DVD – Sacrifice de Chen Kaige : Liens cachés

Posté le 3 décembre 2016 par

Bien que Chen Kaige ne fascine plus comme à l’époque de son Adieu, ma concubine, le cinéaste chinois continue son œuvre qui n’est certes pas à la hauteur, mais reste quand même cohérente. C’est ce que nous permet de voir la sortie en DVD de Sacrifice.

Il n’y a pas plus représentatif que la carrière de Chen Kaige pour illustrer le sort des cinéastes chinois de la 5ème génération. Après avoir connu les honneurs et la reconnaissance dans les années 90, un désamour s’est installé entre ceux-ci et le public occidental, à l’aune des cinéastes de la 6ème génération (Jia Zhangke, Lou Ye ou encore Zhao Liang). On leur reproche injustement une certaine complaisance avec le système chinois, voire pire : le formalisme qui les a justement mis sur le devant de la scène internationale.  Seuls les blockbusters de Zhang Yimou intéressent ceux qui se souviennent que ces cinéastes existent car seuls ces films sont visibles ou du moins font parler assez d’eux ; en attendant Chen Kaige et Tian Zhuangzhuang disparaissent étrangement des radars cinéphiles ou des discussions de cinéma. Cependant, ces cinéastes continuent leur œuvre et essayent de rester fidèles à leurs visions malgré l’évolution monstrueuse du cinéma chinois contemporain qui sacrifie ses jeunes talents dans des blockbusters ne valant pas mieux qu’un certain cinéma hollywoodien. La 6ème génération qui s’est construite parallèlement à travers le cinéma indépendant chinois dont elle est à l’origine est intrinsèquement opposée à ce cinéma. C’est ainsi qu’un cinéaste comme Chen Kaige tente de retrouver une place dans le cinéma contemporain en faisant des blockbusters dont il serait à l’origine, qui ne trahirait pas son œuvre. C’est le cas de Sacrifice.

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Le film est l’adaptation d’une pièce de théâtre du 9ème siècle qui parle d’une histoire de filiation et de faux-semblants. La princesse Zhuang (Fan Bingbing) donne naissance à un garçon héritier le jour d’un coup d’état de Tu Angu (Wang Xueqi). Elle confie son fils au médecin de la famille Cheng Ying (Ge You) qui doit l’élever dans le secret. Tu Angu l’apprend et décide de laisser Cheng Ying l’élever tout en restant dans la vie du garçon, jusqu’au jour où la vérité éclatera. Dès lors, une double paternité est au cœur du film. Le garçon ne sait pas qui est son père, alors que sa vie en dépend. Ce thème de la double paternité ou de la paternité trouble était aussi celui de Ju Dou de Zhang Yimou. Néanmoins, le film ne semble pas s’y attarder, même s’il est est l’enjeu dramatique. La mise en scène de Chen Kaige, attaché au théâtre chinois, semble jouer sur les faux-semblants, les secrets, les non-dits. Il s’attarde dès le commencement sur les dessous de l’action, les manigances, et les dialogues réflexifs qui ne sont certes pas très captivants mais que la mise en scène vient appuyer doucement, et surtout efficacement.

A scene from Chen Kaige's SACRIFICE, opening July 27 at SF Film Society Cinema.

Ce qui semble intéresser Chen Kaige ce n’est pas le secret en tant qu’événement narratif, qui serait plus de l’ordre du théâtre, et qui justifierait son casting. C’est dans la mise en scène du mystère/secret que le film est le plus intéressant, même si les scènes d’actions, peu nombreuses, sont efficaces. La composition et la lumière dans les scènes d’intérieur révèlent où se situe le travail de Chen Kaige. Les personnages se meuvent dans des cadres picturaux qui en disent autant sur leur relation que sur le film. L’œuvre jongle plus ou moins habillement avec les impératifs commerciaux du cinéma chinois contemporain (le film est sorti en 2010) que sont l’action et la « glamourisation » de ses figures, et une vision esthétique propre à Chen Kaige en tant qu’auteur. Ainsi, Fan Bingbing, qui était la figure montante de l’époque, a les plans les plus stylisés alors que son rôle est mineur (elle n’est présente que pendant une partie du film). Le film tente de satisfaire des ambitions qui dans le cas du cinéma chinois sont opposés, ce qui nous offre des scènes assez mornes ou juste efficaces. Alors que dans le même temps, un autre film existe par parcimonie, une espèce de proto-The Assassin qui nous rappelle que Chen Kaige est l’homme derrière la seule Palme d’Or chinoise de l’histoire. Il y a un jeu sur l’absence, le regard, le trouble, bref sur ce que représente le sacrifice. C’est très minime voire presque invisible, mais il tente dans la mesure du possible de se confronter à ces questions cinématographiques. Le moment le plus expressif de ce mouvement reste la scène de conclusion du combat final. Chen Kaige se permet de composer la scène quitte à stopper l’action pour épouser la dramaturgie de son matériau par un moment symbolique qui laisse exister le moment sans oublier les enjeux. Cette scène révèle que le cinéaste n’a rien perdu de son talent, mais que dans le cadre du cinéma chinois, il ne peut plus se le permettre. Le spectateur de 2016 peut alors constater avec effroi ce qu’aurait pu être le cinéma chinois si ses auteurs ne semblaient pas le subir en regardant The Assassin, de Hou Hsiao-Hsien, cinéaste taïwanais. Sacrifice reste une œuvre correcte qui souffre de laisser apparaître un potentiel gâché.

Kephren Montoute.

Sacrifice, de Chen Kaige. Chine. 2010. DISPONIBLE EN BLU-RAY & DVD chez Elephant Films le 26/10/2016.

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