelque chose que j’aimais bien faire avant, mais c’est le cas maintenant.

D’un point de vue plus pragmatique, les premières fois où je venais à Cannes, je venais juste comme ça, mon film sous le bras, sans trop savoir ce qui se passait ni comment on procédait. Après six festivals, c’est devenu un lieu de rendez-vous très important, puisque c’est là que l’on retrouve notre vendeur international, notre distributeur français, notre attachée de presse et notre interprète avec laquelle j’ai l’habitude de travailler. C’est une occasion de présenter le film. Ce n’est plus une fin en soi, mais plutôt un point de départ, qui permet de porter le film le plus loin possible dans le monde. Pour cela, le festival de Cannes est une occasion en or pour promouvoir le film en dehors des

Traduction : Léa Le Dimna

Photos : Elvire Rémand.

Remerciements : Matilde Incerti & Jeremy Charrier.

Propos recueillis par Victor Lopez le 19/05/2016 à Cannes.

Après la tempête de Kore-eda Hirokazu, à voir au  23ème Festival International des Cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul du 7 au 14 février. Plus d’informations ici !

Mardi 7 février à 20h30 – Théâtre Edwige Feuillère
Vendredi 10 février à 18h – Majestic 2