Asialyst : En allant au cinéma à Séoul ces dernières semaines

Posté le 19 novembre 2016 par

L’atmosphère a changé autour du cinéma en Corée du Sud. Cela se voit dans les salles, dans les statistiques, dans les revues de presse aussi bien que dans les festivals internationaux. On s’attendait à autre chose vu que la double année franco-coréenne battait son plein. Mais à part des hommages concoctés de manière théorique sans beaucoup d’effets sur le terrain – comme en octobre 2015 au festival de Busan -, les films français n’ont pas spécialement brillé. Par contre, les films sud-coréens avaient fait parlé d’eux au dernier festival de Cannes, et je doute que ce soit une affaire liée à la célébration de l’année franco-coréenne. Il s’agit plutôt d’un changement en profondeur de l’économie du cinéma en Corée du Sud. Car, en fait, c’est du côté américain et sud-coréen que le cinéma a le plus évolué. Par Antoine Coppola

Du côté coréen, la sortie coup sur coup de quatre films de genre à succès a fait la différence. Trois de ces films étaient passés au festival de Cannes préalablement. Et pour la première fois, il a été très clair qu’un film « cannois » pouvait rencontrer son public en Corée du Sud. En effet, depuis des années, les critiques sud-coréens – plus précisément, les chargés de promotion dans la presse – maudissaient les sélections de films sud-coréens dans les diverses sections du festival de Cannes. Ce dernier était accusé de choisir des films qui ne plaisaient pas au Sud-Coréens : ceux des cinéastes Kim Ki-duk ou Park Chan-wook par exemple. Et il est vrai qu’un film comme Old Boy de Park Chan-wook n’a pas fait des entrée faramineuses localement. Il n’aurait même été qu’un tout petit succès si la publicité venue de Cannes ne l’avait pas un peu poussé vers le haut. Les films de Kim Ki-duk, eux, ne trouvaient même pas de distributeurs locaux. Bref, quelque chose a bien changé.
the strangers

« The Wailing » : la traversée des genres

The Wailling (aussi connu sous le titre anglais The Strangers et le titre coréen Gokseong) est un film de Na Hong-jin. Voilà un long-métrage qui touche à la fois au thriller avec une enquête menée par un policier plutôt paumé mais sympathique sur des disparitions dans un petit village ; au film de fantômes avec ses références au chamanisme coréen incarné par l’acteur vedette Hwang Jung-min en chamane corrompu ; et même au film de zombies, car il en apparaît un de manière très inattendu. Mais surtout, il s’agit d’un travail de métonymie entre la situation conflictuelle dans laquelle se trouvent la Corée du Sud et le Japon, et l’incrimination d’un mystérieux Japonais dans le film (le diable en personne). En effet, le Japon impérial – ancien pays colonisateur de la Corée au début du XXème siècle, mais aussi berceau de nombreux envahisseurs à toutes les époques – est redevenu le grand rival de l’Etat sud-coréen d’un point de vue économique – les deux industries rivalisent sur presque tous les marchés pour se sortir d’une mauvaise passe. Cela s’est traduit aussi par des rivalités géopolitiques notamment autour de l’île de Dokdo, bout de rocher perdu et oublié depuis longtemps que les deux pays se sont mis soudain à revendiquer. On peut citer également le conflit à propos de la non reconnaissance par le Japon des esclaves sexuelles coréennes durant la période coloniale. Les deux classes dirigeantes japonaise et sud-coréenne tirent néanmoins profit de la situation en appelant à l’union sacrée nationale et à l’étouffement de toutes les oppositions politiques locales.

La traduction cinématographique de la confrontation nippo-coréenne fut un blockbuster historique sorti en 2014. The Admiral, roaring currents raconte comment l’amiral Yi Sun-sin, inventeur du bateau cuirassé, a mis en déroute – avec quelques embarcations et l’aide d’une mer déchaînée – une armada d’invasion nippone au XVIIème siècle. Les méchants samouraïs japonais en ont pris pour leur grade, et l’armée sud-coréenne a vu son blason se redorer, elle qui a tenu le pays d’une main de fer sous les diverses dictatures pendant plus de trente ans. Au total, The Admiral a fait plus de 17 millions d’entrées. Le mouvement était lancé : les films plus ou moins ouvertement anti-japonais se sont succédé : Spirit Homecoming (sur les esclaves sexuelles) ou Assassination (sur la résistance coréenne). En apparence, The Wailing ne fait que suivre le mouvement, sauf qu’il a été produit par la société hollywoodienne 20th Century Fox et montré hors compétition à Cannes.

La Fox – le renard dans le poulailler sud-coréen – a eu du mal à s’implanter localement. Il faut rappeler que les distributeurs hollywoodiens ont un accès direct aux salles sud-coréennes depuis la fin des années 1980. Ce qui d’ailleurs a donné lieu à une très forte contestation de l’industrie locale ; mais les accord de libre-échange ont primé. Notons aussi que les films hollywoodiens sont très bien distribués par les distributeurs sud-coréens dans le pays. Ils font souvent plus de 2 millions d’entrées : ces cinq dernières années, des films comme Captain America ont dépasser les 5 millions. Et cela malgré le piratage et la mise en ligne illégale des films dès avant leur sortie en salle. Alors pourquoi vouloir aussi produire en Corée du Sud ? Pour obtenir de meilleures conditions avec les distributeurs locaux ? Pour faire des films sud-coréens exportables aux Etats-Unis ? Pour avoir une plate-forme locale afin de se lancer sur le marché chinois ?

Deux films produits par Netflix et la Warner Bros, Okja de Bong Joon-ho (sortie prévue en 2017) et The Age of Shadows de Kim Jee-woon (sorti le 8 septembre dernier) devraient nous donner plus d’indications. En attendant, la Fox a dû essuyer quelques échecs, notamment le pourtant très efficace Intimate Ennemies du déjà célèbre réalisateur Im Sang-soo (The Handmaiden, Taste of Money, President Last Bang). C’est donc là que Cannes intervient comme un accélérateur de films coréens produits par Hollywood sur le sol sud-coréen.

dernier train pour busan

« Train to Busan » : acclimatation du film de zombies

Le deuxième long-métrage sud-coréen « cannois » à avoir trouvé un public local est un autre film de genre, cette fois unique et très à la mode : le film de zombies Train To Busan de Yeon Sang-ho. Un virus, des morts-vivants qui attaquent le train rapide entre la capitale et le grand port du Sud, et voilà l’action qui commence dans une trame connue mais dans un contexte original. Il existe très peu de films de zombies dans le cinéma sud-coréen. Ce dernier préfère les histoires de fantômes (qui ont aussi des côtés zombies). Le bouddhisme et le chamanisme font une large place aux esprits maléfiques de revenants revendicatifs et ne laissent pas d’espace aux histoires bio-technologiques de virus pour justifier les morts-vivants. Le modèle est donc très occidental.

Néanmoins, dans Train to Busan, l’acclimatation coréenne des zombies est très forte. Il s’agit d’abord d’une histoire de famille et de couples : des mariés qui attendent un bébé, des jeunes amoureux se querellant, un père en cours de divorce et sa fille, voire deux mamies en voyage. Le méchant du film est l’archétype qui partage la vedette avec la figure du Japonais depuis quelques années : le riche – qu’il soit l’héritier d’un chaebol, holding monopolistique sud-coréenne, ou un politicien véreux. Lui aussi est un méchant que le public aime détester. Les producteurs l’apprécient aussi parce qu’il exorcise le malaise d’une fracture sociale entre pauvres et riches qui s’accentue, et surtout met à mal la symbolique unité nationale. Le thème de l’égoïsme est d’ailleurs lié à la critique du riche. Car il s’agit moins d’une critique sociale fondée sur la lutte des classes (peu d’informations vont dans ce sens) que d’une critique du mauvais prince oublieux de son rôle de leader du peuple pourtant soumis et prêt à se sacrifier pour lui.

Ce film est lié à un autre, produit de manière indépendante par le réalisateur Yeon Sang-ho : Seoul Station. Ce long-métrage d’animation, en partie par ordinateur en partie dessiné à la main, est une critique sociale virulente dans laquelle les zombies sont les prolétaires sud-coréens. Le cinéaste avait tourné son film d’animation avant son blockbuster mais sans pouvoir le sortir sur les écrans. Il était pourtant connu grâce à un précédent film d’animation King of the Pigs, un brûlot contre le service militaire coréen (inspiré de sa propre expérience), qui avait été projeté à Cannes deux ans auparavant. Les grosses compagnies de production-distribution lui ont fait des avances, et il a finalement accepté de tourner une sorte de remake édulcoré de son film d’animation sous forme de film live avec la vedette Gong Yoo au casting.

Cette sorte de corruption est bien acceptée dans le milieu (et encore plus par le public). L’artiste indépendant devient un outil dans les mains des sociétés monopolistiques. C’est déjà ça, se disent-ils, puisque beaucoup restent en marge, les compagnies usant d’employés tout terrain pour réaliser des blockbusters de commande écrits par des comités d’experts en marketing. L’ascenseur social a pour une fois fonctionné, même si l’édulcoration du propos pourra poser problème par la suite. Notamment, il s’agira de voir si Yeon va retourner complètement sa veste ou s’il renverra l’ascenseur aux cinéastes indépendants ( les « non commercialisables », comme disent les grosses compagnies et les institutions gouvernementales). Son prochain film nous le dira.

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